Название | Son Excellence Eugène Rougon |
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Автор произведения | Emile Zola |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066086770 |
«Est-ce que Lamberthon a vraiment trouvé sa femme...? Contez-moi donc ça, La Rouquette.» Le président avait pris une poignée de papiers. Il parlait d'une voix monotone; des lambeaux de phrase arrivaient jusqu'au fond de la salle.
«Il y a des demandes de congé... M. Blachet, M. Buquin-Lecomte, M. de la Villardière...» Et, pendant que la Chambre consultée accordait les congés, M. Kahn, las sans doute de considérer la soie verte tendue devant l'image séditieuse de Louis-Philippe, s'était tourné à demi pour regarder les tribunes.
Au-dessus du soubassement de marbre jaune veiné de laque, un seul rang de tribunes mettait, d'une colonne à l'autre, des bouts de rampe de velours amarante; tandis que, tout en haut, un lambrequin de cuir gaufré n'arrivait pas à dissimuler le vide laissé par la suppression du second rang, réservé aux journalistes et au public, avant l'Empire. Entre les grosses colonnes, jaunies, développant leur pompe un peu lourde autour de l'hémicycle, les étroites loges s'enfonçaient, pleines d'ombre, presque vides, égayées par trois ou quatre toilettes claires de femme. «Tiens! le colonel Jobelin est venu», murmura M. Kahn.
Il sourit au colonel, qui l'avait aperçu. Le colonel Jobelin portait la redingote bleu foncé qu'il avait adoptée comme uniforme civil, depuis sa retraite. Il était tout seul dans la tribune des questeurs, avec sa rosette d'officier, si grande qu'elle semblait le nœud d'un foulard.
Plus loin, à gauche, les yeux de M. Kahn venaient de se fixer sur un jeune homme et une jeune femme, serrés tendrement l'un contre l'autre, dans un coin de la tribune du Conseil d'État. Le jeune homme se penchait à tous moments, parlait dans le cou de la jeune femme, qui souriait d'un air doux, sans le regarder, les yeux fixés sur la figure allégorique de l'Ordre public.
«Dites donc, Béjuin?» murmura le député en poussant son collègue du genou.
M. Béjuin était à sa cinquième lettre. Il leva la tête, effaré.
«Là-haut, tenez, vous ne voyez pas le petit d'Escoraillés et la jolie Mme Bouchard. Je parie qu'il lui pince les hanches. Elle a des yeux mourants.... Tous les amis de Rougon se sont donc donné rendez-vous. Il y a encore là, dans la tribune du public, Mme Correur et le ménage Charbonnel.»
Un coup de sonnette plus prolongé retentit. Un huissier lança d'une belle voix de basse: «Silence, messieurs!» On écouta. Et le président dit cette phrase, dont pas un mot ne fut perdu: «M. Kahn demande l'autorisation de faire imprimer le discours qu'il a prononcé dans la discussion du projet de loi relatif à l'établissement d'une taxe municipale sur les voitures et les chevaux circulant dans Paris.» Un murmure courut sur les bancs, et les conversations reprirent. M. La Rouquette était venu s'asseoir près de M. Kahn.
«Vous travaillez donc pour les populations, vous?» lui dit-il en plaisantant.
Puis, sans le laisser répondre, il ajouta:
«Vous n'avez pas vu Rougon? vous n'avez rien appris?... Tout le monde parle de la chose. Il paraît qu'il n'y a encore rien de certain.» Il se tourna, il regarda l'horloge.
«Déjà deux heures vingt! C'est moi qui filerais, s'il n'y avait pas la lecture de ce diable de rapport!... Est-ce vraiment pour aujourd'hui?
—On nous a tous prévenus, répondit M. Kahn. Je n'ai pas entendu dire qu'il y eût contrordre. Vous ferez bien de rester. On votera les quatre cent mille francs du baptême tout de suite.
—Sans doute, reprit M. La Rouquette. Le vieux général Legrain, qui se trouve en ce moment perclus des deux jambes, s'est fait apporter par son domestique; il est dans la salle des conférences, à attendre le vote.... L'empereur a raison de compter sur le dévouement du Corps législatif tout entier. Pas une de nos voix ne doit lui manquer, dans cette occasion solennelle.» Le jeune député avait fait un grand effort pour se donner la mine sérieuse d'un homme politique. Sa figure poupine, égayée de quelques poils blonds, se rengorgeait sur sa cravate, avec un léger balancement. Il parut goûter un instant les deux dernières phrases d'orateur qu'il avait trouvées. Puis, brusquement, il partit d'un éclat de rire.
«Mon Dieu! dit-il; que ces Charbonnel ont une bonne tête!» Alors, M. Kahn et lui plaisantèrent aux dépens des Charbonnel. La femme avait un châle jaune extravagant; le mari portait une de ces redingotes de province, qui semblent taillées à coups de hache; et tous deux, larges, rouges, écrasés, appuyaient presque le menton sur le velours de la rampe, pour mieux suivre la séance, à laquelle leurs yeux écarquillés ne paraissaient rien comprendre.
«Si Rougon saute, murmura M. La Rouquette, je ne donne pas deux sous du procès des Charbonnel.... C'est comme Mme Correur...» Il se pencha à l'oreille de M. Kahn, et continua très bas:
«En somme, vous qui connaissez Rougon, dites-moi au juste ce que c'est que Mme Correur. Elle a tenu un hôtel, n'est-ce pas? Autrefois, elle logeait Rougon. On raconte même qu'elle lui prêtait de l'argent.... Et maintenant, quel métier fait-elle?»
M. Kahn était devenu très grave. Il frottait son collier de barbe, d'une main lente. «Mme Correur est une dame fort respectable», dit-il nettement.
Ce mot coupa court à la curiosité de M. La Rouquette. Il pinça les lèvres, de l'air d'un écolier qui vient de recevoir une leçon. Tous deux regardèrent un instant en silence Mme Correur, assise près des Charbonnel.
Elle avait une robe de soie mauve, très voyante, avec beaucoup de dentelles et de bijoux; la face trop rose, le front couvert de petits frisons de poupée blonde, elle montrait son cou gras, encore très beau malgré ses quarante-huit ans.
Mais, au fond de la salle, il y eut tout d'un coup un bruit de porte, un tapage de jupes, qui fit tourner les têtes. Une grande fille, d'une admirable beauté, mise très étrangement, avec une robe de satin vert d'eau mal faite, venait d'entrer dans la loge du Corps diplomatique, suivie d'une dame âgée, vêtue de noir.
«Tiens! la belle Clorinde!» murmura M. La Rouquette, qui se leva pour saluer à tout hasard.
M. Kahn s'était levé également. Il se pencha vers M. Béjuin, occupé à mettre ses lettres sous enveloppe.
«Dites donc, Béjuin, murmura-t-il, la comtesse Balbi et sa fille sont là... Je monte leur demander si elles n'ont pas vu Rougon.»
Au bureau, le président avait pris une nouvelle poignée de papiers. Il donna, sans cesser de lire, un regard à la belle Clorinde Balbi, dont l'arrivée soulevait un chuchotement dans la salle. Et, tout en passant les feuilles une à une à un secrétaire, il disait sans points ni virgules, d'une façon interminable:
«Présentation d'un projet de loi tendant à proroger la perception d'une surtaxe à l'octroi de la ville de Lille.... Présentation d'un projet de loi relatif à la réunion en une seule commune des communes de Doulevant-le-Petit et de Ville-en-Blaisois (Haute-Marne).» Quand M. Kahn redescendit, il était désolé.
«Décidément, personne ne l'a vu, dit-il à ses collègues Béjuin et La Rouquette, qu'il rencontra au bas de l'hémicycle. On m'a assuré que l'empereur l'avait fait demander hier soir, mais j'ignore ce qu'il est résulté de l'entretien.... Rien n'est ennuyeux comme de ne pas savoir à quoi s'en tenir.»
M. La Rouquette, pendant qu'il tournait le dos, murmura à l'oreille de M. Béjuin:
«Ce pauvre Kahn a joliment peur que Rougon ne se fâche avec les Tuileries. Il pourrait courir après son chemin de fer.» Alors, M. Béjuin, qui parlait peu, lâcha gravement cette phrase:
«Le jour où Rougon quittera le Conseil d'État, ce sera une perte pour tout le monde.» Et il appela du geste un huissier, pour le prier d'aller jeter à la boîte les lettres qu'il venait d'écrire.
Les trois députés restèrent au pied du bureau, à gauche.