Histoires de mariages. Ernest d' Hervilly

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Название Histoires de mariages
Автор произведения Ernest d' Hervilly
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066323301



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mon entretien avaient absorbé, sauf une petite somme, l’argent que m’avait laissé mes parents.

      Il était tout disposé, me dit-il encore, à pourvoir, de sa propre bourse, à tous mes besoins jusqu’au jour où j’aurais un établissement sérieux, mais à condition que je renoncerais à mes bêtises musicales.

      Il dit «bêtises», oui, messieurs, et Apollon ne descendit pas pour l’écorcher vif.

      A ce discours, je répondis:

      –Mon cher parrain, je serais désolé de vous priver et de priver ma chère Henriette,–c’était le nom de la fille de M. Seuleunéer, et je l’adorais –d’une parcelle, même infinitésimale, de votre fortune. Ayez seulement l’obligeance de continuer à faire valoir le petit capital qui est mon bien particulier, et tout ce que je vous demande, c’est de m’en faire parvenir mensuellement la rente à Paris, où je serai demain, avant le coucher du soleil, si la vapeur n’est pas un vain mot.

      –Tu pars, s’écria Henriette qui avait écouté cet entretien suprême avec effroi.

      –Oui, ma mignonne. Je suis un cancre fieffé. Je sens bien que je ne pourrai jamais devenir ce que mon parrain, non sans raison (car l’art est long et la vie est brève), voudrait que je devinsse: un commerçant, un notaire, ou tout autre espèce d’homme considérable et posé. Je serai musicien. Cultivons notre jardin, a dit Candide…

      –Tu mourras sur la paille, voilà tout.

      –Peut-être, mon parrain, mais soyez sûr du moins que j’y mourrai honnêtement, et en gardant jusqu’au dernier moment le souvenir reconnaissant de ceux qui ont remplacé, auprès de moi, pauvre petit orphelin, les parents que la tombe m’a pris.

      –Va donc à Paris! murmura M. Seuleunéer, et… et… quittons-nous bons amis. Si plus tard tu te ranges, si tu trouves que la vache enragée est indigeste, si tu prends enfin un métier, fut-il le plus humble, je serai là pour t’aider.

      –Encore un mot, mon cher parrain, un seul:–J’aime Henriette et j’espère bien que vous attendrez, pour la marier, que je sois.

      –Il est trop tard, trop tard!–Jamais Henriette ne sera la femme d’un entêté joueur de lyre!

      Il dit «joueur de lyre», avec un mépris extrême, et Apollon, provoqué pour la seconde fois, ne descendit pas de l’Olympe pour l’écorcher avec délices.

      Pendant que nous nous livrions à cette joûte oratoire, la pauvre Henriette fondait littéralement en larmes.

      Je me hâtai de prendre congé d’elle et de mon parrain, car mon cœur se brisait à la vue de la chère enfant.

      Mais je n’eus pas le temps de leur dire adieu d’un air indifférent. Des pleurs jaillirent de mes yeux soudainement, comme je tenais le bouton de la porte.

      Mon parrain s’attendrit à son tour. Ce fut une averse générale. Au bout d’un instant, nul n’aurait pu traverser la chambre à pied sec.

      Je me précipitai donc dehors, tout ruisselant.

      Il était temps!

      Une minute de plus, en effet, et je jurais à mon parrain que je renonçais à la flûte, à ses pompes et à ses œuvres.

      Le lendemain, j’étais à Paris. C’était l’époque de la rentrée au Conservatoire. Je m’y présentai, un professeur désagréable m’écouta, et je fus admis dans sa classe en qualité d’auditeur.

      Mais nous voilà bien loin de l’excellent roi nègre Rana-wah-go. Revenons donc à ce souverain d’un brun foncé.

      Le capitaine Saint-Ideuc, que j’ai à vous présenter, ramène tout naturellement Boule-de-Suie en scène. Boule-de-Suie était un des clients les plus remarquables du capitaine Saint-Ideuc. Celui-ci faisait, entre la Guinée et Anvers, avec escale principale à Dunkerque, un commerce lucratif de bêtes curieuses et même féroces.

      En échange des animaux que lui livrait Boule-de-Suie, le capitaine Saint-Ideuc amenait à la côte des Dents des liqueurs d’une force extraordinaire, des Bibles de la société anglaise et des catéchismes catholiques, le tout pêle-mêle. Le capitaine Saint-Ideuc était très éclectique en matière de cultes. L’or était son dieu principal, il le célébrait seul avec une grande dévotion. Ce qui ne l’empêchait pas, en Europe, de se montrer parfait protestant quand il allait chercher une cargaison de Bibles à Londres, ou parfait catholique quand il obtenait à Cambrai un fort chargement de catéchismes et de «journées du Chrétien» destinés à la nourriture spirituelle des noirs plongés jusqu’au cou dans les ténèbres de l’ignorance.

      Donc Boule-de-Suie était une mine d’or pour le capitaine Saint-Ideuc. Boule-de-Suie préférait, il faut l’avouer, le contenu des barils de faux rhum du capitaine au contenu de ses livres saints. Il se faisait néanmoins, là-bas, une grande consommation de ces bouquins, car les naturels impies avaient à la longue trouvé le moyen d’accommoder et de manger les peaux de leur reliure. Un ragoût de peaux de reliure était devenu, parmi les sujets de Boule-de-Suie, une friandise de high life, depuis que les délices de l’anthropophagie avaient été interdites, dans l’intérieur du pays, en exécution des ordres de la France et de l’Angleterre.

      Après avoir mangé les reliures, les noirs, tout en fumant leur pipe, faisaient leur profit (quand ils savaient lire) des hauts enseignements renfermés dans les pages des livres sacrés.

      Les bibles et les catéchismes servaient donc à la fois de nourriture spirituelle et matérielle aux noirs plongés jusqu’au cou, et même au delà, dans les ténèbres de l’ignorance.

      Rana-wah-go, lui, n’avait aucun goût pour les fricassées de reliures, et c’était au rhum de la Jamaïque, fabriqué à Dunkerque, qu’il demandait de le consoler des déceptions du pouvoir unies aux tracasseries de ses innombrables épouses.

      Le caractère trop agréable des principales épouses de Boule-de-Suie avait même réduit ce monarque, qu’elles tuaient à grand feu, à user fréquemment de ce reconstituant connu sous le nom d’huile de foie de morue.

      C’était Saint-Ideuc qui avait conseillé au roi nègre de réparer ses forces en absorbant, matin et soir, de nombreuses coupes d’huile de foie de morue. Boule-de-Suie ne détestait pas l’huile de foie de morue, au contraire. Il trouvait seulement le breuvage un peu fade, et pour lui donner du ton, il avait inventé d’y ajouter du rhum et beaucoup de malaguette, le poivre du pays.

      A l’aide de cet excellent régime, le potentat couleur de cirage s’inclinait chaque jour un peu plus vers la tombe.

      Pourtant, il avait encore un espoir. La dernière fois que Saint-Ideuc était venu à la côte des Dents, il avait promis à Rana-wah-go de lui rapporter, à son prochain voyage, mais en échange d’animaux carnassiers de grande taille, un remède infaillible, un élixir d’une vertu formidable.

      Confiant dans cette promesse, ayant rempli ses parcs de fauves terribles, Boule-de-Suie attendait impatiemment le retour de son étrange médecin blanc.

      Ce que faisait celui-ci, pendant que les populations de la côte des Dents interrogeaient chaque jour l’horizon et demandaient au ciel de ramener bientôt l’ami du roi et le grand fournisseur de rhum du pays, je vais vous le dire.

      Il était assis–et ceci se passait le lendemain du jour où je partis pour Paris–dans un petit estaminet de Cambrai, l’estaminet de La barque légère, en face de mon parrain Seuleunéer.

      A côté d’eux, sur la table, se dressaient deux chopes à demi vidées, mais soigneusement recouvertes, comme c’est l’habitude, par un couvercle mobile en étain.

      Ils causaient d’affaires de cœur et d’affaire d’argent.

      Mon parain Seuleunéer, vivement poussé par le capitaine, lequel était de passage à Cambrai pour l’acquisition d’un solde d’ouvrages pieux de M. de Ségur,–reliés en veau, bien entendu,