Au soleil de juillet (1829-1830). Paul Adam

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Название Au soleil de juillet (1829-1830)
Автор произведения Paul Adam
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066082222



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mais... eh mais! fit-il, l'admirant du geste.

      Elle se rengorgea. Le trousseau de clef tourna vertigineusement au bout de sa main. Maman Virginie souriait. Comme pour chasser une telle odeur de présomption, elle agita son mouchoir devant sa figure brune et virile.

      Omer s'assit près d'elle, parla de Rome, des églises, de Saint-Jean-de-Latran, de Sainte-Marie Majeure et de la Scala-Santa, dont les fidèles gravissent à genoux les degrés. A Saint-Pierre, il avait entrevu le pape. Caroline écoutait tout oreilles, en époussetant les lueurs, à la surface du thuya et de l'acajou neuf, avec la frange de son écharpe orange.

      Tout à coup, les chiens jappèrent, les pigeons s'envolèrent en tumulte dans la cour, une porte fut ouverte sans précaution.

      —Tonton, tontaine, tonton!

      L'organe sonore de Dieudonné Cavrois claironnait dans le vestibule. Des échos s'émurent. Quand on fut au-devant du chimiste, il ôtait un troisième lièvre de sa carnassière. Déjà des perdrix et des cailles s'amoncelaient sur la tablette dressée le long de la verrière. Un chevreuil roux et humide gisait sur le carreau sablé en losange; là se croisaient les pattes grises aux sabots noirs. Un petit paysan sortit, d'un sac taché, un faisan et sa fine queue. Au milieu du carnage, le chasseur rubicond triomphait parmi les exclamations des veuves et des servantes. Sous les aisselles et vers l'encolure, la sueur noircissait la blouse grise collée contre sa bedaine. Il dit:

      —Ah ça, cousin, t'es-tu suffisamment reposé. Morphée t'a-t-il ôté la courbature du mortel trimballé en diligence, à raison de quarante sous de guides par trois lieues?... Tu as eu tort de ne pas te lever matin... Nemrod eût crevé d'envie s'il t'avait pu voir à mes côtés. Zulma, qu'on me remplisse une cuvette d'eau fraîche... Et puis, à table, maman!... Je meurs de faim et je péris de soif!...

      Il tapa des pieds pour faire tomber la poussière de ses guêtres. Dix minutes après, la serviette au col, il lampait son potage dans la salle basse, en face de Mme Cavrois. A côté de sa chaise, dans un seau, rafraîchissaient les bouteilles de bière.

      —Omer, qu'as-tu fait du capitaine Lyrisse, demanda-t-il en essuyant ses lèvres et son menton.

      —J'ai laissé mon oncle au château de Lorraine avec son fils et cette veuve de l'officier de la République, la gouvernante. Il instruit cette bonne dame dans l'art de gérer le domaine. Il a, de plus, invité le général du Bourg à chasser sur ses terres.

      —Apparemment, ils vont donner leurs soins aux électeurs de ce côté-là.

      —Je crois que mon oncle Edme va jouer des coudes à Nancy, et bousculer les ultras.

      —A la bonne heure! Buvons un coup.

      —Mon Dieu, soupira Mme Héricourt, serez-vous toujours combattu par ceux que j'aime!

      —Ah, ma tante! que pouvez-vous reprocher à votre fils! Il demeure au parti des Praxi-Blassans et de M. de Châteaubriand. C'est votre pieuse Société des Bonnes Lettres tout entière qui s'émancipe, Omer avec! N'avons-nous pas vu, l'an passé, le Journal des Débats recommander aux suffrages des contribuables le marquis de Lafayette, Benjamin Constant, Laffitte, Casimir Perier et le général Pithouët... en même temps que d'anciens ultras comme Hyde de Neuville et Duvergier de Hauranne...

      —Voyons, ma bonne, tu ne peux pas renier M. de Châteaubriand, qui a écrit le Génie du Christianisme et qui est ambassadeur à Rome...

      —Tu m'abuses, Caroline?

      —Point. Cette coalition est la bonne... Je tiens cela de la vraie source... C'est ce qui nous sied. Si notre opposition constitutionnelle n'emportait pas des avantages, le roi montrerait-il ses grandes dents au Turk, comme le roi d'Angleterre et le tsar? Voilà que le général Maison force les Egyptiens d'Ibrahim à se rembarquer pour l'Égypte. Cela nous sert. Les corsaires turks ne laissent plus passer le Bosphore aux vaisseaux russes qui transportent à Gibraltar le blé d'Odessa pour compenser ici notre mauvaise récolte. Ceux que j'attends ont déjà passé les Dardannelles. Mais ceux qu'attend à Falmouth le courtier de Londres ne sont pas encore sortis de la Mer Noire... Si les caravelles des Turks les en empêchent, la meunerie de Londres devra recourir à mes provisions... Et elle payera ce que je voudrai... A cette heure, j'ai dans le port de Gibraltar à l'ancre, six bateaux de Taganrog. Leurs capitaines guettent mon signe avant de faire voile sur Falmouth ou sur Dunkerque. Pour peu que j'apprenne que le Turk et le Russe se tirent encore des bordées, je dépêche un courrier au fin fond de l'Espagne. Mes vaisseaux prennent la mer. Pendant les huit jours de traversée, la hausse sera faite sur le marché d'Albion. Mes gabares toucheront la côte britannique, si mes calculs sont justes, dans la semaine de la cote la plus forte... Et je vends vingt-cinq francs ce qui me coûte seize francs rendu dans les docks... As-tu compris, Virginie?

      La tante Caroline clignait de l'œil et savonnait ses mains blafardes par-dessus les arêtes du poisson qu'elle avait mangé. Triomphante, et sa tête de grosse chatte pelotonnée entre ses épaules grasses, elle nargua les convives.

      —Mais, il y a un hic... Si l'Angleterre m'achète tout, il ne me reste plus un boisseau de froment à mettre sous les meules de nos Moulins... J'ai vendu à terme mon blé d'Artois. Il profite de la plus-value, qui commençait au moment des contrats. Que le gros temps retarde mes navires de Gibraltar, il faudra livrer aux meuniers de Londres les sacs emmagasinés ici... Alors, nous en serons réduits aux mauvaises farines que l'Amérique expédie par tonneaux. Ce sera mal répondre aux commandes de notre clientèle, aux boulangeries de Douai, de Marchiennes, de Saint-Amand, et à l'intendance du camp de Saint-Omer. L'intendance ne trouve pas mes pots-de-vin assez forts. Elle pourrait fort bien refuser les farines, et résilier... Ah! parbleu, je fais savoir au préfet que, dans ce cas, je passerais aux jacobins, avec tous mes débiteurs, mes bateliers, et mes gens des charbonnages... Et pour lui mettre la puce à l'oreille, je dépeins sous les plus atroces couleurs la campagne que mèneront les libéraux... Il me sait dans le secret des dieux... Il a peur d'être destitué si le candidat royaliste perd trop de voix. N'importe, Omer, je déplore que tu n'aies pas été toi-même à Taganrok, ainsi que je te l'ai fait demander par le comte... Tu aurais pu nous rendre acquéreurs de la récolte et ne laisser aux Anglais que peu ou prou!... L'imbécile qui est parti à ta place n'a même pas nolisé tous les trois-mâts. Deux sont frétés par nos concurrents... Enfin, tu aimes mieux faire la cour à ta belle!... Dieudonné dit qu'elle est pâlotte...

      —Elvire s'est assez mal portée durant ton pèlerinage à Rome. Le savais-tu? Les médecins ont dû lui tirer plusieurs pintes de sang.

      —Elle est faible un tantinet, confirma le gros garçon, la bouche pleine, en tirant de ses mâchoires un os de perdreau.

      Omer ne s'inquiéta point exagérément. Il repoussa l'idée que cette indisposition avait son absence pour cause réelle.

      —Enfin, dit Mme Héricourt; le comte et le général te donneront des nouvelles fraîches. Ils l'ont vue avant leur départ...

      —Ils l'ont vue jeudi... Nous sommes samedi... Ce n'est pas loin; car ils ont fait diligence. Le comte a seulement voulu coucher à l'hôtel d'Amiens, avant de parcourir les trois relais d'hier par Albert et Ervilliers... Dieudonné, l'as-tu remercié, ton oncle de Praxi-Blassans... A son âge... c'est si fatiguant... Je bénis le ciel de ce qu'ils ont pu se rendre à point, pour la plantation de la croix... Ils dînent aujourd'hui chez l'évêque, mais ils soupent et couchent céans... Mon préfet ne manquera point de faire la leçon à l'intendance de Saint-Omer quand il verra descendre chez moi un pair de France, un général, et un missionnaire de la Congrégation qu'il se doit de faire escorter par les gendarmes et précéder par la musique... A tout prendre, les soldats mangeront de la farine américaine. Pas un fifre n'en mourra! La sauce de ce perdreau est trop grasse!

      —Quelle famille unie pour ce qui regarde nos intérêts! conclut Mme Héricourt en souriant.

      —Pourquoi la procession a-t-elle lieu lundi, et non pas demain?

      —Sans doute Édouard a-t-il remarqué judicieusement que, le dimanche étant un jour de repos et