Les enfants, L'élève Gendrevin. Robert 1853-1886 Caze

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Название Les enfants, L'élève Gendrevin
Автор произведения Robert 1853-1886 Caze
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066302313



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tout à l’heure, répliqua presque impérieusement sœur Madeleine. Vous deviendriez plus malade si vous buviez coup sur coup.–

      Il n’osa pas insister. Malgré le vague de ses pensées, il gardait une forte appréhension pour la supérieure. Cette femme se montrait sévère à l’occasion. Elle avait une fermeté tenace à certaines heures, une force d’inertie à d’autres. Les élèves l’avaient surnommée Sœur Gendarme. Elle se montrait très orgueilleuse de ce sobriquet, faisait tout pour le conserver. Elle n’avait de douceur que pour les véritables malades et possédait une rare pénétration qui lui faisait distinguer du premier coup les paresseux amis du dorlotement des infirmeries. Dans son état d’abattement général Gendrevin était d’ailleurs incapable d’opposer la moindre réclamation aux ordres de sœur Gendarme. Elle-même bassina le lit de René, mit les deux oreillers au niveau convenable, les tapa d’un coup de poing, aida l’enfant à se coucher. Quand elle eut bordé les draps, elle prit la main de Gendrevin et lui tâta le pouls avec une assurance de vieux praticien.

      –Là, êtes-vous bien? interrogea-t-elle.

      Il ne répondit pas, n’ayant entendu qu’un murmure de paroles. Il avait du reste fermé les yeux dont les paupières étaient toujours appesanties. La soif continuait à le torturer et pourtant il éprouvait de grands maux de gorge en essayant d’avaler sa salive. Il ne se rendait plus compte de sa situation, du lieu où il se trouvait, des mots que l’on prononçait autour de lui. Seules l’injustice des maîtres et la punition qu’il venait de subir demeuraient à l’état fixe dans sa cervelle en feu. Cette rancune persistante était dominée par l’idée, par le besoin de la soif.

      –A boire! à boire! gémissait-il toutes les deux minutes.

      Bientôt, répondit sœur Félicité demeurée seule avec les deux malades. La supérieure m’a dit de vous donner de la tisane tous les trois quarts d’heure au plus.

      Mais il n’entendait pas et répétait obstinément:

      –A boire! à boire!

      Quatre fois, la religieuse le souleva et approcha de ses lèvres une tasse de tisane qu’il buvait avec une gloutonnerie d’ivrogne. Quand il avait avalé cette eau teintée de fleurs sèches, il poussait un petit cri douloureux. En passant à travers le gosier, le liquide paraissait blesser les muqueuses endolories et laissait au fond de la gorge un insupportable goût de sucre qui rendait poisseuse la salive de l’enfant. Pourtant à peine avait-il bu qu’il reprenait ces mots:

      –A boire! à boire!...

      Sœur Félicité finit par s’apercevoir que le sucre attisait peut-être le feu qui cuisait la gorge du malade. Elle lui apporta la tisane pure. Il ressentit un très léger mieux, quelque chose comme un apaisement. A côté de lui, l’autre collégien dormait, l’haleine courte, bredouillant parfois des lambeaux de phrase.

      René demeurait éveillé. Il avait rouvert les yeux et les tenait immuablement fixés en face de lui sur une portion de mur où la lumière d’une des veilleuses plaquait dans de la clarté toujours les mêmes sautillements. Pas d’autre émotion excepté la perception très vive des bruits lointains du dehors. Il restait sourd aux pas discrètement étouffés de sœur Félicité. Mais il entendit très nettement des sabots de rustre sur l’asphalte, des sifflets de machines à vapeur qui se répondaient dans la nuit, le grondement des voitures de vidange, des chansons de noceurs attardés dont les notes canailles lui arrivaient seules. Beaucoup plus tard des coqs déchirèrent le silence nocturne d’une sorte de sanglot strident. Il les écouta se renvoyer leurs saluts du matin. Puis, comme ses oreilles se remplissaient d’un bourdonnement semblable à la colère de l’Océan, il ferma les yeux et tomba dans l’anéantissement et le bienheureux oubli complet de lui-même qu’il avait souhaité durant la journée misérable de la veille.

      Vingt-quatre heures s’écoulèrent sans que René sortît de cet état de prostration. Il restait un corps pourvu de souffle. Là s’arrêtait son existence. Il n’eut aucune notion de la première visite du médecin qui le déclara excessivement malade et le¬ fit transporter d’urgence dans la salle de l’étage supérieur convertie en petit hôpital de fiévreux. Il se laissa emporter roulé dans des couvertures et Guébhart le garçon de l’infirmerie–un géant alsacien–le soutint comme un paquet inerte à l’aide de ses bras ornés d’un double tatouage représentant un zouave, et un faisceau d’armes, René n’eut ni la notion du milieu nouveau dans lequel il se trouvait, ni la perception de son mal. Tout semblait fini pour lui. Dans la grande salle où il était alité, une quinzaine d’autres petits malades rêvassaient. Deux religieuses, sœur Anaclet et sœur Félicité, visitaient les lits, abreuvant tel fiévreux de tisane, soutenant la tête de tel autre. Deux fois par jour, à huit heures du matin et à cinq heures du soir, le médecin, un vieux chauve rasé, serré dans sa redingote dont la boutonnière était tachée d’une rosette pourpre, venait, tâtait le pouls de chaque enfant, regardait les progrès de l’éruption ou de la desquamation, inscrivait illisiblement des ordonnances, donnait des ordres aux infirmières d’une voix brève et moyenne. Il prescrivit une surveillance spéciale pour Gendrevin. Il avait prononcé les mots de scarlatine angineuse et les deux sœurs s’étaient regardées avec étonnement, n’osant pas questionner le praticien, se demandant si René n’apportait pas un fléau nouveau. Ce fut sœur Félicité qui se chargea de lui. De taille moyenne, cette religieuse toute jeune encore, avait sous les ailes blanches de la cornette qui lui serrait le front des yeux noirs, veloutés, très doux, ombragés de longs cils, un nez court, légèrement épais, aux narines dilatées, un soupçon de duvet au-dessus des lèvres rouges et bien en chair, le menton grassouillet, les joues roses. Sa voix de chanteuse de cantiques gardait les inflexions molles et caressantes de ces ritournelles sacrées. Dans le néant où il était plongé, Gendrevin n’eut que la sensation diffuse de ce timbre. Il crut entendre les accords lointains de violons qui pleurent des mélodies vagues. Parfois, sœur Félicité posait sur les tempes de René sa main légère et froide de jeune fille en bonne santé. C’était alors une sorte de caresse féminine compliquée d’une grande sensation de fraîcheur, quelque chose comme un baiser accordé sous une charmille dans le calme lourdeur d’une journée caniculaire. Puis, sœur Félicité penchée sur le lit d’un autre malade, l’enfant retombait dans le complet anéantissement. Ses mains aux doigts serrés restaient sous la couverture fixées à ses cuisses brûlantes. Il gardait une attitude raide de statue égyptienne. De temps à autre, l’infirmière lui soulevait la tête et le faisait boire. Il ingurgitait passivement les potions qui passaient toujours péniblement à travers sa gorge et il revenait à son état d’inertie. Nuit complète sous ses yeux fermés. Rien que du noir. L’odeur fade des remèdes ne montait pas à ses narines. Son ouïe avait des illusions. Tantôt ses oreilles s’emplissaient de bourdonnements. Tantôt il percevait des sons imaginaires. Aucune pensée, aucune idée. Un matin, cependant, le docteur fit remarquer aux infirmières une série peu nombreuse de petites taches framboisées qui salissaient le cou de René. En même temps il l’oblige a à exhiber sa langue. Elle était comme enduite d’un vernis.

      –C’est l’éruption qui commence, dit le praticien. Nous en avons au moins pour huit jours. Il faut que le malade conserve la plus grande tranquillité. Si, par hasard, il était agité, vous mêleriez à ses potions de la belladone en quantité infinitésimale.

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