La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières. David D. Reitsam

Читать онлайн.
Название La Querelle d'Homère dans la presse des Lumières
Автор произведения David D. Reitsam
Жанр Документальная литература
Серия Biblio 17
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 9783823302872



Скачать книгу

un des enjeux de la Querelle d’Homère. Et même s’il s’agit, du moins selon Larry F. Norman, d’un sujet de désaccord de deuxième ordre6, les contributeurs au Nouveau Mercure galant qui participent aux débats en parlent à plusieurs reprises.

      Dans une lettre parue pour la première fois en 1714 et republiée dans le Nouveau Mercure galant de mars 17157, l’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons réagit aux accusations d’Anne Dacier et entame une véritable défense de la langue française. Tout comme La Motte dans son Discours sur Homère8, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons formule plusieurs questions rhétoriques pour introduire son argumentation :

      Est il bien vray que nostre Langue soit inferieure à la Langue Grecque ? Est il bien vray que la Langue Françoise ne suffise pas à rendre parfaitement les grandes idées, les hauts sentiments, les passions heroïques, les vivacitez galantes, les failles satyriques, les naïvetez fines ? A t elle [sic] mal servi à ces differens égards, Corneille, PierreCorneille, Racine, JeanRacine, Molière [Moliere]Moliere, Despréaux [Despreaux]Boileau, NicolasDespreaux, La Fontaine, Jean deLa Fontaine ? Cette langue n’a-t-elle pas aussi son harmonie comme la Grecque : Quand nous lisons nos bons Ouvrages, soit de Prose, soit de Poësie, n’éprouvons nous pas un sentiment confus de plaisir, que nous nous attribuons au son pretendu harmonieux des expressions9 ?

      Cette longue énumération de questions diverses peut être interprétée de deux façons différentes : d’un côté, elle illustre la stupéfaction de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons qui paraît surpris, voire choqué, de cette attaque contre le français et, de l’autre, elle est censée amener le lecteur à réfuter – point par point – les reproches formulés par Anne Dacier. Par la suite, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons continue sa défense : il explique que la précision et l’élégance d’une langue dépendent de plusieurs choses, et il se prononce, en même temps, contre les traductions littérales10. Afin de conclure, il assure encore, avec un clin d’œil ironique, que le français n’est pas seulement parfait, mais que Homère lui-même aurait adoré cette langue s’il avait vécu au début du XVIIIe siècle. Ainsi, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons semble suggérer que Dacier ne maîtrise guère sa langue maternelle et que ce soit la raison pour laquelle elle la trouve défectueuse.

      Après avoir donc développé une argumentation focalisée principalement sur le français, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons aborde le problème d’une manière plus générale. Toujours en s’inspirant de La Motte qui écrit que « [l]es langues ont […] des avantages réciproques qui se compensent11 », Pons, Jean-François de [M. P.]Pons explique :

      On ne sҫauroit dire qu’une Langue soit moins propre qu’une autre à la vraye peinture des pensées & des sentiments ; les mots ne signifient rien par eux-mêmes, c’est le caprice arbitraire des Nations. […] Ce qu’on a senti ou pensé, on peut l’exprimer avec une élegance égale dans toutes les Langues ; & chaque Langue vous fournira les expressions uniques12.

      Ce plaidoyer en faveur de l’égalité des langues paraît s’inspirer de La Motte ou encore de Fontenelle, Bernard Le Bovier deFontenelle qui, certes, ne discute pas les qualités des différentes langues dans son Digression sur les Anciens et les Modernes, mais qui explique que les capacités de l’esprit ne diffèrent pas d’un pays à l’autre : « Nous voilà donc tous parfaitement égaux, Anciens et Modernes, Grecs, Latins et Français13. » À l’instar des chefs de file des Modernes, Pons, Jean-François de [M. P.]Pons refuse donc de surévaluer l’influence extérieure sur le génie des peuples et, en tant que bon géomètre, il n’adhère pas à la fameuse théorie du climat qui préoccupe les hommes de lettres et les savants de son époque et à laquelle de nombreux Anciens souscrivent14.

      Avec plus d’ardeur, un autre contributeur au Nouveau Mercure galant défend la langue française. Dans la livraison d’avril 1715, un auteur anonyme – un certain « Abbé de ***15 » – propose au public une « Comparaison des discours » qui oppose les propos d’Anne Dacier à ceux d’Houdar de La Motte. D’une manière diplomate, il constate d’abord que ni l’Ancienne ni le Moderne n’estiment le grec à sa juste valeur16 : alors que Dacier aime trop la langue d’Homère, La Motte ne l’apprécie pas assez. De plus, il consacre trois des 21 points de sa démonstration à décrire et classifier le grec, le latin et le français. Tout en accordant des points positifs à chacune des trois langues, il arrive cependant à une autre conclusion que Pons, Jean-François de [M. P.]Pons. D’après l’auteur anonyme, la langue de Molière l’emporte :

      La langue Françoise est aussi douce, aussi nombreuse, aussi harmonieuse, & même plus naturelle que la Grecque, elle n’en a ny le faste ny la secheresse. C’est la langue d’une Nation qui sҫait faire goûter ses manieres par les autres peuples, & ils voudroient tous parler François, s’ils avoient le choix d’une langue17.

      Mais, le contributeur anonyme reprend ici quelques idées qui sont également développées par Pons, Jean-François de [M. P.]Pons. Comme celui-ci, il évoque les manières galantes de la haute société au service de laquelle le français a fait ses preuves, l’harmonie de cette même langue et sa capacité à divertir. Cette idée n’est pourtant pas nouvelle. Dans l’essai « Les ‘belles’ et les Belles Lettres », Myriam Dufour-Maître se réfère au Père Bouhours, DominiqueBouhours et l’abbé Morvan de Bellegrade, Morvan deBellegrade afin d’expliquer le lien qui existe entre la galanterie et les valeurs de la société mondaine : « [L]a langue française est une honnête femme, chaste et pure, mais sans affectation de pruderie, claire, douce et tempérée18. » Un peu plus loin, Dufour-Maître souligne le rôle positif que la langue de Molière joue aux yeux des contemporains de Louis XIVLouis XIV : « Et si la langue française est galante, c’est honnête galanterie19. »

      En outre, l’auteur inconnu ajoute dans le Nouveau Mercure galant que tout le monde admire le français20. Il pousse donc plus loin la réflexion hypothétique développée par Pons, Jean-François de [M. P.]Pons qui soutient que Homère aurait adoré l’idiome français s’il avait été un sujet du roi-soleil : une simple supposition est ainsi transformée en affirmation incontestable et enthousiaste que l’on peut sans aucun doute qualifier de proto-nationaliste et prémonitoire – voir à cet égard le rayonnement du français dans l’Europe des Lumières21.

      Si les contributions de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons et de l’auteur inconnu se concentrent principalement sur les qualités des langues, ils vont encore plus loin. L’abbé Jean-François de Pons, Jean-François de [M. P.]Pons, par exemple, présente les livres de ses compatriotes de la manière suivante : « Nos bons ouvrages22. » De ce fait, il établit un lien entre les Français et les textes écrits en français. Force est de constater que Pons, Jean-François de [M. P.]Pons crée ici une sorte de patrimoine avant la lettre – rappelons-nous qu’il cite Corneille, PierreCorneille, Molière [Moliere]Molière, Racine, JeanRacine et d’autres écrivains – et qu’il lie ainsi incontestablement la langue française à la culture et à l’identité du royaume. Il ne développe cependant pas davantage cette ligne d’argumentation, mais dans d’autres textes, les contributeurs au Nouveau Mercure galant préfèrent explicitement une approche plus patriotique – pour utiliser ce terme anachronique23 – en faisant de la défense de l’idiome français celle de toute la culture française. Ainsi, l’aspiration hégémonique du royaume de Louis XIVLouis XIV se manifeste également dans les pages du périodique.

      Dans le Nouveau Mercure galant d’avril 1715, Hardouin Le Fèvre de Fontenay publie par exemple une « Lettre curieuse & tres-amusante sur le même sujet [la Querelle d’Homère]24 ». Cet envoi au responsable de la revue ne forme cependant que le récit-cadre pour une discussion entre deux femmes épiées « hier aux Thuileries25 » par l’auteur de la lettre. Le sujet de leur débat constitue « le Livre de Madame D. 26 », c’est-à-dire probablement Des causes de la corruption du goût d’Anne Dacier. La « Brune » qui représente le parti des Modernes n’aborde que brièvement la question des langues : « La versification d’Homere dans une Langue qui luy est avantageuse, peut luy fournir des graces que nôtre prose n’a pas27.