Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris. Виктор Гюго

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Название Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris
Автор произведения Виктор Гюго
Жанр Зарубежная классика
Серия Легко читаем по-французски
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 2015
isbn 978-5-17-088904-4



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répondirent par un éclat de rire sinistre.

      Le pauvre poète jeta les yeux autour de lui. Il était en effet dans cette redoutable Cour des Miracles, où jamais honnête homme n’avait pénétré à pareille heure; cercle magique où les officiers du Châtelet et les sergents de la prévôté qui s’y aventuraient disparaissaient en miettes; cité des voleurs, hideuse verrue à la face de Paris.

      C’était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait. Hommes, femmes, bêtes, âge, sexe, santé, maladie, tout semblait être en commun parmi ce peuple; tout allait ensemble, mêlé, confondu, superposé; chacun y participait de tout.

      C’était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique.

      En ce moment, un cri distinct s’éleva dans la cohue bourdonnante qui l’enveloppait: « Menons-le au roi! menons-le au roi! »

      On l’entraîna. Ce fut à qui mettrait la griffe sur lui. Mais les trois mendiants ne lâchaient pas prise, et l’arrachaient aux autres en hurlant: « Il est à nous! »

      Le pourpoint déjà malade du poète rendit le dernier soupir dans cette lutte.

      Le spectacle qui s’offrit à ses yeux, quand son escorte en guenilles le déposa enfin au terme de sa course, n’était pas propre à le ramener à la poésie, fût-ce même à la poésie de l’enfer. C’était plus que jamais la prosaïque et brutale réalité de la taverne.

      Autour d’un grand feu qui brûlait sur une large dalle ronde, et qui pénétrait de ses flammes les tiges rougies d’un trépied vide pour le moment, quelques tables vermoulues étaient dressées, çà et là, au hasard, sans que le moindre laquais géomètre eût daigné ajuster leur parallélisme ou veiller à ce qu’au moins elles ne se coupassent pas à des angles trop inusités. Sur ces tables reluisaient quelques pots ruisselants de vin et de cervoise, et autour de ces pots se groupaient force visages bachiques, empourprés de feu et de vin.

      Le gros rire éclatait partout, et la chanson obscène.

      Un tonneau était près du feu, et un mendiant sur le tonneau. C’était le roi sur son trône.

      Les trois qui avaient Gringoire l’amenèrent devant ce tonneau, et toute la bacchanale fit un moment silence.

      « Qu’est-ce que c’est que ce maraud? »

      Gringoire tressaillit. Cette voix, quoique accentuée par la menace, lui rappela une autre voix qui le matin même avait porté le premier coup à son mystère en nasillant au milieu de l’auditoire: La charité, s’il vous plaît! Il leva la tête. C’était en effet Clopin Trouillefou.

      Clopin Trouillefou, revêtu de ses insignes royaux, n’avait pas un haillon de plus ni de moins. Sa plaie au bras avait déjà disparu. Il portait à la main un de ces fouets à lanières de cuir blanc dont se servaient alors les sergents à verge pour serrer la foule. Il avait sur la tête une espèce de coiffure cerclée et fermée par le haut.

      Cependant Gringoire, sans savoir pourquoi, avait repris quelque espoir en reconnaissant dans le roi de la Cour des Miracles son maudit mendiant de la grand-salle.

      « Maître, balbutia-t-il… Monseigneur… Sire… Comment dois-je vous appeler? dit-il enfin, arrivé au point culminant de son crescendo, et ne sachant plus comment monter ni redescendre.

      – Monseigneur, Sa Majesté, ou camarade, appelle-moi comme tu voudras. Mais dépêche. Qu’as-tu à dire pour ta défense? »

      Pour ta défense! pensa Gringoire, ceci me déplaît. Il reprit en bégayant: « Je suis celui qui ce matin…

      – Par les ongles du diable! interrompit Clopin, ton nom, maraud, et rien de plus. Écoute. Tu es devant trois puissants souverains: moi, Clopin Trouillefou, roi de Thunes, suzerain suprême du royaume de l’argot; Mathias Hungadi Spicali, duc d’Égypte et de Bohême, ce vieux jaune que tu vois là avec un torchon autour de la tête; Guillaume Rousseau, empereur de Galilée, ce gros qui ne nous écoute pas et qui caresse une ribaude. Nous sommes tes juges. Tu es entré dans le royaume d’argot sans être argotier, tu as violé les privilèges de notre ville. Tu dois être puni, à moins que tu ne sois capon, franc-mitou ou rifodé, c’est-à-dire, dans l’argot des honnêtes gens, voleur, mendiant ou vagabond. Es-tu quelque chose comme cela? Justifie-toi. Décline tes qualités.[20]

      – Hélas! dit Gringoire, je n’ai pas cet honneur. Je suis l’auteur…

      – Cela suffit, reprit Trouillefou sans le laisser achever. Tu vas être pendu. Chose toute simple, messieurs les honnêtes bourgeois! comme vous traitez les nôtres chez vous, nous traitons les vôtres chez nous. La loi que vous faites aux truands, les truands vous la font. C’est votre faute si elle est méchante. Il faut bien qu’on voie de temps en temps une grimace d’honnête homme au-dessus du collier de chanvre; cela rend la chose honorable. »

      – Messeigneurs les empereurs et rois, dit Gringoire avec sang-froid (car je ne sais comment la fermeté lui était revenue, et il parlait résolument), vous n’y pensez pas. Je m’appelle Pierre Gringoire, je suis le poète dont on a représenté ce matin une moralité dans la grand-salle du Palais.

      – Ah! c’est toi, maître! dit Clopin. J’y étais, par la tête-Dieu! Eh bien! camarade, est-ce une raison, parce que tu nous as ennuyés ce matin, pour ne pas être pendu ce soir? »

      Trouillefou fit un signe, et le duc, et l’empereur, et les archisuppôts et les cagoux vinrent se ranger autour de lui en un fer-à-cheval, dont Gringoire, toujours rudement appréhendé au corps, occupait le centre.

      « Écoute, dit-il à Gringoire en caressant son menton difforme avec sa main calleuse, je ne vois pas pourquoi tu ne serais pas pendu. Il est vrai que cela a l’air de te répugner; et c’est tout simple, vous autres bourgeois, vous n’y êtes pas habitués, vous vous faites de la chose une grosse idée. Après tout, nous ne te voulons pas de mal, voici un moyen de te tirer d’affaire pour le moment, veux-tu être des nôtres? »

      On peut juger de l’effet que fit cette proposition sur Gringoire, qui voyait la vie lui échapper, et commençait à lâcher prise. Il s’y rattacha énergiquement.

      « Je le veux, certes, bellement, dit-il.

      – Tu consens, reprit Clopin, à t’enrôler parmi les gens de la petite flambe?

      – De la petite flambe. Précisément, répondit Gringoire.

      – Tu te reconnais membre de la franche bourgeoisie? reprit le roi de Thunes.

      – De la franche bourgeoisie.

      – Sujet du royaume d’argot?

      – Du royaume d’argot.

      – Truand?

      – Truand.

      – Dans l’âme?

      – Dans l’âme.

      – Je te fais remarquer, reprit le roi, que tu n’en seras pas moins pendu pour cela.

      – Diable! dit le poète.

      – Seulement, continua Clopin, imperturbable, tu seras pendu plus tard, avec plus de cérémonie, aux frais de la bonne ville de Paris, à un beau gibet de pierre, et par les honnêtes gens. C’est une consolation.

      – Comme vous dites, répondit Gringoire.

      – Il y a d’autres avantages. En qualité de franc-bourgeois, tu n’auras à payer ni boues, ni pauvres, ni lanternes, à quoi sont sujets les bourgeois de Paris.

      – Ainsi soit-il, dit le poète. Je consens. Je suis truand, argotier, franc-bourgeois, petite flambe, tout ce que vous voudrez. Et j’étais tout cela d’avance, monsieur le roi de Thunes, car je suis philosophe; et omnia in philosophia, omnes in philosopho continentur



<p>20</p>

Décline tes qualités. – Скажи своё звание.