Название | Les crimes de l'amour |
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Автор произведения | Маркиз де Сад |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066082932 |
—S'il est possible, monsieur, que mon père soit libre, tel coupable que vous le supposiez, n'est-il pas plus noble à vous de le sauver sans conditions, que de m'en imposer qu'il m'est impossible d'accepter? Dès que vous pouvez me le rendre, le croyant coupable, pourquoi ne le pouvez-vous de même, son innocence étant assurée?
—Elle ne l'est point: je veux bien passer pour indulgent, mais je ne veux pas que l'on me croie injuste.
—Vous l'êtes en n'absolvant pas un homme auquel il vous est impossible de trouver un seul tort.
—Terminons ces débats, Juliette, votre père professe le culte prescrit par le gouvernement, il est de la religion qui a mérité la mort à Dubourg; il a de plus, été trouvé en armes aux environs du quartier royal. Nous faisons mourir tous les jours des gens dont les dépositions le condamnent; le baron périra comme eux, si des réflexions plus sages de votre part ne vous déterminent promptement à ce qui peut seul le sauver.
—Oh, monsieur, daignez réfléchir au sang qui m'a donné la vie, suis-je faite pour être votre maîtresse, et tant qu'Anne d'Est existera, puis-je être votre femme?
—Ah! Juliette, assurez-moi qu'il n'est que cet obstacle à vaincre, et vous comblerez tous mes vœux.
—Oh ciel! cet obstacle n'est-il donc pas insurmontable? Envelopperez-vous votre illustre épouse dans la proscription générale? lui composerez-vous comme à mon père, des torts, pour avoir droit de l'immoler? et sera-ce au moyen de cette foule de crimes que vous croirez obtenir ma main!
—Fille adorée, dites un mot.... un seul mot; assurez-moi que je peux mériter votre cœur, et je me charge des moyens de l'acquérir. Ces chaînes indissolubles pour les mortels ordinaires, se brisent facilement chez ceux que la fortune et la naissance élèvent.... il est, sans explication, mille moyens de m'appartenir, Juliette, et c'est à vous de prononcer.
—Je vous l'ai dit, monsieur, je ne suis pas maîtresse de mon cœur.
—Et quel est donc celui que vous me préférez?
—Vous le nommer!...... Vous offrir une victime de plus!...... Ne l'imaginez pas.
—Allez, mademoiselle, allez, dit le duc irrité, je saurai punir vos refus: le spectacle de votre père aux pieds de l'échafaud, fléchira peut-être vos injustes rigueurs.
—Ah! souffrez du moins que j'aille embrasser ses genoux, ne m'empêchez pas, monsieur, d'aller arroser son sein de mes larmes; je lui ferai part de vos projets; s'il préfère la vie à l'honneur de sa fille... peut-être immolerai-je mon amour. Mon père est tout ce que j'ai de plus sacré: il n'en est aucun dans le monde dont j'aimasse mieux être la fille...... Mais, monsieur le duc, quelle action! n'aurez-vous nul remords d'une victoire acquise au prix de tant de crimes... d'un triomphe dont vous ne jouirez qu'en nous couvrant de larmes... qu'en plongeant trois mortels au sein de l'infortune? quelle différente opinion j'avais de votre âme...... je la supposais l'asile des vertus, et je n'y vois régner que des passions.
Le duc promit à Juliette qu'il lui serait permis de voir son père, et elle se retira dans le plus grand accablement.
Cependant, disent nos historiens, «tout prenait dans Amboise le train de la plus excessive rigueur; les capitaines envoyés par le duc de Guise, ne furent pas moins heureux que Nemours; cachés dans des ravines ou dans des broussailles, aux endroits où les conjurés devaient passer, ils les enlevaient sans résistance, et les amenaient par bandes dans la ville d'Amboise; on mettait en prison les plus apparents; les autres étaient jugés prévôtalement, et pendus tout bottés et éperonnés, aux créneaux du château ou à de longues perches scellées dans les murailles».
Ces rigueurs révoltèrent.
Le chancelier Olivier, qui, dans le fond de l'âme, penchait pour le nouveau culte, fit entrevoir que des malheurs sans nombre pouvaient devenir la suite de ces cruautés. Il proposa d'accorder des lettres de rémission à tous ceux qui se retireraient paisiblement.
Le duc de Guise n'osait trop combattre cet avis: peu sûr des dispositions de la reine toujours livrée aux Chatillon qu'il soupçonnait les secrets moteurs des troubles, craignant l'inquiétude du roi qui, malgré les chaînes dont on l'entourait, ne pouvait s'empêcher de témoigner que tant d'horreurs ne lui plaisaient pas; le duc accepta tout, bien sûr que Castelnau pris en armes, ne pourrait pas lui échapper, et qu'il serait toujours le maître de Juliette, en tenant dans ses mains la destinée du baron. L'édit se publia: on se crut tranquille à Amboise; les troupes se dispersèrent dans les environs, et cette sécurité pensa coûter bien cher.
Tel fut l'instant que Raunai crut propice pour se rapprocher de Juliette. Il enflamme ses camarades; il leur fait voir qu'Amboise, dégarnie, n'est plus en état de tenir contre eux; qu'il est temps d'aller délivrer la cour de l'indigne esclavage où la tiennent les Guise, et d'obtenir d'elle, non de vaines lettres de rémission, sur lesquelles il est impossible de compter, et qui ne servent qu'à prouver et la faiblesse du gouvernement et l'excessive crainte qu'on a d'eux, mais l'exercice assuré de leur religion, et la pleine liberté de leurs prêches.
Raunai, bien plus excité par l'amour que par quelque autre cause que ce pût être, empruntant l'éloquence de ce dieu pour convaincre ses amis, trouva bientôt dans leur âme la même vigueur dont il leur parut embrâsé; tous jurent de le suivre, et dès la même nuit, ce brave lieutenant de Castelnau les mène sous les remparts d'Amboise.
—Ô murs, qui renfermez ce que j'ai de plus cher, s'écrie Raunai en les apercevant, je fais serment au ciel, ou de vous abattre ou de vous franchir; et, quels que soient les obstacles qui puissent m'être opposés, l'astre du jour n'éclairera plus l'univers sans me revoir aux pieds de Juliette.
On se dispose à la plus vigoureuse attaque: un malentendu fait tout perdre. Les différents corps des conjurés n'arrivent pas ensemble aux rendez-vous qui leur sont indiqués; les coups ne peuvent se porter à la fois; on est averti dans Amboise; on se tient sur la défensive, et tout manque. Le seul Raunai, avec sa troupe, pénètre jusque dans les faubourgs; il arrive à l'une des portes; il la trouve fermée et bien défendue. Pas assez fort pour entreprendre de l'enfoncer, exposé au feu du château qui lui tue beaucoup de monde, il ordonne une décharge d'arquebuserie sur ceux qui gardent les murailles, laisse fuir sa troupe, et lui seul, se débarrassant de ses armes, se jette dans un fossé, franchit les murs et tombe dans la ville.
Connaissant les rues, les soupçonnant désertes à cause de la nuit et d'une attaque qui doit avoir appelé tout le monde au rempart, il vole chez le comte de Sancerre, où il sait bien qu'est logée celle qu'il aime.
Il ose, à tout événement, se fier à la noblesse, à la candeur de ce brave militaire. Il arrive chez lui.... Juste ciel!.... on rapportait le comte blessé des coups de celui qui venait l'implorer.......
—Ô! monsieur, s'écrie Raunai, en mouillant de ses pleurs la blessure du comte, vengez-vous, voilà votre ennemi, voilà celui qui vient de verser votre sang.... ce sang précieux que je voudrais racheter au prix du mien...... Grand dieu! c'est donc ainsi que ma main barbare a traité le bienfaiteur de celle qui m'est chère!
Je viens me rendre à vous, monsieur, je suis votre prisonnier. La malheureuse fille de Castelnau, à laquelle votre générosité donne asile, vous a dit ses malheurs et les miens; je l'adore depuis mon enfance; elle daigne m'estimer un peu... je venais la trouver... recevoir ses ordres... mourir après, s'il l'eût fallu. Vous voyez, aux périls que j'ai franchis, qu'il n'est rien qui puisse m'être plus cher qu'elle.... Je sais ce qui m'attend.... ce que je mérite.
Chef de l'attaque qui vient de se faire, je sais que des chaînes et la mort vont devenir mon partage; mais j'aurai vu ma Juliette, je serai consolé par elle, et les supplices ne m'effrayent plus si je les subis sous ses yeux.
Ne trahissez point votre