Les fantômes, étude cruelle. Ch. Flor O'Squarr

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Название Les fantômes, étude cruelle
Автор произведения Ch. Flor O'Squarr
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088620



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       Ch. Flor O'Squarr

      Les fantômes, étude cruelle

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066088620

       I

       LA SOURCE PRÉGAMAIN. FANTAISIE PARLEMENTAIRE

       LA PETITE

       FANTÔMES AMOUREUX

       FANTÔMES AMOUREUX

       LE CLOWN

       SOUS LA COMMUNE

       LE RÔLE

       LE MUSÉE DES SOUVERAINS

       LE PORTRAIT DE BÉBÉ

       VISION

       LE DOMPTEUR

       LE TÉLÉPHONE

       LA LANGOUSTE

       FIANÇAILLES

       BILLETS FANÉS

       Table des matières

      Depuis trois ans, j'avais pour maîtresse la femme de mon meilleur ami. Oui, le meilleur. Vainement je chercherais dans mon passé le souvenir d'un être qui me fut plus attentivement fidèle, plus spontanément dévoué. A plusieurs reprises, dans les crises graves de ma vie, j'avais fait appel à son affection, et il m'avait généreusement offert son aide, son temps et sa bourse. J'avais toujours usé de son bon vouloir, simplement, et je m'en félicitais. Il avait remplacé les affections perdues de ma jeunesse, veillé ma mère mourante. S'il me survenait une épreuve, une contrariété, il pleurait avec moi, même plus que moi, car la nature m'a gardé contre l'effet des attendrissements faciles. C'est librement, volontairement, que je lui rends cet hommage. Qui donc pourrait m'y contraindre? J'entends prouver, en m'inclinant devant cette mémoire vénérée, que je ne suis aveuglé par aucun égoïsme, que je possède à un degré élevé la notion du juste et de l'injuste, du bon et du mauvais. D'autres, à ma place, s'ingénieraient à circonvenir l'opinion par une conduite différente, tiendraient un langage plus dissimulé; j'ai le mépris de ces hypocrisies parce que je dédaigne tout ce qui est petit. Je dis ce que je pense, je rapporte exactement ce qui fut, sans m'attarder aux objections que croiraient pouvoir m'adresser certains esprits faussés par des doctrines conventionnelles.

      Je repousse également toute appréciation qui tendrait à me représenter comme capable d'un calcul ou susceptible d'une timidité. Si je porte aux nues mon regretté, mon cher ami Félicien, ce n'est point que mon âme ait été sollicitée par le repentir ou meurtrie par le remords. Je ne cède pas à la velléité tardive—fatalement stérile d'ailleurs—de donner le change sur l'étendue de ma faute au moyen de démonstrations sentimentales. Il est de toute évidence qu'en consentant à prendre Henriette pour maîtresse j'ai commis le plus grand des crimes, la plus lâche des trahisons.

      Je ne songe pas davantage à faire intervenir des circonstances atténuantes tirées des charmes physiques et des séductions morales de ma complice. Henriette était une femme très ordinaire, mauvaise plutôt que bonne, vaniteuse, bien élevée et boulotte.

      J'hésite à tracer d'elle un portrait sévère, car la plupart du temps les jugements des hommes sur les femmes ne sont que des propos de domestiques sans places; mais je me suis imposé une tâche pour ma satisfaction personnelle et pour renseignement de mes semblables. Je n'y puis manquer et il me faut—malgré mes répugnances—dire la vérité sur la femme de Félicien. Elle était—je le répète—une créature forte, ordinaire, point jolie, médiocrement instruite, bourrée de préjugés vieillots, d'erreurs bourgeoises, ayant glané dans des lectures mal choisies et mal comprises les formules d'un sentimentalisme démodé. Dès sa jeunesse elle aspira sans doute à un idéal de roman, idéal confus, mais invariablement placé en dehors du cercle précisément délimité des devoirs dont on lui avait enseigné la religion. Pour peu qu'elle perdît pied dans ses banales songeries, elle croyait de bonne foi prendre son vol pour quelque terre promise, pour quelque planète d'une beauté nouvelle. Pauvre femme! Que de fois ne lui ai-je pas entendu exprimer cette croyance—particulière aux jeunes couturières égarées par le romantisme—qu'elle était d'une nature supérieure, d'une race privilégiée, d'une essence rare, et qu'elle mourrait incomprise!

      Ah! ses rêves de jeune fille! M'en a-t-elle assez fatigué les oreilles? Elle n'était pas née pour associer sa vie à celle d'un être grave, pensif, toujours courbé sur d'attachants problèmes, à celle d'un homme sans idéal et sans passion et qui prenait pour guide dans l'existence on ne savait quelle lumière douteuse qu'il avouait lui-même avoir seulement entrevue. Elle souffrait d'être ainsi abandonnée, délaissée pour des chimères, elle, créée pour l'amour, pour la passion! Et patati! Et patata!

      Jamais je n'accordai la moindre attention à ces radotages. Les femmes qui prennent la passion pour guide ressemblent à des navigateurs qui compteraient sur la lueur des éclairs pour trouver leur route au lieu de la demander aux étoiles; celles-là se trompent assurément, mais encore leur faut-il quelque énergie dans l'âme et une dose appréciable d'héroïsme dans l'esprit. Toute passion suppose de la grandeur, même chez les individualités les plus humbles. Or, Henriette manquait de vocation vraie pour les premiers rôles comme elle eût manqué de courage pour l'action. Son sentimentalisme offrait des réminiscences de romans-feuilletons et des rollets de romance. Son coeur n'avait rien éprouvé, son esprit eût été—je crois bien—incapable de rien concevoir en dehors des inventions fabuleuses, des monstruosités poétiques, des hérésies et des fictions dont sa mémoire s'était farcie dès l'enfance. On retrouvait l'empreinte de ce désordre intellectuel çà et là dans les platitudes de sa conversation tantôt bêtement mélancolique comme un rayon de lune sur l'eau dormante d'un canal, parfois corsée de ce jargon mondain—espèce de prud'homie retournée—dont les expressions s'appliquent à tous les sujets d'une causerie et qui sert de supériorité aux êtres inférieurs.

      Henriette n'était pas jolie et elle en souffrait. Une femme peut avoir—et par exception—assez d'esprit pour faire oublier qu'elle est laide; elle n'en aura jamais assez pour l'oublier elle-même. Le sentiment qu'avait Henriette de son infériorité par rapport à nombre d'autres femmes plus jolies, plus jeunes ou plus gracieuses, était profond au point d'altérer toutes ses impressions. Elle n'avait jamais cru, par exemple, que son mari pût l'aimer, l'avoir épousée par une volonté sincère d'attachement,