Les enfants, L'élève Gendrevin. Robert 1853-1886 Caze

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Название Les enfants, L'élève Gendrevin
Автор произведения Robert 1853-1886 Caze
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066302313



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que la chanson du lampiste qui nettoyait les quinquets de la salle affectée aux philosophes. C’était une sorte de mélopée rustique, traînarde et nasillarde, un de ces chants que les bergers de montagnes se renvoient dans les claires nuits d’août. Le surveillant général avait sans doute trouvé inconvenante la joie du cuistre, car, passant la tête dans la porte entrebâillée de l’étude, il s’écria:

      –Taisez-vous donc, Gervais; on n’entend que vous.

      Toujours suivi de l’écolier, M. Desmarais s’engagea dans un nouveau couloir sur lequel s’ouvraient les classes du moyen collège. On entendait des voix enfantines qui bredouillaient d’incomplètes phrases latines, des questions de professeurs entre lesquelles Gendrevin distingua celle-ci:

      –Dites-moi le supin de ludere?

      Instinctivement, par la seule force de l’habitude, Gendrevin laissa danser dans sa cervelle échauffée le mot lusum. Puis, en compagnie du surveillant général qui venait d’ouvrir une porte, il pénétra dans un préau semblable à celui du grand collège. Mêmes arbres souffreteux, même disposition architecturale. Les bureaux du censeur, du proviseur et de l’économe tenaient seuls la place qu’occupaient plus loin la lingerie, le vestiaire et le parloir. Un peu essoufflé parla marche, M. Desmarais fit une légère halte, après laquelle il pénétra chez le censeur en commandant à l’écolier de l’attendre.

      Durant cinq minutes environ, Gendrevin resta dehors presque inconscient, la tête martelée par une épouvantable migraine, retenant au fond du gosier l’angoisse d’une forte envie de pleurer. Ses yeux fixaient vaguement une bande grise de pierrots qui se roulaient, les plumes hérissées, le ventre en boule, dans la neige de la cour. Près de lui, une gouttière laissait couler un mince filet d’eau. Aucun autre bruit que l’écho lointain de la chanson reprise par le lampiste, malgré l’ordre du surveillant général. Celui-ci reparut enfin et commanda à l’élève d’entrer. Gendrevin traversa une sorte d’antichambre dans laquelle, derrière une niche grillée, un employé–le secrétaire de M. le censeur–établissait la moyenne des notes hebdomadaires. M. Desmarais heurta du doigt la boiserie supérieure d’une porte en chêne. Quelqu’un répondit: «Entrez» et, après avoir indiqué le chemin à l’écolier, le surveillant général dit obséquieusement:

      –Voilà l’élève Gendrevin, monsieur le censeur.

      Le censeur, un petit monsieur sec, moustachu, décoré, avec ses cheveux blancs coupés ras, sa redingote impitoyablement boutonnée et collant à la taille, parla d’une voix brève et impérative d’homme qui pose pour l’officier en retraite:

      –C’est donc vous, fit-il, qui vous êtes permis...

      Gendrevin lui coupa la parole et protesta immédiatement.

      –Non, m’sieu, non, ce n’est pas moi. M’sieu Bisson a menti.

      Il avait énoncé cette dernière allégation sans en calculer la valeur, avec la franchise carrée et nette de la colère indignée. Immédiatement le censeur se leva derrière son bureau dont les bords lui coupaient la taille en deux. Il serra les dents et ses os maxillaires tracèrent une arête dure de chaque côté des joues. Il roula des yeux stupéfaits, se décida à parler et siffla ceci entre ses lèvres:

      –Vous ajoutez, monsieur, l’insolence à la polissonnerie et à l’indiscipline.

      –Je vous jure, m’sieu le censeur, que ce n’est pas moi, répéta Gendrevin.

      En même temps son regard alla se fixer sur deux bustes–ceux de Rollin et de Fénelon–qui surmontaient la bibliothèque du fonctionnaire. Ces bonshommes de plâtre grimaçaient un sourire bénisseur, niais et agaçant. Le censeur reprit:

      –Les mauvais écoliers sont prodigues de serments. Je suis habitué à ces sortes de grandes paroles. Mais on ne me trompe pas, moi, monsieur! Vous feriez mieux d’avouer.

      –Vous pouvez ne pas me croire, m’sieu. Mais je vous le répète, je n’ai rien fait de mal. C’est parce que M. Bisson m’en veut qu’il m’accuse, voilà tout.

      –M. Bisson est un excellent maître. J’ai toujours rendu justice à son impartialité. N’essayez donc pas de m’en imposer par des subterfuges indignes d’un jeune homme loyal.

      –Je n’ai rien fait; ce n’est pas moi.

      –Qui serait-ce alors?

      –Je ne sais pas et si je le savais, je ne le dirais point. Je n’ai jamais dénoncé mes camarades.

      –Faites bien attention, monsieur Gendrevin. Il y va de votre renvoi du collège, c’est-à-dire de votre avenir. Voulez-vous avouer?

      –Mais je n’ai rien fait.

      –Trêve à une inutile et déjà trop longue discussion, reprit le censeur. Je vous donne vingt-quatre heures de réflexion. Vous irez les passer au séquestre. Si d’ici là, vous ne vous êtes pas décidé à dire la vérité, M. le proviseur écrira à votre famille de vous reprendre.

      L’universitaire se rassit et rédigea un ordre d’écrou fortement motivé. Pendant ce temps, Gendrevin restait morne, le regard allant des bustes d’anciens pédagogues aux livres ennuyeux alignés sur les rayons de la bibliothèque d’acajou. Dans la cheminée flambaient deux bûches dont les extrémités avaient des bulles d’eau noirâtre et pleurarde.

      Vous avez un Virgile, n’est-ce pas? interrogea le censeur en posant sa plume.

      –Oui, m’sieu! Je l’avais pris pour aller en classe.

      –Très bien. Vous me scanderez tout le second livre de l’Enéide. Vous avez compris, n’est-ce pas? Et tâchez de faire proprement ce pensum. Je le vérifierai moi-même.

      Puis, se levant, le censeur ouvrit la porte de son cabinet et rappela le surveillant général qui parlotait avec le scribe de l’antichambre:

      –Monsieur Desmarais, dit-il, vous aurez la bonté d’accompagner l’élève Gendrevin. Il restera aux arrêts jusqu’à après-demain. Recommandez-le, s’il vous plaît, à la surveillance toute spéciale de M. Séguin.

      –Allons, venez, Gendrevin, dit le surveillant. Vous avez toutes vos affaires, n’est-ce pas?

      Le collégien esquissa un signe de tête affirmatif et obéît. Cette fois-ci, il dut précéder M. Desmarais qui voulait avoir l’œil sur son prisonnier. Ce fut de nouveau toute une pérégrination à travers les corridors, puis la complète ascension d’un escalier de deux cent trente-trois marches. A chaque étage, des portes vitrées laissaient apercevoir les dortoirs, avec leurs couchettes de fer, leurs tables de nuit escabeaux surmontées de boites à toilette, leurs lavabos, longues cuvettes de zinc à minces robinets en cuivre.

      Le surveillant général geignait, ahélait, s’arrêtait sur les paliers pour reprendre le souffle, puis recommençait à poser lourdement les pieds sur chaque marche. Pensif, Gendrevin suivait tous les mouvements de cet homme. Ils arrivèrent enfin sous les combles devant une porte basse et guichetée, M. Desmarais l’ouvrit avec une forte clef et introduisit l’élève dans une grande salle nue, carrelée, où s’ouvrait une douzaine et demie de cellules. A l’angle de cette pièce, près d’une fenêtre, un vieux bien râblé et solide encore, lisait le Petit Journal. Ce bonhomme était accoudé sur une table noire mi-revêtue d’un sous-main en papier fort, gras, sali, constellé de pâtés. Il portait à la boutonnière de son veston râpé un ruban de la Légion d’Honneur. Il avait sous sa moustache grise l’air rébarbatif rendu plus mauvais encore par une forte ride qui bossuait le milieu de son front. Mais l’œil était bleu, très câlin, très doux, presque compatissant.

      A l’arrivée du surveillant général et de l’élève, le vieux interrompit sa lecture, plia son journal en quatre, leva la tête et s’écria:

      –L’illustre Gendrevin! Un habitué! Qu’est-ce qu’il a encore fait?