Название | Le journal d'une pensionnaire en vacances |
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Автор произведения | Noémie Dondel Du Faouëdic |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066085469 |
Telle est sa puissance que tous les bateaux, frêles ou forts, esquifs ou navires qui s'égarent dans ses courants, sont saisis de vertige et se mettent à tournoyer sur eux-mêmes comme un toton, s'enfonçant toujours davantage, jusqu'à ce qu'ils disparaissent complètement… Puis la mer se referme tout à fait, de nouveaux flots couvrent les anciens, qui s'adoucissent et se calment en s'éloignant, inconscients du drame horrible qu'ils viennent de jouer.
Nous avons fait la cuisine à bord et préparé un repas homérique; toutes les pattes, blanches ou brunes, ont prêté leur concours au cordon-bleu. On a épluché les légumes, taillé le pain et la viande: c'était un vrai plaisir déjà, mais qui s'est doublé lorsque la bonne odeur de la soupe et le grand air sont venus ouvrir à deux battants les portes de l'estomac. Après nous être lestés mieux encore que la chaloupe, nous avons filé sur Vannes, laissant derrière nous le joli bourg d'Arradon et quantité d'habitations de plaisance, modestes maisons, châteaux élégants, chalets découpés et dentelés. Ces derniers s'apportent en caisses, par morceaux, se montent et se démontent presque aussi facilement que ces jolis joujoux suisses, ces bergeries de carton qui ont bien amusé mon enfance. Nous avons encore salué Pen-Boc'h, la campagne des Jésuites, dont les vastes bâtiments et la gracieuse chapelle se mirent dans les cieux pendant que la pimpante nacelle qui promène de temps en temps les collégiens se mire dans les flots; Conleau, une maisonnette blanche, plantée dans le feuillage entre deux azurs, le ciel et l'Océan; le village de Séné, à moitié caché dans son nid de verdure; les Trois-Sapins, aujourd'hui représentés par un seul, et lieu favori où les Vannetais viennent prendre les bains; et enfin Vannes, encore dans le lointain, et se perdant dans la brume. Plusieurs chapeaux à l'eau nous donnent les émotions d'un homme à la mer; nous courons trois bords pour en repêcher un, plein de bonne volonté: quant aux deux autres, nous les abandonnons pour jeter les fondements de nouvelles îles. Le grain aperçu en mer s'est évanoui comme par enchantement; le soleil est merveilleux… cependant, on nous attend pour souper à Kergonano, et il serait bon de songer au retour; mais le courant et la brise se sont endormis ensemble, et, de ce train-là, dit mon oncle, nous pourrions faire quatorze lieues en quinze jours.
Nous sommes au repos le plus complet, à peine si notre esquif se balance; c'est le calme plat. Bientôt Phébus (style olympique), entouré de pourpre et d'or, descend à l'horizon et disparaît dans la mer. La nuit déploie ses voiles, et nous voyons se lever une à une toutes les étoiles dans les profondeurs du firmament. Le vent fraîchit mais il a tourné bout pour bout et nous renvoie en ville, et nous voilà luttant et courant des bords, dans notre chaloupe à moitié perdue et visible sur la plaine liquide, comme une noisette dans un bois sauvage. Mais que faire? Il faut prendre son mal en patience, l'Océan est toujours maître chez lui, d'ailleurs, il se montre bon prince ce soir, il est admirable et le ciel aussi, mille feux nous éclairent et la lune, ce doux soleil des nuits, verse sur nous ses plus tendres rayons. On sommeille d'abord, puis on cause, puis on chante, et toutes nos voix sonores, s'élevant dans le silence et le calme de la nuit et des flots, trouvent de nouvelles vibrations et des échos sans fin dans leurs profondeurs.
C'était ravissant!… Allons, voilà encore que je m'emballe; ma nature est enthousiaste, c'est incroyable, je vois tout en beau, en sera-t-il toujours ainsi?… Dieu le veuille car s'habituer à voir plutôt le bon que le mauvais côté des choses n'est-ce pas faire l'apprentissage du bonheur.
Il était trois heures du matin lorsque nous avons mis pied à terre. Nous venions de courir cent bords pour faire une lieue; mais c'est comme cela de toutes les parties de mer, en chaloupe à la voile. On sait à peu près quand on part, mais jamais quand on revient; et c'est justement cet imprévu qui devient l'attrait nouveau que j'aime par dessus tout; c'est un charme ignoré des plaisirs champêtres.
Vers quatre heures, nous faisions, bien doucement et sans bruit, comme des criminels, notre entrée à Kergonano, nous ne voulions pas réveiller les domestiques, la cuisinière surtout qui, pour garder prêt à servir, le souper cuit et recuit à nous attendre, avait dû, pendant plusieurs heures, allumer plus encore sa colère que ses fourneaux. Bref, le jour commençait à poindre, mais bien inutilement pour nous, car malgré les sourires de l'aurore, Morphée a tout de suite obtenu la permission de nous jeter ses pavots. Personne n'ira demain à la première messe, nous serons tous de grand'messe, et le curé sera enchanté de nous voir écouter avec recueillement son sermon en breton, auquel, hélas! nous ne comprendrons pas un mot.
Le 25 août.
Hier c'était une des grandes foires du pays; pour les paysans, une foire c'est une fête, c'est un plaisir aussi charmant pour eux, je suppose, qu'un bal pour nous. Nous sommes donc allés y faire un petit tour et prendre notre part de la joie générale, en compagnie de notre seigneur châtelain, et pendant que mon oncle, entouré des jeunes gens, examinait en bon agriculteur qu'il est, les nombreuses divinités égyptiennes qui couvraient la place, nous avons pu nous mêler au tohu-bohu des vendeurs, acheteurs, crieurs, bateleurs et charlatans: c'est un brouhaha inexprimable! Les uns arrachent les dents sans faire le moindre mal, au son de la musique qui étouffe les cris du patient; les autres vendent pour rien leurs orviétans merveilleux; ici l'on prédit l'avenir, là on fait parade des plus affreuses monstruosités; plus loin, de grands coups de tam-tam annoncent les vainqueurs du tir à la carabine ou les élus de la loterie, jeu plein de charmes et d'émotions où, pendant qu'on examine les beaux vases qu'on peut gagner, et qu'on décide son choix, la fortune vous adjuge un bâton de sucre d'un sou ou un verre de deux. On recommence avec rage; c'est le supplice de Tantale, on s'acharne après la capricieuse déesse qui reste sourde à vos conjurations, et finalement vide votre bourse sans remplir vos poches. Cependant l'enseigne ne ment point: on gagne toujours, quand on ne perd pas; le sire de La Palisse n'eût pas mieux trouvé. Nous en avons fait judicieusement la remarque, mais bien mal nous en a pris; la tireuse, indignée, se campant sur sa roulotte comme Hercule sur sa massue, nous a foudroyées du regard et de la parole par cette virulente apostrophe: «Pour des dames en robe de soie, vous n'avez pas d'esprit!» Eh bien, nous n'eussions jamais deviné cela, que de porter une robe de soie était une preuve d'intelligence, tout au plus une preuve de richesse, et encore… Si bien que nous n'avons pas été convaincues du tout. L'humanité est ainsi faite, voyant toujours les choses comme elle les aime et les désire, aussi sommes-nous restées persuadées que cette aimable marchande nous trouvait beaucoup trop d'esprit pour nous laisser prendre aux petits manèges de son industrie, qui consiste à plumer les gens de bonne volonté. Elle se vengeait par le seul moyen en son pouvoir, l'impertinence.
Ces messieurs venaient de nous rejoindre. Nous nous sommes amusés quelques instants encore de l'admiration et de l'ébahissement du bon peuple breton donnant tête baissée dans tous les pièges, mordant avidement à tous les hameçons tendus par les mains insatiables du lucre, et nous sommes partis nous répétant une fois de plus que la crédulité et la bêtise humaines sont de tous les temps, et que la campagne a ses badauds plus encore peut-être que la ville.
Aujourd'hui, après déjeuner, nous sommes allés jeter la seine dans la baie du Célino; la pêche nous offrait, des mulets exquis et des petits bars non moins bons, auxquels Dieu n'a pas prêté vie pour qu'ils devinssent grands. Quand on a senti le filet lourd et chargé, chacun s'y est mis de tout cœur, et rien de pittoresque comme de voir tout le monde à la besogne, les uns en simples costumes de bain, les autres en belles toilettes, tirer vivement la corde et battre l'eau derrière la seine pour empêcher les poissons de sauter par dessus et les retenir prisonniers. Avec l'instinct de la conservation qui caractérise tous les êtres, ces beaux mulets faisaient de vrais sauts de carpes pour regagner leur domaine, ou nous filaient entre les doigts comme des anguilles qu'ils ne sont pas, et ils avaient grandement raison de trouver qu'il fait meilleur frétiller dans l'eau que de sauter dans la poêle. Après avoir rempli les paniers d'une cinquantaine de beaux poissons, on a remis le fretin au large, et les joyeux pêcheurs, très fiers d'un tel succès, sont rentrés l'appétit bien ouvert, et tout disposés à manger leur part du butin.
Le 27 août.
Nous avons passé hier une charmante journée au Rohello. Nous y sommes arrivés quinze seulement pour dîner, excusez du peu! Mais il en est de l'hospitalité bretonne comme