Название | Les liaisons dangereuses |
---|---|
Автор произведения | Choderlos de Laclos |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066073763 |
Ce même jour où je vous écrivais que j’allais travailler à notre rupture combien je le rendis heureux! Je m’occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer quand on me l’annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle où ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j’allais sortir; il me demanda où j’allais, je refusai de le lui apprendre. Il insista: Où vous ne serez pas, repris-je avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse; car, s’il eût dit un mot, il s’ensuivait immanquablement une scène qui eût amené la rupture que j’avais projetée. Étonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu’il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure cette tristesse à la fois profonde et tendre à laquelle vous-même êtes convenu qu’il était si difficile de résister. La même cause produisit le même effet: je fus vaincue une seconde fois. Dès ce moment, je ne m’occupai plus que des moyens d’éviter qu’il pût me trouver un tort. «Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et même cette affaire vous regarde, mais ne m’interrogez pas. Je souperai chez moi; revenez et vous serez instruit.» Alors il retrouva la parole, mais je ne lui permis pas d’en faire usage. «Je suis très pressée, continuai-je, laissez-moi; à ce soir.» Il baisa ma main et sortit.
Aussitôt, pour le dédommager, peut-être pour me dédommager moi-même, je me décide à lui faire connaître ma petite maison dont il ne se doutait pas. J’appelle ma fidèle Victoire. J’ai ma migraine, je me couche pour tous mes gens et, restée enfin seule avec la véritable, tandis qu’elle se travestit en laquais, je fais une toilette de femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin et nous voilà parties. Arrivée dans ce temple de l’amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux, il est de mon invention: il ne laisse rien voir et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modèle pour votre présidente, quand vous l’aurez rendue digne de le porter.
Après ces préparatifs, pendant que Victoire s’occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre d’Héloïse et deux contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon chevalier arrive à ma porte avec l’empressement qu’il a toujours. Mon suisse la lui refuse et lui apprend que je suis malade: premier incident. Il lui remet en même temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente règle. Il l’ouvre et y trouve de la main de Victoire: «A neuf heures précises, au boulevard, devant les cafés». Il s’y rend, et là un petit laquais qu’il ne connaît pas, qu’il croit au moins ne pas connaître, car c’était toujours Victoire, vient lui annoncer qu’il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tête d’autant, et la tête échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, et la surprise et l’amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet, puis je le ramène vers la maison. Il voit d’abord deux couverts mis, ensuite un lit fait. Nous passions jusqu’au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là, moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber à ses genoux: «O mon ami! lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t’avoir affligé par l’apparence de l’humeur, d’avoir pu un instant voiler mon cœur à tes regards. Pardonne-moi mes torts; je veux les expier à force d’amour». Vous jugez de l’effet de ce discours sentimental. L’heureux chevalier me releva, et mon pardon fut scellé sur cette même ottomane où vous et moi scellâmes si gaiement et de la même manière notre éternelle rupture.
Comme nous avions six heures à passer ensemble, et que j’avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports et l’aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. Après le souper, tour à tour enfant et raisonnable, folâtre et sensible, quelquefois même libertine, je me plaisais à le considérer comme un sultan au milieu de son sérail, dont j’étais tour à tour les favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la même femme, le furent toujours par une maîtresse nouvelle.
Enfin, au point du jour, il fallut se séparer et, quoi qu’il dît, quoi qu’il fît même pour me prouver le contraire, il en avait autant besoin que peu d’envie. Au moment où nous sortîmes, et pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour et la lui remettant entre les mains: «Je ne l’ai eue que pour vous, lui dis-je, il est juste que vous en soyez maître; c’est au sacrificateur à disposer du temple.» C’est par cette adresse que j’ai prévenu les réflexions qu’aurait pu lui faire naître la propriété, toujours suspecte, d’une petite maison. Je le connais assez pour être sûre qu’il ne s’en servira que pour moi, et si la fantaisie me prenait d’y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir; mais je l’aime trop encore pour vouloir l’user si vite. Il ne faut se permettre d’excès qu’avec les gens qu’on veut quitter bientôt. Il ne sait pas cela, lui; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux.
Je m’aperçois qu’il est trois heures du matin et que j’ai écrit un volume, ayant le projet de n’écrire qu’un mot. Tel est le charme de la confiante amitié, c’est elle qui fait que vous êtes toujours ce que j’aime le mieux; mais, en vérité, le chevalier est ce qui me plaît davantage.
De..., ce 12 août 17**.
LETTRE XI
La Présidente de TOURVEL à Madame de VOLANGES.
Votre lettre sévère m’aurait effrayée, madame, si par bonheur je n’avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m’en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit être la terreur de toutes les femmes, paraît avoir déposé son arme meurtrière avant d’entrer dans ce château. Loin d’y former des projets, il n’y a pas même porté de prétentions, et la qualité d’homme aimable, que ses ennemis même lui accordent, disparaît presque ici pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C’est apparemment l’air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je vous puis assurer, c’est qu’étant sans cesse avec moi, paraissant même s’y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l’amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu’il faut pour les justifier. Jamais il n’oblige à cette réserve dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd’hui, pour contenir les hommes qui l’entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu’il inspire. Il est peut-être un peu louangeur, mais c’est avec tant de délicatesse qu’il accoutumerait la modestie même à l’éloge. Enfin, si j’avais un frère, je désirerais qu’il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-être beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée, et j’avoue que je lui sais un gré infini d’avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles.
Ce portrait diffère beaucoup sans doute de celui que vous me faites, et, malgré cela, tous deux peuvent être ressemblants en fixant les époques. Lui-même convient d’avoir eu beaucoup de torts et on lui en aura bien aussi prêté quelques-uns. Mais j’ai rencontré peu d’hommes qui parlassent des femmes honnêtes avec