Название | Le serment des hommes rouges: Aventures d'un enfant de Paris |
---|---|
Автор произведения | Ponson du Terrail |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066087746 |
—Voyez vous-mêmes, Messieurs. Selon mes ordres, on a arrêté le carrosse à la porte Saint-Antoine...
—Eh bien?...
—Il contenait deux personnes: un homme âgé, vêtu d'un surtout de fourrures, et une jeune femme...
—Le ravisseur et madame de Vilers...
—A l'invitation des gardes, l'homme aux fourrures s'est incliné avec un sourire...
—Et on l'a arrêté?
—On l'a laissé libre.
—Comment cela?...
—La marquise s'est penchée à la portière et a prié le chef des gardes de ne pas mettre obstacle à leur voyage.
—C'est impossible!
—Lisez plutôt. Elle a déclaré qu'elle partait librement avec...
—Avec?... interrompirent les Hommes Rouges suspendus aux lèvres du lieutenant!
—Avec son père!!!
Les trois gentilshommes restèrent anéantis. Marc de Lacy reprit le premier son sang-froid; il demanda enfin:
—Mais où l'emmène-t-il?
—Il n'appartient à personne de le lui demander.
XVI
OU JOSEPH VA DE STUPÉFACTION EN STUPÉFACTION
Après plus d'une heure d'anéantissement physique et moral, Tony s'était réveillé plus allègre, plus ardent, plus prêt à sauver et à punir aussi.
Tout d'abord, il se dit:
—Ce qu'il y a de mieux à faire pour l'instant est d'observer ici même ce qui a pu s'y passer, après avoir délivré toutefois ce pauvre Joseph.
Mais la manière belliqueuse dont il était entré dans cette partie de l'hôtel l'avait empêché d'étudier son chemin. Et celles des lumières que le vent n'avait pas éteintes étaient consumées jusqu'au bout. Il prit au hasard le premier corridor venu, courut droit devant lui et se cogna contre le battant ouvert d'une fenêtre. Si faible qu'elle fût, la clarté de la lune lui permit de mesurer d'un coup d'oeil rapide l'espace qui le séparait du sol.
Il se trouvait au rez-de-chaussée. Il n'eut qu'à sauter. Devant lui s'étendaient de grands arbres.
Il était donc dans le jardin. Après vingt allées et venues, il aperçut enfin Joseph, resté abasourdi sous le massif où l'Homme Rouge l'avait jeté.
Ce pauvre Joseph était si bouleversé que, ne reconnaissant pas d'abord «le commis à mame Toinon», il se demandait si on ne venait point l'achever.
—Oh! grâce! Ne me faites point de mal, murmura-t-il quand Tony lui eut ôté son bâillon.
—N'ayez pas peur. C'est moi.
—Vous, monsieur Tony? Que vous êtes bon! Vous voulez donc sauver tout le monde?
Et le vieux serviteur baisa les mains qui le déliaient.
—Mais que s'est-il passé? demanda-t-il.
—Je ne le sais pas moi-même exactement.
Le vieillard, dont les membres avaient été engourdis sous la corde qui les serrait, trébuchait sur ses jambes.
—Il ne s'agit pas d'être malade, fit Tony. On a enlevé votre maîtresse.
—Ils ont enlevé madame! Oh! les misérables!
—Ce ne sont pas eux.
—Qui donc alors?
—Nous allons peut-être le savoir. Venez.
Le danger couru par la marquise avait rendu toute son activité à Joseph, qui se sentait maintenant aussi jeune que Tony.
—Voyez d'abord, dit celui-ci, comment il se fait qu'on ne m'ait pas ouvert quand j'ai frappé, comment il se fait que pas un domestique ne soit accouru au bruit de ce qui s'est passé. Moi, je vais demander autre chose aux voisins. Nous nous retrouverons sur le pas de la grand'porte.
Et, de nouveau, Tony enjamba le mur. Il tomba quai de Béthune et fut, en quelques enjambées, rue de la Femme-sans-Tête, ou il ne se fit aucun scrupule de réveiller les portiers. Il avait dans sa poche l'argent pris par lui dans celle du marquis de Vilers et qu'il aurait rendu ce soir même à la marquise, s'il avait pu la voir, hélas!
—Cet argent qui est à elle, je puis bien l'entamer pour elle, se dit-il, puisque je n'en ai pas à moi.
Et, grâce aux écus habilement semés ici ou là, voici ce qu'il apprit:
À la tombée de la nuit, un carrosse était venu se poster au coin de la rue de la Femme-sans-Tête.
C'était le carrosse qu'il avait remarqué en venant. Il y avait à peine quelques minutes que cette voiture était là, quand un homme, couvert de fourrures et paraissant assez âgé, s'était approché du cocher, le seul serviteur qui la gardât. A la lueur des lanternes, on l'avait vu donner de l'argent à ce cocher et causer longuement avec lui.
Puis il s'était dirigé vers la porte de l'hôtel.
Il n'avait pas même eu besoin de frapper. La porte était ouverte. Quelques minutes après, il sortit. Mais cette fois il n'était plus seul. Madame de Vilers le suivait. La marquise avait jeté sur ses épaules une grande mante de voyage. Bien qu'elle ne semblât faire aucune résistance, elle avait plutôt l'air d'obéir que de partir librement. Dans le court trajet qui séparait de l'hôtel le carrosse, elle porta plusieurs fois son mouchoir à ses yeux.
Au moment d'entrer dans la voiture, elle parut hésiter. L'homme lui saisit le bras et l'aida à monter. Il s'assit à côté d'elle et le carrosse partit au grand galop. Tony en avait pour son argent, du moins pour l'argent du marquis. En rentrant dans l'hôtel, il trouva, comme il était convenu, sur le seuil de la porte, le vieux Joseph qui, en l'apercevant, leva les bras vers le ciel par petites secousses. Ce geste a toujours voulu dire:
—Ce qui est arrivé est inimaginable!
—Eh bien? lui demanda Tony en refermant la porte.
—Ah! mon pauvre monsieur, ma maîtresse est perdue...
Et, pour abréger le récit de Joseph, récit coupé par des exclamations sans nombre, par des larmes et des hoquets, disons que le brave domestique, en parcourant les chambres, les cuisines, avait trouvé tout le monde endormi.
Enfin, il était parvenu à éveiller un laquais, à qu'il avait arraché mot à mot ces renseignements:
Vers trois heures de l'après-midi, un valet de chambre, se disant sorti de la veille de l'hôtel de Chevreuse et engagé aussitôt par le marquis, s'était introduit dans les cuisines.
Là, il avait fait vingt folies, raconté trente histoires et finalement demandé qu'on célébrât sa bienvenue, le verre en main. Il s'y était si bien pris que tous les domestiques de l'hôtel, y compris le suisse et les femmes de la marquise, avaient tour à tour trinqué avec lui.
Le laquais interrogé par Joseph ne savait rien de plus. Il avait tellement bu en compagnie de l'intrus que peu à peu la tête lui avait semblé lourde, puis il s'était endormi... Tous les autres avaient sans doute fait comme lui.
Tony était suffisamment éclairé.
Évidemment le soi-disant ex-laquais du duc de Chevreuse appartenait aux Hommes Rouges.
C'était lui qui, par l'ivresse, avait rendu inerte tout le personnel de l'hôtel de Vilers, puis avait ouvert la porte de la rue; après quoi, obéissant vraisemblablement à un ordre, il s'était retiré.
Malheureusement pour les Hommes Rouges,