Название | Le meunier d'Angibault |
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Автор произведения | George Sand |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088682 |
Cependant, le jour bleuâtre et pur qui perçait à travers les rideaux faisait paraître enchanteur le sanctuaire qu'en d'autres temps madame de Blanchemont s'était plu à décorer elle-même avec un goût exquis. Elle avait presque toujours vécu loin de son mari, et cette jolie chambre si chaste et si fraîche, où Henri lui-même n'avait jamais osé pénétrer, ne lui rappelait que des souvenirs mélancoliques et doux. C'était là que, fuyant le monde, elle avait lu et rêvé au parfum de ces fleurs d'une beauté sans égale que l'on ne trouve qu'à Paris et qui font aujourd'hui partie de la vie des femmes aisées. Elle avait rendu cette retraite poétique autant qu'elle l'avait pu; elle l'avait ornée et embellie pour elle-même; elle s'y était attachée comme à un asile mystérieux, où les douleurs de sa vie et les orages de son âme s'étaient toujours apaisés dans le recueillement et la prière. Elle y promena un long regard d'affection, puis elle prononça, en elle-même, la formule d'un éternel adieu à tous ces muets témoins de sa vie intime... vie cachée comme celle de la fleur qui n'aurait pas une tache à montrer au soleil, mais qui penche sa tête sous la feuillée par amour de l'ombre et de la fraîcheur.
—Retraite de mon choix, ornements selon mon goût, je vous ai aimés, pensa-t-elle; mais je ne puis plus vous aimer, car vous êtes les compagnons et les consécrateurs de la richesse et de l'oisiveté. Vous représentez à mes yeux, désormais, tout ce qui me sépare d'Henri. Je ne pourrais donc plus vous regarder sans dégoût et sans amertume. Quittons-nous avant de nous haïr. Sévère madone, tu cesserais de me protéger; glaces pures et profondes, vous me feriez détester ma propre image; beaux vases de fleurs, vous n'auriez plus pour moi ni grâces ni parfums!
Puis, avant d'écrire à Henri, comme elle l'avait résolu, elle alla sur la pointe du pied contempler et bénir le sommeil de son fils. La vue de ce pâle enfant, dont l'intelligence précoce s'était développée aux dépens de sa force physique, lui causa un attendrissement passionné. Elle lui parla dans son coeur comme s'il eût pu, dans son sommeil, écouter et comprendre les pensées maternelles.
—Sois tranquille, lui disait-elle, je ne l'aime pas plus que toi. N'en sois pas jaloux. S'il n'était pas le meilleur et le plus digne des hommes, je ne te le donnerais pas pour père. Va, petit ange, tu es ardemment et fidèlement aimé. Dors bien, nous ne nous quitterons jamais! Marcelle, toute baignée de larmes délicieuses, rentra dans sa chambre et écrivit à Lémor ce peu de lignes:
«Vous avez raison, et je vous comprends. Je ne suis pas digne de vous; mais je le deviendrai, car je le veux. Je vais partir pour un long voyage. Ne vous inquiétez pas de moi, et aimez-moi encore. Dans un an, à pareil jour, vous recevrez une lettre de moi. Disposez votre vie de manière à être libre de venir me trouver en quelque lieu que je vous appelle. Si vous ne me jugez pas encore assez convertie, vous me donnerez encore un an... un an, deux ans, avec l'espérance, c'est presque le bonheur pour deux êtres qui, depuis si longtemps, s'aiment sans rien espérer.»
Elle fit porter ce billet de grand matin. Mais on ne trouva point M. Lémor. Il était parti la veille au soir, on ne savait pour quel pays, ni pour combien de temps. Il avait donné congé de son modeste logement. On assurait pourtant que la lettre lui parviendrait, parce qu'un de ses amis était chargé de venir tous les jours retirer sa correspondance pour la lui faire passer.
Deux jours après, madame de Blanchemont avec son fils, une femme de chambre et un domestique, traversait en poste les déserts de la Sologne.
Arrivée à quatre-vingts lieues de Paris, la voyageuse se trouva à peu près au centre de la France et coucha dans la ville la plus voisine de Blanchemont dans cette direction. Blanchemont était, encore éloigné de cinq à six lieues, et, dans le centre de la France, malgré toutes les nouvelles routes ouvertes à la circulation depuis quelques années, les campagnes ont encore si peu de communication entre elles, qu'à une courte distance il est difficile d'obtenir des habitants un renseignement certain sur l'intérieur des terres. Tous savent bien le chemin de la ville ou du district forain où leurs affaires les appellent de temps en temps. Mais demandez dans un hameau le chemin de la ferme qui est à une lieue de là, c'est tout au plus si on pourra vous le dire. Il y a tant de chemins!... et tous se ressemblent. Réveillés de grand matin pour disposer le départ de leur maîtresse, les domestiques de madame de Blanchemont ne purent donc obtenir ni du maître de l'auberge, ni de ses serviteurs, ni des voyageurs campagnards qui se trouvaient là encore à moitié endormis, aucune lumière sur la terre de Blanchemont. Personne ne savait précisément où elle était située. L'un venait de Montluçon, l'autre connaissait Château-Meillant; tous avaient cent fois traversé Ardentes et La Châtre; mais on ne connaissait de Blanchemont que le nom.
—C'est une terre qui a du rapport, disait l'un, je connais le fermier, mais je n'y ai jamais été. C'est très-loin de chez nous, c'est au moins à quatre grandes lieues.
—Dame! disait un autre, j'ai vu les boeufs de Blanchemont à la foire de la Berthenoux, pas plus tard que l'an dernier, et j'ai parlé à M. Bricolin, le fermier, comme je vous parle à cette heure. Ah oui! ah oui! je connais Blanchemont! mais je ne sais pas de quel côté ça se trouve.
La servante, comme toutes les servantes d'auberge, ne savait rien des environs. Comme toutes les servantes d'auberge, elle était depuis peu de temps dans l'endroit.
La femme de chambre et le domestique, habitués à suivre leur maîtresse dans de brillantes résidences connues à plus de vingt lieues à la ronde, et situées dans des contrées civilisées, commençaient à se croire au fond du Sahara. Leurs figures s'allongeaient, et leur amour-propre souffrait cruellement d'avoir à demander sans succès le chemin du château qu'ils allaient honorer de leur présence.
—C'est donc une baraque, une tanière? disait Suzette d'un air de mépris à Lapierre.
—C'est le palais des Corybantes, répondait Lapierre, qui avait chéri dans sa jeunesse un mélodrame à grand succès intitulé le Château de Corisande, et qui appliquait ce nom, en l'estropiant, à toutes les ruines qu'il rencontrait.
Enfin, le garçon d'écurie fut frappé d'un trait de lumière.
—J'ai là-haut dans l'abat-foin, dit-il, un homme qui vous dira ça, car son métier est de courir le pays de jour et de nuit. C'est le Grand-Louis, autrement dit le grand farinier.
—Va pour le grand farinier, dit Lapierre d'un air majestueux, il paraît que sa chambre à coucher est au bout de l'échelle?
Le grand farinier descendit de son grenier en tiraillant et en faisant craquer ses grands bras et ses grandes jambes. En voyant cette structure athlétique et cette figure décidée, Lapierre quitta son ton de grand seigneur facétieux et l'interrogea avec politesse. Le farinier était, en effet, des mieux renseignés; mais, aux éclaircissements qu'il donna, Suzette jugea nécessaire de l'introduire auprès de madame de Blanchemont, qui prenait son chocolat dans la salle avec le petit Édouard, et qui, loin de partager la consternation de ses gens, se réjouissait d'apprendre d'eux que Blanchemont était un pays perdu et quasi introuvable.
L'échantillon du terroir qui se présentait en cet instant devant Marcelle avait cinq pieds huit pouces de haut, taille remarquable dans un pays où les hommes sont généralement plus petits que grands. Il était robuste à proportion, bien fait, dégagé, et d'une figure remarquable. Les filles de son endroit l'appelaient le beau farinier, et cette épithète était aussi bien méritée que l'autre. Quand il essuyait du revers de sa manche la farine qui couvrait habituellement ses joues, il découvrait un teint brun et animé du plus beau ton. Ses traits étaient réguliers, largement taillés comme ses membres, ses yeux noirs et bien fendus, ses dents éblouissantes, et ses longs cheveux châtains ondulés et crépus comme ceux d'un homme très-fort, encadraient carrément un front large et bien rempli, qui annonçait plus de finesse et de bon sens que d'idéal poétique. Il était vêtu d'une blouse gros-bleu et d'un pantalon de toile grise. Il portait peu de bas, de gros souliers ferrés, et un lourd bâton de cormier terminé par un noeud de la branche qui en faisait une espèce de massue.
Il entra avec une assurance qu'on eût pu prendre