Autour de la table. George Sand

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Название Autour de la table
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088439



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1856.

       Table des matières

      Un volume pieusement dédié à la mémoire d'une femme illustre fut l'objet des réflexions de ces jours-ci. C'est un recueil d'articles de journaux portant ces deux dates: 29 juin 1855,—29 juin 1856. La première est celle de la mort de Mme de Girardin; la seconde, celle de la publication du recueil. L'idée de célébrer ce douloureux anniversaire par la popularisation d'un éloge funèbre, signé des noms les plus célèbres ou les plus distingués de la littérature poétique et critique, est touchante et délicate.

      J'aime ces soins affectueux et ces tendres hommages rendus aux morts chéris. J'aime qu'on les honore et qu'on les bénisse comme s'ils étaient là pour respirer ce doux encens du souvenir et de l'affection, et que ces anniversaires, si douloureux pour nous, soient comme un jour de fête pour les nobles libérés de la vie. Du milieu plus pur et plus heureux qu'ils habitent désormais, il leur plaît peut-être de jeter les yeux, ce jour-là, sur leurs anciennes demeures et d'écouter parler leurs fidèles amis.

      La croyance aux ombres errantes, aux fantômes de ceux qui ne sont plus, cache peut-être, comme toutes les naïves erreurs de l'humanité, une révélation sous un symbole. Il n'est pas nécessaire que ces glorieuses âmes descendent au milieu de nous. Réfugiées dans un ordre de choses supérieur au nôtre, il n'est même pas probable qu'elles soient condamnées à revenir dans cet ici-bas des douleurs humaines. Il est bien plus simple de penser que la vision des faits de notre monde monte vers elles lorsqu'elles l'évoquent, comme celle des choses lointaines se révèle, dit-on, par l'extase magnétique, à des individus doués d'un sens particulier. Ce sixième sens, mystérieusement aperçu chez nous, et non encore bien constaté parce qu'il ne peut être défini, est, sans aucun doute, un des attributs lucides des autres habitants du ciel, du moins de ceux qui ont mérité de monter dans la sphère infinie des êtres.

      —Voilà pourquoi, nous disait Louise, je n'aime pas l'idolâtrie de la tombe. Cette terre muette, cette pierre insensible, et les matérielles idées de destruction sauvage qu'elles évoquent, me repoussent plutôt qu'elles ne m'attirent. Je veux que l'on respecte l'asile des morts; je veux bien aussi que leurs monuments et leurs épitaphes servent d'enseignement aux vivants, quand il s'agit de morts illustres; mais je comprends le désir de cette noble femme qui n'a point voulu d'ornements sur sa tombe. Elle sentait bien que son âme immortelle avait une autre demeure à faire resplendir, et que le mausolée, ce dernier lit de la forme, ne garderait même pas son image, cette suave beauté qui ne meurt qu'en apparence, et dont le type, conservé au sanctuaire de la pensée divine, refleurit maintenant dans quelque jardin du ciel.

      —Je suis comme vous, dit Julie, je n'aime pas que l'on s'enferme dans les monuments funéraires pour penser aux morts aimés. Ils ne sont pas là, et lorsqu'ils évoquent, comme vous dites, la vision de notre monde, je suis sûre que ce n'est pas dans les cimetières qu'ils la cherchent. Ils doivent sourire tristement de notre erreur, quand ils nous voient concentrer là notre culte et nos larmes. C'est sur le spectacle de la vie qu'ils arrêtent surtout leurs regards, ces vivants par excellence, devant qui nous sommes les ombres fugitives et les fantômes inachevés! C'est dans nos maisons, dans nos travaux, dans notre activité, dans notre oubli même (dans notre oubli apparent!) qu'ils regardent; tristes quand ils nous voient découragés de la vie et brisés lâchement par leur départ, satisfaits quand ils nous voient tendres envers leur mémoire, courageux devant nos devoirs, croyants dans l'avenir au-delà de la tombe.

      —J'avoue que, moi aussi, j'ai eu quelquefois cette pensée, dit Théodore; quand je perdis ma jeune soeur, je me surprenais à me défendre de pleurer, dans la crainte de troubler, par ma douleur, le repos dont elle jouissait. Je ne me rendais pas bien compte de ce sentiment qui me faisait étouffer mes sanglots comme si elle eût pu les entendre; mais il est certain que, me rappelant sa douce sensibilité et ses larmes qui coulaient à ma moindre souffrance, je me disais vaguement en moi-même: «Cachons-lui ce mortel chagrin qu'elle partagerait encore.» C'est par de telles impressions mystérieuses et profondes que je me laisse aller parfois à vos croyances exaltées. Si j'essaye d'y pénétrer par le raisonnement, elles m'échappent; mais l'émotion m'y ramène, et l'émotion pourrait bien être un élément de certitude aussi solide que la raison.

      —Peut-être plus solide, mon cher Théodore, répondit Louise. La raison humaine est une chose courte et bornée; l'émotion va plus loin, monte plus haut et voit dans l'infini. Cet élément de certitude que nous donne le sentiment s'appelle d'un beau nom.

      —Lequel?

      —Confiance même dans la pratique des faits, la certitude expérimentale absolue est souvent insaisissable, tandis que la confiance qui est une certitude anticipée par le sentiment, fait des prodiges.

      Ici Ernest nous cita une belle parole de Saint Paul: La foi est la réalité des choses de l'espérance; c'est l'argument de ce qui n'apparaît pas.

      On me demanda, à moi qui avais connu madame de Girardin dans les dernières années de sa vie, ce que je pensais de ses croyances religieuses.

      —La seule fois que j'ai causé avec elle sur ce sujet, répondis-je, ce fut le 21 mai, cinq semaines avant sa mort, et non pas la veille, comme le croit M. de Lamartine. J'étais depuis une heure avec elle, lorsqu'il arriva. Il est certain que je ne l'avais jamais vue si belle et si vivante. Je trouvais dernièrement cette date et cette réflexion sur mon journal, avec ces mots qui me serrent le coeur: Elle est cependant toujours souffrante. Combien j'étais loin de prévoir que je l'embrassais pour la dernière fois! Je partais le lendemain. Elle est morte pour ainsi dire debout, courageuse jusqu'à la dernière heure, et dans tout le rayonnement de sa beauté physique et morale.

      Il me sembla, dans cette dernière entrevue, que cette beauté de l'âme et du corps n'avait jamais été assez vantée: c'est peut-être qu'elle n'avait jamais été aussi complète. Par un étrange effet de la maladie qui la dévorait intérieurement, sa taille, sa figure et ses mains avaient perdu toute trace de l'effet des années. Elle était svelte, elle était pâle, elle n'avait plus, pour ainsi dire, d'âge. Ce n'était pas la fraîcheur rose de la jeunesse, mais c'était la transparente blancheur et le regard clair et pur de l'immortalité. C'est le plus beau et le plus durable souvenir d'elle qu'elle pût laisser dans l'âme de ses amis. On eût dit qu'elle le sentait et qu'elle voulût mettre son coeur et son esprit à l'unisson de cette idéalité, car jamais elle n'aborda devant moi des sphères aussi élevées, et elle y monta d'elle-même avec cette simplicité candide qui formait souvent en elle un puissant contraste avec l'ardente et charmante exubérance de son esprit de saillies. «Je ne crois, me dit-elle, à aucun mystère et à aucun miracle transmis ou expliqués par les hommes. Tout est mystère et tout est miracle dans le seul fait de la vie et de la mort. Je ne crois pas à ma table tournante autant qu'on se l'imagine: ce n'est qu'un instrument qui écrit ce que ma pensée évoque. Je me sens très-bien avec Dieu; je ne crois ni au diable ni à l'enfer.» Et elle ajouta précisément quelque chose comme ce que vous disiez ici tout à l'heure: «Si je n'ai pas la foi, j'ai l'équivalent: j'ai la confiance.» Tel fut son résumé. Était-il d'un catholicisme orthodoxe? Quant à moi, sa religion me satisfit pleinement. Je me hâtai d'écarter l'idée de la mort qu'elle semblait évoquer, et que je ne pouvais croire si prochaine pour elle. Il y avait en elle une sérénité si aimable, un rayonnement si doux!

      Vous venez de lire tous ces hommages rendus à son génie littéraire. Aucun de nous ici n'a l'idée de les contester; donc je vous parlerai surtout du côté de son âme qu'elle montrait le moins, et que de funestes circonstances, à moi personnelles, m'avaient mis à même d'apprécier. Je parle de sa sensibilité ardente et de cette tendresse de coeur que la vie du monde couvrait d'un voile de discrétion et d'enjouement. On a dit avec raison qu'elle avait eu le don et le charme de rester femme. Eh bien! elle était plus complète encore, elle était mère dans son coeur et dans ses entrailles, bien qu'elle eût été privée des joies et des douleurs de la maternité. Elle les connaissait, elle les sentait dans les autres.