Jacques. George Sand

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Название Jacques
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088781



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étonnés, toujours questionneurs, et si ingénus quand l'amour en adoucit la vivacité; si tu entendais le son un peu brusque de cette voix nette et accentuée, tu reconnaîtrais, à des indices indubitables, la franchise et l'honnêteté. Fernande a dix-sept ans; elle est petite, blanche, un peu grasse, mais élégante et légère cependant. Ses yeux et ses sourcils noirs au-dessous d'une forêt de cheveux blonds, donnent un caractère particulier à sa beauté. Son front n'est pas très élevé, mais il est purement dessiné, et annonce une intelligence plutôt docile que saisissante, plutôt capable de mémoire que d'observation. En effet, elle arrange et emploie convenablement ce qu'elle sait, et ne découvre rien par elle-même. Je ne te dirai pas, comme font tous les amants, que son caractère et son esprit sont faits exprès pour assurer le bonheur de ma vie. Ce serait une phrase de clerc de notaire, et l'approche du mariage ne m'a pas encore rendu imbécile à ce point. Le caractère de Fernande est ce qu'il est; je l'étudie, je le possède, et je traiterai avec lui en conséquence. Quand j'étais jeune, je croyais à un être créé pour moi. Je le cherchais dans les natures les plus opposées, et quand je désespérais de le trouver dans l'une, je me hâtais de l'espérer dans une autre. C'est ainsi que j'ai aggravé mes maux et que j'ai souvent connu le découragement, Amour romanesque! tourment et chimère des années fécondes de la vie!

      Ne vous trompez pas sur moi, cependant, Sylvia; je ne suis pas un homme blasé qui se retire des passions pour vivre bourgeoisement avec une femme simple, gentille et rangée: je suis un homme encore bien jeune de coeur, qui aime fortement une jeune fille, et qui l'épouse pour deux raisons: la première, parce que c'est l'unique moyen da la posséder; la seconde, parce que c'est l'unique moyen de l'arracher des mains d'une méchante mère, et de lui procurer une vie honorable et indépendante. Vous voyez que c'est un mariage d'amour; je ne m'en défends pas. Si cette détermination entraînait tous les maux que vous craignez, ce qu'il y a de vieux en moi, l'esprit et la volonté, aurait pris le dessus, et j'aurais fui avant de m'abandonner à mon coeur; mais ces maux sont imaginaires, Sylvia, et je vais te le prouver.

      Je n'ai pas changé d'avis, je ne me suis pas réconcilié avec la société, et le mariage est toujours, selon moi, une des plus barbares institutions qu'elle ait ébauchées. Je ne doute pas qu'il ne soit aboli, si l'espèce humaine fait quelque progrès vers la justice et la raison; un lien plus humain et non moins sacré remplacera celui-là, et saura assurer l'existence des enfants qui naîtront d'un homme et d'une femme, sans enchaîner à jamais la liberté de l'un et de l'autre. Mais les hommes sont trop grossiers et les femmes trop lâches pour demander une loi plus noble que la loi de fer qui les régit: à des êtres sans conscience et sans vertu, il faut de lourdes chaîne. Les améliorations que rêvent quelques esprits généreux sont impossibles à réaliser dans ce siècle-ci; ces esprits-là oublient qu'ils sont de cent ans en avant de leurs contemporains, et qu'avant de changer la loi il faut changer l'homme.

      Quand on est de ceux-là, quand on se sent moins brute et moins féroce que la société où l'on est condamné à vivre et à mourir, il faut ou lutter corps à corps avec elle, ou s'en retirer tout à fait. J'ai fait l'un, je veux faire l'autre. J'ai vécu seul, méprisant l'activité d'autrui, et me lavant les mains devant Dieu des impuretés de la race humaine; à présent je veux vivre deux, et donner à un être semblable à moi le repos et la liberté qui m'ont été refusés de tous. Ce que j'ai amassé de force et d'indépendance durant toute une vie de solitude et de haine, je veux en faire profiter l'objet de mon affection, un être faible, opprimé, pauvre, et qui me devra tout; je veux lui donner un bonheur inconnu ici-bas; je veux, au nom de la société que je méprise, lui assurer les biens que la société refuse aux femmes. Je veux que la mienne soit un être noble, fier et sincère; telle que la nature l'a faite, je veux la conserver; je veux qu'elle n'ait jamais ni besoin ni envie de mentir. J'ai embrassé cette idée-là comme un but à ma triste et stérile existence, et je me persuade que, si je réussis, ma vie ne sera pas absolument perdue.

      Ne souris pas, Sylvia; ce ne sera pas une petite chose, cela sera peut-être plus grand devant Dieu que les conquêtes d'Alexandre. J'y emploierai tout mon courage, toute ma force; j'y sacrifierai tout, s'il le faut: ma fortune, mon amour, et ce que les hommes appellent leur honneur; car je ne me dissimule pas les difficultés de mon entreprise et ce que la société y apportera d'obstacles. Je sais combien ses préjugés, sa jalousie, ses menaces, sa haine, entraveront mes pas et glaceront de terreur celle que j'ai prise par la main pour la faire marcher avec moi dans ce chemin désert; mais je surmonterai tout, je le sens, je le sais. Si mon courage faiblissait, ne serais-tu pas là pour me dire: «Jacques, souviens-toi de ce que tu a promis à Dieu?»

       Table des matières

       Table des matières

      Tilly, le...

      Tu es une moqueuse; tu dis que j'imite le jargon des grognards, comme si j'avais composé dix vaudevilles; cependant tu dis que j'ai bien fait de te raconter tout cela; et moi aussi, je le pense, car te voilà à demi réconciliée avec Jacques; ce caractère froidement brave te plaît, et à moi donc!

      J'ai suivi ton conseil, et je ne sais trop quelle conclusion je dois tirer de la conversation que j'ai eue avec les Borel. Je te la transmets, au risque d'être encore traitée de petite perruche: tu me diras ce que tu en penses.

      L'occasion s'est offerte à moi on ne peut meilleure. Maman avait été faire une visite à notre voisine, madame de Bailleul, quand Eugénie et son mari sont arrivés. Jacques avait été appelé à Tours pour une affaire. «Je suis enchantée de me trouver seule avec vous, leur ai-je dit; j'ai beaucoup de questions à vous faire à tous deux. D'abord êtes-vous bien mes amis? suis-je indiscrète de compter sur vous comme sur moi-même?» Eugénie m'a embrassée, et son mari m'a tendu la main d'une grosse façon militaire que ma mère eût trouvée de bien mauvais ton, mais qui m'a inspiré plus de confiance que tous les compliments du monde. «Il faut que vous me parliez de Jacques, leur ai-je dit; vous ne m'en avez jamais dit que du bien; il est impossible que vous n'ayez pas un peu de mal à m'en dire.—Qu'est-ce que cela signifie? s'est écriée Eugénie.—Ma bonne amie, lui ai-je répondu, je vais m'engager sans retour et bien précipitamment avec un homme que je connais très-peu; ce serait une grande folie, si vous n'étiez garants du noble caractère de cet homme-là. Maintenant je ne songe pas à m'en dédire, car il sait et vous savez tous que je l'aime; mais, malgré cela, et même à cause de cela, je voudrais le connaître mieux et pouvoir me tenir en garde contre les défauts grands ou petits qu'il peut avoir. Vous m'avez dit, dans un temps où aucun de nous ne songeait qu'il pouvait devenir mon mari, qu'il avait beaucoup de singularités, maintenant il m'intéresse extrêmement de savoir quelles sont ces singularités, afin de n'en pas blesser quelqu'une involontairement et d'éviter tout ce qui peut les éveiller. Je n'en ai encore aperçu que l'ombre, et je me demande souvent s'il est possible qu'un homme soit aussi parfait que Jacques me semble l'être. Je veux me défendre de l'aveuglement et de l'enthousiasme; je vous en prie, mes amis, parlez-moi, éclairez-moi.

      —Cela est embarrassant en diable, a répondu M. Borel, et je ne sais que vous dire. Vous êtes si franche et si bonne enfant, Mademoiselle, que, si vous étiez ma propre soeur, je ne pourrais pas avoir plus d'estime et d'amitié pour vous que je n'en ai. D'un autre côté, Jacques est mon plus ancien, mon meilleur ami: il m'a porté sur ses épaules en Russie pendant plus de trois lieues. Oui, Mademoiselle, le petit Jacques a porté le gros animal que voilà, qui sans lui serait crevé de froid à côté de son cheval; et il a manqué de mourir lui-même par suite de ce léger fardeau. Je vous ai raconté cela, peut-être; je pourrais vous raconter tant d'autres choses! des dettes payées, des duels accommodés, des coups parés tant à la bataille qu'au cabaret, des services à n'en pas finir; et moi, qu'est-ce que j'ai fait pour lui? rien du tout. Ai-je le droit à présent de parler de lui comme je le ferais d'un autre?—À tout autre qu'à moi, non certainement, ai-je répondu;