Название | Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron |
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Автор произведения | Ciceron |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373825 |
Thaïs me fait, dis-tu, mille remerciements ?
Il suffisait de répondre : Oui, mille. Mais le flatteur dit, un million ; car il exagère tout au gré de celui qui l’écoute. Quoique cette flatterie mensongère n’ait de valeur qu’auprès de ceux qui la recherchent et la provoquent, il y a pourtant un conseil à donner aux hommes graves et raisonnables ; c’est de se tenir en garde contre la flatterie adroite et masquée. Un flatteur impudent ne peut tromper qu’un imbécille. Mais on ne saurait assez se prémunir contre les insinuations du flatteur qui se cache et se déguise : il n’est pas toujours facile de découvrir ses ruses. Souvent même il ne vous contredit que pour se ranger ensuite de votre avis ; il ne combat votre opinion que pour mieux vous flatter, en finissant par rendre les armes, par s’avouer vaincu ; et cette victoire qu’il vous accorde est un moyen de vous faire plus sûrement sa dupe[26]. Est-il un rôle plus humiliant ? Soyons donc sur nos gardes ; craignons qu’on ne dise de nous, comme dans l’Épiclérus :
Vous avez aujourd’hui bien berné devant moi
Tous ces vieux radoteurs, barbons de comédie.
Les vieillards crédules et imprévoyants sont en effet les personnages de comédie les plus insensés. Mais nous sommes tombés, je ne sais comment, de l’amitié des honnêtes gens, c’est-à-dire des sages (je prends ce mot dans le sens usuel), aux amitiés superficielles et trompeuses. Revenons enfin à la véritable amitié, et terminons cet entretien.
XXVII. La vertu, la vertu, je le répète, Fannius et Scévola, produit l’amitié et la conserve ; car tout se trouve en elle, sympathie, stabilité, constance. Dès qu’elle se montre dans quelqu’un, dès qu’elle y fait briller ses rayons, et qu’elle les aperçoit et les reconnaît dans un autre, ce sont alors deux êtres qui s’attirent, se rapprochent pour se confondre[27], et s’enflamment ainsi ou d’amour ou d’amitié ; sentiments qui ne sont que deux différentes manières d’aimer. Or, aimer n’est autre chose que chérir quelqu’un pour lui-même, et sans aucune vue d’intérêt et d’utilité. Cependant cette utilité naît infailliblement de l’amitié même ; on n’y songeait pas, mais elle en est inséparable. C’est ainsi que, dans ma jeunesse, j’aimai des hommes illustres bien plus âgés que moi, L. Paullus, M. Caton, C. Gallus, P. Nasica, Tib. Gracchus(28), beau-père de mon cher Scipion. L’amitié est encore plus vive entre gens de même âge, tels que nous étions Scipion et moi, et L. Furius, P. Rutilius, Sp. Mummius. Je me complais à mon tour, à présent que je suis vieux, dans l’amitié des jeunes gens, comme dans la vôtre, dans celle de Q. Tubéron, même dans celle de P. Rutilius et d’A. Virginius, dont la société me plaît beaucoup, malgré leur grande jeunesse. Toutefois, puisque la succession des âges est dans l’ordre de la nature, il est bien à désirer de pouvoir passer la vie avec ceux de son âge, et d’arriver, pour ainsi dire, à la borne avec ceux même à qui la barrière a été ouverte en même temps qu’à nous. Mais les choses humaines sont si incertaines, si fragiles ! faisons-nous donc toujours des amis que nous chérissions et qui nous chérissent. Si vous ôtez de la vie la bienveillance et l’affection, vous en bannissez toute la douceur. Scipion, quoiqu’il m’ait été si subitement enlevé, vit encore et vivra toujours pour moi ; car c’est sa vertu que j’aimais, et elle n’a point péri. Et ce n’est pas pour moi seul, qui en ai joui sans cesse, que sa vertu existe encore ; elle passera dans tout son éclat à la postérité. Nul homme ne concevra, n’entreprendra jamais rien de grand sans se proposer Scipion pour modèle, sans avoir son image devant les yeux.
Oui, de tous les biens que j’ai reçus de la nature ou de la fortune, il n’en est aucun que je puisse comparer à l’amitié de Scipion. Par elle, nous n’avons eu qu’un même sentiment sur les intérêts de l’état, qu’un même conseil dans nos affaires domestiques ; par elle, nos loisirs ont été remplis de charmes. Jamais, que je sache, je ne l’offensai dans la moindre chose ; jamais il ne sortit de sa bouche une parole que je n’eusse pas voulu entendre. Nous habitions la même maison, nous vivions à la même table, et jamais on ne nous vit séparés ni à la guerre, ni en voyage, ni à la campagne. Que dirai-je de notre ardeur d’augmenter et d’étendre nos connaissances, de ces études qui, loin des yeux du vulgaire, occupaient tous nos loisirs ? Si le souvenir de tant d’heureux moments avait péri avec lui, il me serait absolument impossible aujourd’hui de supporter la perte d’un si cher et si excellent ami. Mais non, il n’a point péri dans mon esprit, ce souvenir ; il s’y nourrit par la pensée, il y vit plus que jamais. Enfin, quand je l’aurais perdu tout entier, je trouverais encore une grande consolation dans mon âge avancé ; car cette privation ne peut plus être longue pour moi, et le mal qui dure peu, quelque violent qu’il soit, est plus facile à supporter.
Voilà ce que j’avais à vous dire de l’amitié. Je vous exhorte à la mettre au-dessus de tous les liens après la vertu, qui doit avoir le premier rang, et qui est la base de l’amitié même.
Notes
1. Consul en 658 avec L. Licinius Crassus.
2. Espèce de siège en demi-cercle.
3. D. Junius Brutus, qui fut consul en 615 avec P. Scipion Nasica Sérapion.