La comtesse de Rudolstadt. George Sand

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Название La comtesse de Rudolstadt
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066087128



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cru voir quelque défaut de forme dans les papiers de mon maître, il écouta mon récit avec beaucoup d'attention, et me dit ensuite de l'air calme d'un juge qui ne veut pas se prononcer à la légère: «J'examinerai tout cela, et vous en rendrai bon compte; je serais fort surpris que mes gens eussent cherché noise, sans motif, à un voyageur en règle. Il faut qu'il y ait quelque malentendu. Je le saurai! soyez tranquille, et si quelqu'un a outre-passé son mandat, il sera puni.—Sire, ce n'est pas là ce que je demande. Je vous demande le rappel du Porpora.

      —Et je vous le promets, répondit-il. Maintenant, prenez un air moins sombre, et racontez-moi comment vous avez découvert le secret de mon incognito.»

      Je causai alors librement avec le roi, et je le trouvai si bon, si aimable, si séduisant par la parole, que j'oubliai toutes les préventions que j'avais contre lui, pour n'admirer que son esprit à la fois judicieux et brillant, ses manières aisées dans la bienveillance que je n'avais pas trouvées chez Marie-Thérèse; enfin, la délicatesse de ses sentiments sur toutes les matières auxquelles il toucha dans la conversation. «Écoutez, me dit-il en prenant son chapeau pour sortir. J'ai un conseil d'ami à vous donner dès votre arrivée ici; c'est de ne parler à qui que ce soit du service que vous m'avez rendu, et de la visite que je vous ai faite ce soir. Bien qu'il n'y ait rien que de fort honorable pour nous deux dans mon empressement à vous remercier, cela donnerait lieu à une idée très-fausse des relations d'esprit et d'amitié que je désire avoir avec vous. On vous croirait avide de ce que, dans le langage des cours, on appelle la faveur du maître. Vous seriez un objet de méfiance pour les uns, et de jalousie pour les autres. Le moindre inconvénient serait de vous attirer une nuée de solliciteurs qui voudraient faire de vous le canal de leurs sottes demandes; et comme vous auriez sans doute le bon esprit de ne pas vouloir jouer ce rôle, vous seriez en butte à leur obsession ou à leur inimitié.—«Je promets à Votre Majesté, répondis-je, d'agir comme elle vient de me l'ordonner.—Je ne vous ordonne rien, Consuelo, reprit-il; mais je compte sur votre sagesse et sur votre droiture. J'ai vu en vous, du premier coup d'œil, une belle âme et un esprit juste; et c'est parce que je désirais faire de vous la perle fine de mon département des beaux-arts, que j'avais envoyé, du fond de la Silésie, l'ordre de vous fournir une voiture à mes frais pour vous amener de la frontière, dès que vous vous y présenteriez. Ce n'est pas ma faute si on vous en a fait une espèce de prison roulante, et si on vous a séparée de votre protecteur. En attendant qu'on vous le rende, je veux le remplacer, si vous me trouvez digne de la même confiance et du même attachement que vous avez pour lui.»

      J'avoue, ma chère Amélie, que je fus vivement touchée de ce langage paternel et de cette amitié délicate. Il s'y mêla peut-être un peu d'orgueil; et les larmes me vinrent aux yeux, lorsque le roi me tendit la main en me quittant. Je faillis la lui baiser, comme c'était sans doute mon devoir; mais puisque je suis en train de me confesser, je dois dire qu'au moment de le faire, je me sentis saisie de terreur et comme paralysée par le froid de la méfiance. Il me sembla que le roi me cajolait et flattait mon amour-propre, pour m'empêcher de raconter cette scène de Roswald, qui pouvait produire, dans quelques esprits, une impression contraire à sa politique. Il me sembla aussi qu'il craignait le ridicule d'avoir été bon et reconnaissant envers moi. Et puis, tout à coup, en moins d'une seconde, je me rappelai le terrible régime militaire de la Prusse, dont le baron Trenck m'avait informée minutieusement; la férocité des recruteurs, les malheurs de Karl, la captivité de ce noble Trenck, que j'attribuais à la délivrance du pauvre déserteur; les cris d'un soldat que j'avais vu battre, le matin, en traversant un village; et tout ce système despotique qui fait la force et la gloire du grand Frédéric. Je ne pouvais plus le haïr personnellement; mais déjà je revoyais en lui ce maître absolu, cet ennemi naturel des cœurs simples qui ne comprennent pas la nécessité des lois inhumaines, et qui ne sauraient pénétrer les arcanes des empires.

       Table des matières

      «Depuis ce jour, continua la Porporina, je n'ai pas revu le roi chez moi; mais il m'a mandée quelquefois à Sans-Souci, où j'ai même passé plusieurs jours de suite avec mes camarades Porporino ou Conciolini; et ici, pour tenir le clavecin à ses petits concerts et accompagner le violon de M. Graun, ou celui de Benda, ou la flûte de M. Quantz, ou enfin le roi lui-même.

      —Ce qui est beaucoup moins agréable que d'accompagner les précédents, dit la princesse de Prusse; car je sais par expérience que mon cher frère, lorsqu'il fait de fausses notes ou lorsqu'il manque à la mesure, s'en prend à ses concertants et leur cherche noise.

      —Il est vrai, reprit la Porporina; et son habile maître, M. Quantz lui-même, n'a pas toujours été à l'abri de ses petites injustices. Mais Sa Majesté, lorsqu'elle s'est laissé entraîner de la sorte, répare bientôt son tort par des actes de déférence et des louanges délicates qui versent du baume sur les plaies de l'amour-propre. C'est ainsi que par un mot affectueux, par une simple exclamation admirative, il réussit à se faire pardonner ses duretés et ses emportements, même par les artistes, les gens les plus susceptibles du monde.

      —Mais toi, après tout ce que tu savais de lui, et avec ta droiture modeste, pouvais-tu te laisser fasciner par ce basilic?

      —Je vous avouerai, Madame, que j'ai subi bien souvent son ascendant sans m'en apercevoir. Comme ces petites ruses m'ont toujours été étrangères, j'en suis toujours dupe, et ce n'est que par réflexion que je les devine après coup. J'ai revu aussi le roi fort souvent sur le théâtre, et même dans ma loge quelquefois, après la représentation. Il s'est toujours montré paternel envers moi. Mais je ne me suis jamais trouvée seule avec lui que deux ou trois fois dans les jardins de Sans-Souci, et je dois confesser que c'était après avoir épié l'heure de sa promenade et m'être placée sur son chemin tout exprès. Il m'appelait alors ou venait courtoisement à ma rencontre, et je saisissais l'occasion par les cheveux pour lui parler du Porpora et renouveler ma requête. J'ai toujours reçu les mêmes promesses, sans en voir jamais arriver les résultats. Plus tard, j'ai changé de tactique, et j'ai demandé la permission de retourner à Vienne; mais le roi a écouté ma prière tantôt avec des reproches affectueux, tantôt avec une froideur glaciale, et le plus souvent avec une humeur assez marquée. Cette dernière tentative n'a pas été, en somme, plus heureuse que les autres; et même, quand le roi m'avait répondu sèchement: «Parlez, mademoiselle, vous êtes libre,» je n'obtenais ni règlement de comptes, ni passe-port, ni permission de voyager. Les choses en sont restées là, et je ne vois plus de ressources que dans la fuite, si ma position ici me devient trop difficile à supporter. Hélas! Madame, j'ai été souvent blessée du peu de goût de Marie-Thérèse pour la musique; je ne me doutais pas alors qu'un roi mélomane fût bien plus à redouter qu'une impératrice sans oreille.

      «Je vous ai raconté en gros toutes mes relations avec Sa Majesté. Jamais je n'ai eu lieu de redouter ni même de soupçonner ce caprice que Votre Altesse veut lui attribuer de m'aimer. Seulement j'ai eu l'orgueil quelquefois de penser que, grâce à mon petit talent musical et à cette circonstance romanesque où j'ai eu le bonheur de préserver sa vie, le roi avait pour moi une espèce d'amitié. Il me l'a dit souvent et avec tant de grâce, avec un air d'abandon si sincère; il a paru prendre, à causer avec moi, un plaisir si empreint de bonhomie, que je me suis habituée, à mon insu peut-être, et à coup sûr bien malgré moi, à l'aimer aussi d'une espèce d'amitié. Le mot est bizarre et sans doute déplacé dans ma bouche mais le sentiment de respect affectueux et de confiance craintive que m'inspirent la présence, le regard, la voix et les douces paroles de ce royal basilic, comme vous l'appelez, est aussi étrange que sincère. Nous sommes ici pour tout dire, et il est convenu que je ne me gênerai en rien; eh bien, je déclare que le roi me fait peur, et presque horreur, quand je ne le vois pas et que je respire l'air raréfié de son empire; mais que, lorsque je le vois, je suis sous le charme, et prête à lui donner toute les preuves de dévouement qu'une fille craintive, mais pieuse, peut donner à un père rigide, mais bon.

      —Tu me fais trembler, s'écria la princesse; bon Dieu! si tu allais te laisser dominer ou enjôler au point de trahir notre