Название | Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel |
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Автор произведения | Marcel Proust |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373511 |
Vous ne pouvez lire Lamartine que par une nuit de neige et écouter Wagner qu’en faisant brûler du cinname.
Pourtant vous êtes honnête homme, assez riche pour ne pas faire de dettes si vous ne les croyiez nécessaires à votre génie, assez tendre pour souffrir de causer à votre femme un chagrin que vous trouveriez bourgeois de lui épargner, vous ne fuyez pas les compagnies, vous savez y plaire, et votre esprit, sans que vos longues boucles fussent nécessaires, vous y ferait assez remarquer. Vous avez bon appétit, mangez bien avant d’aller dîner en ville, et enragez pourtant d’y rester à jeun. Vous prenez la nuit, dans les promenades où votre originalité vous oblige, les seules maladies dont vous souffriez. Vous avez assez d’imagination pour faire tomber de la neige ou brûler du cinname sans le secours de l’hiver ou d’un brûle-parfum, assez lettré et assez musicien pour aimer Lamartine et Wagner en esprit et en vérité. Mais quoi! à l’âme d’un artiste vous joignez tous les préjugés bourgeois dont, sans réussir à nous donner le change, vous ne nous montrez que l’envers.
IX – Contre la franchise
Il est sage de redouter également Percy, Laurence et Augustin. Laurence récite des vers, Percy fait des conférences, Augustin dit des vérités. Personne franche, voilà le titre de ce dernier, et sa profession, c’est ami véritable.
Augustin entre dans un salon; je vous le dis en vérité, tenez-vous sur vos gardes et n’allez pas oublier qu’il est votre ami véritable. Songez qu’à l’instar de Percy et de Laurence, il ne vient jamais impunément, et qu’il n’attendra pas plus pour vous les dire que vous lui demandiez quelques-unes de vos vérités, que ne faisait Laurence pour vous dire un monologue ou Percy ce qu’il pense de Verlaine. Il ne se laisse ni attendre ni interrompre, parce qu’il est franc comme Laurence est conférencier, non dans votre intérêt, mais pour son plaisir.
Certes votre déplaisir avive son plaisir, comme votre attention celui de Laurence. Mais ils s’en passeraient au besoin, Voilà donc trois impudents coquins à qui l’on devrait refuser tout encouragement, régal, sinon aliment de leur vice. Bien au contraire, ils ont leur public spécial qui les fait vivre. Celui d’Augustin le diseur de vérités est même très étendu. Ce public, égaré par la psychologie conventionnelle du théâtre et l’absurde maxime; «Qui aime bien châtie bien», se refuse à reconnaître que la flatterie n’est parfois que l’épanchement de la tendresse et la franchise la bave de la mauvaise humeur.
Augustin exerce-t-il sa méchanceté sur un ami? ce public-là oppose vaguement dans son esprit la rudesse romaine à l’hypocrisie Byzantine et s’écrie avec un geste fier, les yeux allumés par l’allégresse de se sentir meilleur, plus fruste, plus indélicat: «Ce n’est pas lui qui vous parierait tendrement… Honorons-le: Quel ami véritable!…»
X
Un milieu élégant est celui où l’opinion de chacun est faite de l’opinion des autres. Estelle faite du contrepied de l’opinion des autres? C’est un milieu littéraire.
L’exigence du libertin qui veut une virginité est encore une forme de l’éternel hommage que rend l’amour à l’innocence.
En quittant les **, vous allez voir les ***, et la bêtise, la méchanceté, la misérable situation des ** est mise à nu. Pénétré d’admiration pour la clairvoyance des ***, vous rougissez d’avoir d’abord eu quelque considération pour les **. Mais quand-vous retournez chez eux, ils percent de part en part les *** et à peu près avec les mêmes procédés. Aller de l’un chez l’autre, c’est visiter les deux camps ennemis. Seulement comme l’un n’entend jamais la fusillade de l’autre, il se croit le seul armé. Quand un c’est aperçu que l’armement est le même et que les forces ou plutôt les faiblesses sont à peu près pareilles, on cesse alors d’admirer celui qui tire et de mépriser celui qui est visé. C’est le commencement de la sagesse. La sagesse, même serait de rompre avec tous les deux.
XI – Scénario
Honoré est assis dans sa chambre. Il se lève et se regarde dans la glace:
SA CRAVATE – Voici bien des fois que tu charges de langueur et que tu amollis rêveusement mon noeud expressif et un peu défait. Tu es donc amoureux, cher ami; mais pourquoi es-tu triste?…
SA PLUME – Oui, pourquoi es-tu triste? Depuis une semaine tu me surmènes mon maître, et pourtant j’ai bien changé de genre de vie! Moi qui semblais promise à des tâches plus glorieuses, je crois que je n’écrirai plus que des billets doux, si j’en juge par ce papier à lettres que tu viens de me faire faire. Mais ces billets doux seront tristes, comme me le présagent les désespoirs nerveux dans lesquels tu me saisis et me reposes tout à coup. Tu es amoureux, mon ami, mais pourquoi es-tu triste?
DES ROSES, DES ORCHIDÉES, DES HORTENSIAS, DES CHEVEUX DE VÉNUS, DES ANCOLIES, qui remplissent la chambre. – Tu nous as toujours aimées, mais jamais tu ne nous appelas autant à la fois à te charmer par nos poses fières et mièvres, notre geste éloquent et la voix touchante de nos parfums. Certes, nous te présentons les grâces fraîches de la bien-aimée. Tu es amoureux, mais pourquoi es-tu triste?…
DES LIVRES. – Nous fûmes toujours tes prudents conseillers, toujours interrogés, toujours inécoutés.
Mais si nous ne t’avons pas fait agir, nous t’avons fait comprendre, tu as couru tout de même à la défaite; mais au moins tu ne t’es pas battu dans l’ombre et comme dans un cauchemar: ne nous relègue pas à l’écart comme de vieux précepteurs dont on ne veut plus. Tu nous as tenus dans tes mains enfantines. Tes yeux encore purs s’étonnèrent en nous contemplant. Si tu ne nous aimes pas pour nous-mêmes, aimenous pour tout ce que nous te rappelons de toi, de tout ce que tu as été, de tout ce que tu aurais pu être, et avoir pu l’être n’est-ce pas un peu, tandis que tu y songeais, l’avoir été?
Viens écouter notre voix familière et sermonneuse; nous ne te dirons pas pourquoi tu es amoureux, mais nous te dirons pourquoi tu es triste, et si notre enfant se désespère et pleure, nous lui raconterons des histoires, nous le bercerons comme autrefois quand la voix de sa mère prêtait à nos paroles sa douce autorité, devant le feu qui flambait de toutes ses étincelles, de tous tes espoirs et de tous tes rêves.
HONORÉ. – je suis amoureux d’elle et je crois que je serai aimé. Mais mon coeur me dit que moi qui fus si changeant, je serai toujours amoureux d’elle, et ma bonne fée sait que je n’en serai aimé qu’un mois. Voilà pourquoi, avant d’entrer dans le paradis de ces joies brèves, je m’arrête sur le seuil pour essuyer mes yeux.
SA BONNE FÉE. – Cher ami, je viens du Ciel t’apporter ta grâce, et ton bonheur dépendra de toi. Si, pendant un mois, au risque de gâter par tant d’artifices les joies que tu te promettais des débuts de cet amour, tu dédaignes celle que tu aimes, si tu sais pratiquer la coquetterie et affecter l’indifférence, ne pas venir au rendez-vous que vous prendrez et détourner tes lèvres de sa poitrine qu’elle te tendra comme une gerbe de roses, votre amour fidèle et partagé s’édifiera pour l’éternité sur l’incorruptible base de ta patience.
HONORÉ, sautant de joie. – Ma bonne fée, je t’adore et je t’obéirai.
LA PETITE PENDULE DE SAXE. – Ton amie est inexacte, mon aiguille a déjà dépassé la minute où tu la rêvais depuis si longtemps et où la bien-aimée devait venir. Je crains bien de rythmer encore longtemps de mon tic-tac monotone ta mélancolique et voluptueuse attente; tout en sachant le temps, je ne comprends rien à la vie, les heures tristes prennent la place des minutes joyeuses, se confondent en moi comme des abeilles dans une ruche…
La sonnette retentit; un domestique va ouvrir la porte.
LA