Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin. Alphonse Daudet

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Название Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin
Автор произведения Alphonse Daudet
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066087807



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avait connues enfants, qu'il avait mariées comme officier municipal, restant pour elles un confident, un ami, presque un oncle.

      Il prit le bras d'Evelina, la fit marcher en rond autour du petit bassin aux poissons rouges, pendant qu'elle lui contait son chagrin, ses inquiétudes conjugales.

      Depuis qu'il était question de s'en aller coloniser au loin, Excourbaniès prenait plaisir à lui dire à propos de tout sur un ton de menace gouailleuse:

      «Tu verras, tu verras, quand nous serons là-bas, en Polygamille.

      Elle, très jalouse, mais aussi naïve, même un peu bêtasse, prenait au sérieux cette plaisanterie.

      «Est-ce vrai, cela, monsieur Tartarin, que dans cet affreux pays les hommes peuvent se marier plusieurs fois?

      Il l'a rassura doucement.

      «Mais non, ma chère Evelina, vous vous trompez. Tous les sauvages de nos îles sont monogames. La correction de leurs moeurs est parfaite, et, sous la direction de nos Pères-Blancs, rien à craindre de ce côté-là.

      Pourtant, le nom même du pays?… Cette Polygamille?…»

      Alors seulement il comprit la drôlerie de ce grand farceur d'Excourbaniès, et partit d'un joyeux éclat de rire.

      «Votre mari se moque de vous, ma petite. Ce n'est pas la Polygamie que le pays s'appelle, c'est Polynésie, ce qui signifie: groupe d'îles, et n'a rien pour vous alarmer.»

      On en a ri longtemps dans la société tarasconnaise!

      Cependant les semaines passaient et toujours pas de lettres des émigrants, rien que des dépêches communiquées de Marseille par le duc. Dépêches laconiques, expédiées à la hâte d'Aden, de Sydney, des différentes escales de la Farandole.

      Après tout, on ne devait pas trop s'étonner, étant donné l'indolence de la race.

      Pourquoi auraient-ils écrit? Des télégrammes suffisaient bien; ceux qu'on recevait, régulièrement publiés par la Gazette n'apportaient d'ailleurs que de bonnes nouvelles:

       Traversée délicieuse, mer d'huile, tous bien portants.

      Il n'en fallait pas plus pour entretenir l'enthousiasme.

      Un jour enfin, en tête du journal, parut la dépêche suivante expédiée toujours via Marseille:

       Arrivés Port-Tarascon. — Entrée triomphale — Amitié avec naturels venus au-devant sur la jetée — Pavillon tarasconnais flotte sur maison de ville — Te Deum chanté dans l'église métropolitaine — Tout est prêt, venez vite.

      À la suite, un article dithyrambique, dicté par Tartarin, sur l'occupation de la nouvelle patrie, sur la jeune ville fondée, la visible protection de Dieu, le drapeau de la civilisation planté en terre vierge, l'avenir ouvert à tous.

      Du coup, les dernières hésitations s'évanouirent. Une nouvelle émission de bons à cent francs l'hectare s'enleva comme des petits pains blancs.

      Le tiers, le clergé, la noblesse, tout Tarascon voulait partir; c'était une fièvre, une folie d'émigration répandue par la ville, et les grincheux, comme Costecalde, les tièdes ou les méfiants se montraient maintenant les plus enragés de colonisation lointaine.

      Partout on activait les préparatifs du matin au soir. On clouait les caisses jusque dans les rues jonchées de paille, de foin, au milieu d'un roulement de coups de marteau.

      Les hommes travaillaient en bras de chemise, tous de bonne humeur, chantant, sifflant, et l'on s'empruntait les outils de porte à porte en échangeant de gais propos. Les femmes emballaient leurs ajustements, les Pères-Blancs leurs ciboires, les tout petits leurs joujoux.

      Le navire nolisé pour emporter tout le haut Tarascon, baptisé le Tutu-panpan, nom populaire du tambourin tarasconnais, était un grand steamer en fer commandé par le capitaine Scrapouchinat, un long-cours toulonnais. L'embarquement devait avoir lieu à Tarascon même.

      Les eaux du Rhône étant belles et le navire sans grand tirant d'eau, on avait pu lui faire remonter le fleuve jusqu'à la ville, et l'amener à bord du quai, où le chargement et l'arrimage prirent un grand mois.

      Pendant que les matelots rangeaient dans la cale les innombrables caisses, les futurs passagers installaient d'avance leurs cabines; et avec quel entrain! Quelle urbanité! Chacun cherchant à se rendre serviable et agréable aux autres.

      «Cette place vous va mieux? Comment donc!

      — Cette cabine vous plaît davantage? À votre aide!» Et ainsi de tout.

      La noblesse tarasconnaise, si morgueuse d'ordinaire, les d'Aigueboulide, les d'Escudelle, gens qui d'habitude vous regardaient du haut de leur grand nez, fraternisaient maintenant avec la bourgeoisie.

      Au milieu du tohu-bohu de l'embarquement, on reçut un matin une lettre du Père Vezole, le premier courrier daté de Port-Tarascon:

      «Dieu soit loué! Nous sommes arrivés, disait le bon Père. Nous manquons de bien des petites choses, mais Dieu soit loué tout de même!…»

      Guère d'enthousiasme dans cette lettre, guère de détails non plus.

      Le Révérend se bornait à parler du Roi Négonko, et de Likiriki, la fillette du roi, une charmante enfant à qui il avait donné une résille de perles. Il demandait ensuite qu'on envoyât quelques objets un peu plus pratiques que les dons habituels des souscripteurs. C'était tout.

      Du port, de la ville, de l'installation des colons, pas un mot. Le

       Père Bataillet grondait, furieux:

      «Je le trouve mou, votre Père Vezole… Ce que je vais vous le secouer en arrivant!»

      Cette lettre était en effet bien froide, venant d'un homme si bienveillant; mais le mauvais effet qu'elle aurait pu produire se perdit dans le remue-ménage de l'installation à bord, dans le bruit assourdissant de ce déménagement de toute une ville.

      Le gouverneur — on n'appelait plus Tartarin que de ce nom — passait ses journées sur le pont du Tutu-panpan. Les mains derrière le dos, souriant, allant de long en large, au milieu d'un encombrement de tas de choses étrangers, panetières, crédences, bassinoires, qui n'avaient pas encore trouvé place dans l'arrimage de la cale, il donnait des conseils d'un ton patriarcal:

      «Vous emportez trop, mes enfants. Vous trouverez tout ce qu'il vous faut là-bas.»

      Ainsi lui, ses flèches, son baobab, ses poissons rouges, il laissait tout ça, se contentant d'une carabine américaine à trente-deux coups et d'une cargaison de flanelle.

      Et comme il surveillait tout, comme il avait l'oeil à tout, non seulement à bord mais aussi à terre, tant aux répétitions de l'orphéon qu'aux exercices de la milice sur le cours!

      Cette organisation militaire des Tarasconnais, survivant au siège de Pampérigouste, avait été renforcée, en vue de la défense de la colonie et des conquêtes que l'on comptait faire pour l'agrandir! Et Tartarin, enchanté de l'attitude martiale des miliciens, leur exprimait souvent sa satisfaction, ainsi qu'à leur chef Bravida, dans des ordres du jour.

      Pourtant un pli sillonnait anxieusement parfois le front du

       Gouverneur.

      Deux jours avant l'embarquement, Barafort, un pêcheur du Rhône, trouvait dans les oseraies de la rive une bouteille vide hermétiquement bouchée, dont le verre était encore assez transparent pour laisser distinguer à l'intérieur quelque chose comme un papier roulé.

      Pas un pêcheur n'ignore qu'une épave de ce genre doit être remise aux mains de l'autorité, et Barafort apportait au gouverneur Tartarin la mystérieuse bouteille contenant cette lettre étranger:

       Tartarin.