Название | De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations |
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Автор произведения | Madame de Staël |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066085438 |
Enfin, de quelque manière que l'on juge mon plan, ce qui est certain, c'est que mon unique but a été de combattre le malheur sous toutes ses formes, d'étudier les pensées, les sentiments, les institutions qui causent de la douleur aux hommes, pour chercher quelle est la réflexion, le mouvement, la combinaison, qui pourraient diminuer quelque chose de l'intensité des peines de l'âme: l'image de l'infortune, sous quelque aspect qu'elle se présente, et me poursuit, et m'accable. Hélas! j'ai tant éprouvé ce que c'était que souffrir, qu'un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s'emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun; des chagrins inévitables et des tourments de l'imagination; des revers de l'homme juste, et même aussi des remords du coupable; des blessures du coeur, les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l'homme était auguste à leurs yeux. Ah! ce n'est pas assez d'avoir juré que, dans les limites de son existence, de quelque injustice, de quelque tort qu'on fût l'objet, on ne causerait jamais volontairement une peine, on ne renoncerait jamais volontairement à la possibilité d'en soulager une; il faut essayer encore si quelque ombre de talent, si quelque faculté de méditation ne pourrait pas faire trouver la langue dont la mélancolie ébranle doucement le coeur, ne pourrait pas aider à découvrir à quelle hauteur philosophique les armes qui blessent n'atteindraient plus. Enfin, si le temps et l'étude apprenaient comment on peut donner aux principes politiques assez d'évidence pour qu'ils ne fussent plus l'objet de deux religions, et par conséquent des plus sanglantes fureurs, il semble que l'on aurait du moins offert un examen complet de tout ce qui livre la destinée de l'homme à la puissance du malheur.
SECTION PREMIÈRE.
DES PASSIONS.
CHAPITRE PREMIER.
De l'amour de la gloire.
De toutes les passions dont le coeur humain est susceptible, il n'en est point qui ait un caractère aussi imposant que l'amour de la gloire: on peut trouver la trace de ses mouvements dans la nature primitive de l'homme, mais ce n'est qu'au milieu de la société que ce sentiment acquiert sa véritable force. Pour mériter le nom de passion, il faut qu'il absorbe toutes les autres affections de l'âme, et ses plaisirs comme ses peines n'appartiennent qu'au développement entier de sa puissance.
Après cette sublimité de vertu, qui fait trouver dans sa propre conscience le motif et le but de sa conduite, le plus beau des principes qui puisse mouvoir notre âme est l'amour de la gloire. Je laisse au sens de ce mot sa propre grandeur en ne le séparant pas de la valeur réelle des actions qu'il doit désigner. En effet, une gloire véritable ne peut être acquise par une célébrité relative; on en appelle toujours à l'univers et à la postérité pour confirmer le don d'une si auguste couronne; elle ne doit donc rester qu'au génie ou à la vertu. C'est en méditant sur l'ambition que je parlerai de tous les succès éphémères qui peuvent imiter ou rappeler la gloire; mais c'est d'elle-même, c'est-à-dire, de ce qui est vraiment grand et juste, que je veux d'abord m'occuper; et pour juger son influence sur le bonheur, je ne craindrai point de la faire paraître dans toute la séduction de son éclat.
Le digne et sincère amant de la gloire propose un beau traité au genre humain; il lui dit: «Je consacrerai mes talents à vous servir; ma passion dominante m'excitera sans cesse à faire jouir un plus grand nombre d'hommes des résultats heureux de mes efforts; le pays, le peuple qui m'est inconnu, aura des droits aux fruits de mes veilles; tout ce qui pense est en relation avec moi; et, dégagé de la puissance environnante des sentiments individuels, c'est à l'étendue seule de mes bienfaits que je mesurerai mon bonheur: pour prix de ce dévouement, je ne vous demande que de le célébrer; chargez la renommée d'acquitter votre reconnaissance. La vertu, j'en conviens, sait jouir d'elle-même; moi, j'ai besoin de vous pour obtenir le prix qui m'est nécessaire pour que la gloire de mon nom soit unie