Название | Lettres à Mademoiselle de Volland |
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Автор произведения | Dénis Diderot |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079130 |
Il était sept heures et demie; l'allée devenait froide; l'architriclin de monseigneur m'attendait; j'avais promis à Grimm qu'il m'aurait entre huit et neuf; nous nous séparâmes donc. Je rentrai au Palais-Royal; je causai environ trois quarts d'heure avec M. de Montamy. Les mœurs furent notre texte; je dis là-dessus bien des choses dont je ne me souviens plus, si ce n'est que les hommes ont une étrange opinion de la vertu; ils croient qu'elle est à leur disposition, et qu'on devient honnête homme du jour au lendemain. Ils gardent leur linge sale tant qu'ils ont des vilenies à faire, et ils en font toute leur vie, parce qu'on ne quitte pas une habitude vicieuse comme une chemise. C'est pis que la peau du centaure Nessus; on ne l'arrache pas sans douleur et sans cris: on a plus tôt fait de rester comme on est. Oh! mon amie, ne faisons point le mal, aimons-nous pour nous rendre meilleurs, soyons-nous, comme nous l'avons été, censeurs fidèles l'un à l'autre. Rendez-moi digne de vous, inspirez-moi cette candeur, cette franchise, cette douceur qui vous sont naturelles. Il y a plus loin de notre état d'innocence actuelle à une première faute que d'une première faute à une seconde, et que de celle-ci à une troisième. Si je vous trompais une fois, je pourrais vous tromper mille; mais je ne vous tromperai jamais. Vous veillez au fond de mon cœur, vous êtes là, et rien de déshonnête ne peut approcher de vous. M. de Montamy me demanda ce que c'était qu'un homme heureux dans ce monde? Et je lui répondis: Celui à qui la nature a accordé un bon esprit, un cœur juste et une fortune proportionnée à son état.—Votre réponse, me dit-il, est celle que me fit un jour M. de Silhouette: il n'était pas alors fort opulent. Le contrôle général était bien loin de lui. Tous ses souhaits se bornaient à 30,000 livres de rente, et il s'écriait: «Si je les ai jamais, je serai bien plus honnête homme.» Si j'avais entendu ce discours de M. de Silhouette, j'en aurais peut-être conclu qu'il était un fripon: il y a de certains aveux sur lesquels on ne risque rien d'enchérir un peu. Tout le monde n'a pas ma sincérité. Quand je médis de moi je ne ménage pas les termes. Je dis ce qu'on peut dire de pis, je ne laisse rien à ajouter à ceux qui m'écoutent; et je me soucie fort peu qu'ils me prennent au mot. Vous surtout, mon amie, je ne veux pas que vous en rabattiez. Si le vice dont je m'accuse n'est pas dans mon cœur, il faut qu'il y en ait un autre dans mon esprit. Si ce principe vous paraît juste, vous m'apprécierez juste, et vous serez demain, après-demain, dans dix ans, également contente ou mécontente de moi. Faites-vous à mes défauts; je suis bien vieux pour me corriger: il vous sera plus facile d'avoir une vertu de plus qu'à moi un vice de moins. Je vaux quelque chose par certains côtés; par exemple, j'ai de l'esprit à proportion de celui qu'on a. Votre sœur m'en donnait quelquefois beaucoup. Avec vous, je sens, j'aime, j'écoute, je regarde, je caresse, j'ai une sorte d'existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos bras, je jouis d'un bonheur au delà duquel je n'en conçois point. Il y a quatre ans que vous me parûtes belle; aujourd'hui je vous trouve plus belle encore; c'est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus.
Au sortir du Palais-Royal, j'allai chez Grimm. Il n'y était pas; je vous écrivis en attendant qu'il vînt; il ne tarda pas. Nous causâmes de lui, de vous, de votre mère, de moi. Il n'entend rien à cette femme. J'ai apporté ici votre journal; continuez-le-moi: je vous ferai le mien. Il sera peut-être un peu monotone, surtout pendant que les jours continueront d'être pluvieux; mais qu'importe? vous y verrez du moins que mes plus doux moments sont ceux où je pense à vous.
J'ai été occupé toute la matinée d'Héloïse et d'Abélard. Elle disait: «J'aimerais mieux être la maîtresse de mon philosophe que la femme du plus grand roi du monde.» Et je disais, moi: Combien cet homme fut aimé!
Adieu, ma Sophie; je vous embrasse de tout mon cœur.
XXII
Au Grandval, le 15 octobre 1759.
Voilà pour la troisième fois que j'envoie à Charenton, et point de nouvelles de mon amie. Sophie, pourquoi donc ne m'avez-vous point écrit? Le domestique partit avant-hier à deux heures et demie; je lui avais recommandé de mettre mes lettres dans la commode à laquelle je laisserais la clef. À six heures, je pensai qu'il pourrait être revenu. Jamais soirée ne me parut plus longue. Je montai, j'ouvris le tiroir; point de lettres. Je descendis, j'avais l'air inquiet; on s'en aperçut; car tout ce qui se passe dans mon âme on le voit sur mon visage. On causa; je pris peu de part à la conversation; on me proposa de jouer, j'acceptai Au milieu de la partie, je quittai, j'allai voir, et je ne trouvai rien. Je me dis: Apparemment que ce coquin-là se sera amusé à boire, et qu'il ne viendra que bien tard. Tant mieux; je me retirerai de bonne heure; je serai seul; je me coucherai, et je lirai la tête sur mon oreiller.
C'était un grand plaisir que je me promettais; j'étais impatient qu'on eût servi, et qu'on eût soupe, et qu'on remontât. Ce moment enfin arriva; je courus à la commode; je ne doutai point d'y trouver ce que je cherchais, et je fus vraiment chagrin d'être trompé dans mon attente.
Qu'est-ce