Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne. Isabelle de Montolieu

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Название Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne
Автор произведения Isabelle de Montolieu
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066083564



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Insensé!….. J'osai même croire que vous obéissiez peut-être à regret. J'étais certain en me nommant de la rassurer, de faire lever cette cruelle défense, et je ne balançai plus à me présenter l'après-midi chez elle. O mademoiselle! combien vous avez puni ma folle présomption! Votre accueil, si différent du sien, me prouva bientôt à quel point je m'étais abusé, et que c'était votre volonté seule qui vous éloignait du malheureux inconnu. Vous n'avez pas voulu me laisser à cet égard la moindre illusion, le moindre doute. Je vis au premier instant que cette madame de Rindaw ignorait mon existence, et que la jeune et charmante Caroline, que je croyais soumise aux ordres, aux conseils d'une amie trop sévère, n'avait eu besoin que de ceux qu'elle reçoit d'une prudence bien rare à son âge. Trop heureux encore si cette prudence n'avait pour objet que l'inconnu; mais je me suis nommé, et je n'ai pas obtenu un regard! Votre silence obstiné, votre refus de me conduire au pavillon, ne m'ont que trop confirmé que c'est moi personnellement qui me suis attiré votre colère. Ah! quels que soient mes torts, je n'aurai pas celui de me présenter encore à Rindaw sans votre aveu; mais j'ose le demander cet aveu que je saurai mériter. Vous avez été le témoin de la manière obligeante dont madame de Rindaw m'a reçu. Regardez ma maison comme la vôtre, me dit-elle en la quittant. O mademoiselle! que pouvais-je lui répondre, et que dois-je faire? Parlez; décidez absolument de ma conduite, de mon sort. Dois-je me refuser aux civilités de madame de Rindaw, et me soumettre à l'arrêt tacite que vous avez prononcé contre moi? Dois-je vous supplier de le révoquer? J'attendrai vos ordres, et, je vous le jure, ils me seront sacrés. Mais serez-vous inexorable? Et celui que votre respectable amie daigne honorer de sa protection, n'obtiendra-t-il pas, à ce titre, un pardon devenu nécessaire au bonheur de sa vie?"

      Caroline, en lisant cette lettre, éprouvait un mélange de sentiments confus, opposés les uns aux autres, et presque indéfinissables; d'abord la plus grande surprise de se trouver, sans s'en être doutée, une prudence aussi consommée; ensuite, cette espèce de honte d'un coeur honnête et vrai, qui reçoit une louange peu méritée; puis la joie la plus pure de se voir encore estimée et respectée, troublée cependant par le chagrin de ce pauvre baron, et l'embarras de le faire cesser sans démentir l'opinion qu'il avait d'elle. Tout cela se peignait alternativement sur sa physionomie; cependant le plaisir dominait. Il lui semblait qu'on avait soulagé son coeur d'un poids énorme. Lorsqu'elle eut fini, elle aurait voulu presser le consolant écrit contre ses lèvres; mais elle le posa sur le lit de sa maman, et saisissant une de ses mains, elle la couvrit de baisers et de larmes. La baronne reprit la lettre, la parcourut encore: elle en était tout enchantée. "Et bien! quand je vous disais que ce jeune homme ne ressemblait point aux autres, avais-je tort? J'ai vu cela tout de suite. Quelle tournure délicate il a donnée à votre silence! Et votre embarras, qu'il prend pour de la colère! est-ce qu'il y a rien de plus modeste et de plus honnête? Un de vos fats de la cour aurait bien su interpréter votre conduite à son avantage; mais ce Lindorf… En vérité, il est charmant; il faut le rassurer. Prenez une écritoire, mon enfant; mettez-vous là, et écrivez. — Moi, maman? dit Caroline en rougissant, je croyais que ce serait vous. — Vous savez bien que j'ai beaucoup de peine à écrire (elle avait en effet mal aux yeux depuis sa maladie, et sa vue s'affaiblissait tous les jours); mais c'est égal, vous écrirez en mon nom, et je vous dicterai."

      Caroline obéit; mais l'encre était épaisse, la plume allait mal, le papier ne valait rien. Enfin, tout étant prêt avec assez de peine, et la chanoinesse ayant rêvé un moment, elle lui dicta ce qui suit:

      MONSIEUR LE BARON,

      "Votre lettre est venue fort à propos pour consoler Caroline; elle avait été toute la nuit dans le plus violent désespoir." — En vérité, maman, dit Caroline en s'arrêtant, je ne mettrai point cela; c'est contredire absolument ce qu'il pense de moi. La baronne en convint après avoir un peu contesté. Ce commencement fut déchiré; on prit un autre papier. Elle rêva encore, et dicta de nouveau:

      MONSIEUR LE BARON,

      "Mademoiselle de Lichtfield est dans la joie la plus vive de voir que…" — Eh! maman, dit Caroline en jetant sa plume, je vous en conjure, ne parlez ni de mon désespoir ni de ma joie. Pour cette fois, la chanoinesse se fâcha sérieusement, lui dit qu'elle n'avait qu'à faire sa lettre elle-même. Caroline commençait à croire en effet qu'elle n'en irait que mieux; et après avoir un peu rêvé à son tour, et déchiré encore trois ou quatre commencements, elle eut le bon esprit de penser que la tournure la plus simple est toujours la meilleure. Elle écrivit:

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