Deux. Impair. Federico Montuschi

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Название Deux. Impair
Автор произведения Federico Montuschi
Жанр Полицейские детективы
Серия
Издательство Полицейские детективы
Год выпуска 0
isbn 9788893986472



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elle ne remarqua pas que son téléphone était tombé sur la pelouse, juste à côté d’un banc sur lequel un homme dormait sur le dos, avec une casquette de baseball posée sur les yeux et un journal déplié sur le ventre et les jambes.

      Elle arriva chez elle juste à temps pour le dîner, après une demi-heure de promenade, pendant laquelle elle laissa aller ses pensées librement ; mais, alors qu’elle venait de réaliser la perte de son téléphone après avoir posé son sac dans sa chambre, elle ne put savourer le picadillo [2] de pommes de terre à la viande, préparé d’une main de maître par Conchita. Elle mangea rapidement, sans pratiquement prononcer un mot ; une chose somme toute assez simple, quand Mar et Conchita étaient assises à table et pouvaient parler pendant des heures de la couleur de l’herbe.

      Son père était cloué au lit avec une mauvaise grippe, ce qui était un événement assez rare. Sans lui, le repas était toujours moins joyeux.

      Une fois son picadillo terminé, Carmen se rendit dans sa chambre pour prendre des nouvelles de sa santé.

      « Salut Papa, comment ça va ? »

      L’inspecteur Castillo, allongé sur le côté en direction de la fenêtre, par laquelle on apercevait une lune pâle et voilée de nuages bigarrés vagabondant indécis dans le ciel noir, eut bien du mal à se tourner vers sa fille.

      « Mal, Carmen. J’ai presque quarante de fièvre et à mon âge, crois-moi, une température aussi élevée, ça n’est pas rien.

      — Sais-tu que la grippe se dit aussi « Influenza ». Le terme « influenza » dérive de la forme latine médiévale influentia , qui signifie action des astres sur le destin humain ? »

      L’inspecteur sembla se reprendre.

      Entendre sa fille citer des mots anciens en latin le remplissait de fierté. « Bien...et qui te l’a dit ? », demanda-t-il sur un ton volontairement provocateur, avec pour seul objectif de poursuivre la conversation.

      « C’est toi qui m’as obligée à m’inscrire en philo, non ? »

      Le clin d'œil de Carmen fit immédiatement chuter le niveau de tension que l’inspecteur Castillo avait atteint presque instantanément : le choix de l’université était un point sensible, apportant son lot de discussions interminables avec Carmen, qui ne voulait pas continuer ses études après le lycée.

      Il l’avait emporté, finalement.

      « Alors ma grippe est due à une mauvaise conjonction astrale ? Elle est bien bonne celle-là. Mais moi, plus qu’à l’étoile de Sirius et à l’étoile Polaire - qui sont les deux seules que je connaisse - je crois surtout à ce maudit vent glacial qui a soufflé ces derniers jours ! Tu n’as qu’à le dire à tes profs de philo ! »

      L’éclat de rire de Carmen fut accompagné d’une caresse sur la main de son père.

      « C’est la première fois que je te vois dans cet état, Papa...

      — Ça devait bien arriver un jour, tu sais, ma fille. Mais ne t’inquiète pas, avec un peu de repos, je serai même plus en forme qu’avant. Raconte-moi plutôt ta journée. »

      Le récit de la journée était une habitude que l’inspecteur Castillo avait réussi à maintenir avec Carmen ; Mar, elle, s’en était libérée depuis quelques années, fatiguée d’avoir à raconter le moindre détail de son emploi du temps à son inspecteur de père.

      « Hier, j’ai passé mon premier examen universitaire, Papa ! »

      La voix de Carmen résonna dans la pièce, fière et joyeuse.

      « Comment ?! », dit l’inspecteur « Je n’étais pas au courant ! De quel examen s’agit-il ? Combien de temps ça a duré ? Quelles questions t’a-t-on posées ? Raconte-moi tout, tout de suite !

      — Je voulais te faire une surprise ! », répondit la jeune femme en souriant, décrivant ensuite avec une profusion de détails l’examen d’histoire de la philosophie, expliquant avec précision les questions posées, les réponses fournies, les commentaires de ses amis, la satisfaction au moment de recevoir la note.

      Castillo écouta la bouche entrouverte et la mâchoire inférieure sur le point de tomber à tout moment.

      Il avait l’émotion facile quand il s’agissait de sa fille.

      Mais l’humeur de la soirée changea du tout au tout quand Carmen, après avoir terminé le récit de sa journée universitaire, relata son trajet de retour.

      « Malheureusement, ce soir il m’est arrivé un truc pas terrible.

      — Quoi donc ? »

      Cette fois, Castillo se redressa avec peine sur le lit, en s’appuyant sur ses coudes, avec un air préoccupé.

      « J’ai perdu mon téléphone.

      — Ouf...ça aurait pu être pire. Mais il est passé où, nom d’un chien ? » Le mouvement nerveux de la main de son père n’échappa pas à Carmen.

      « Papa, si je le savais, il ne serait pas perdu. Je suis sûre que je l’avais quand je suis sortie du bus... »

      Castillo commença à transpirer.

      « Et ensuite ? Qu’est-ce que tu as fait ? Tu parles bien de ce beau téléphone, qu’on t’a offert à Noël, qui fait les photos et les vidéos, qui va sur Internet et toutes ces choses qui ne me servent à rien, à moi, mais qui t'intéressent tellement ?

      — Exact, Papa. Je dois l’avoir perdu pendant le trajet que j’ai fait en traversant le parc. Mince alors...c’était une si belle journée.

      — Écoute Carmen, retourne en arrière, refais le parcours en sens inverse, tu le trouveras sûrement par terre, non ? Tu sais combien il nous a coûté ce téléphone ?

      — Papa, tu connais le quartier du parc de la gare, c’est pas génial, il est neuf heures passées et il fait noir dehors ! »

      Castillo se tourna vers la fenêtre pour vérifier.

      Le croissant de lune confirmait l’affirmation de Carmen.

      L’obscurité enveloppait Burgos et, vu le balancement des branches des peupliers qui longeaient la route sur laquelle donnait la chambre de l’inspecteur, le vent s’était aussi levé.

      « Ça va, Carmen, si tu ne t’en sens pas le courage, laisse tomber. Mais ne crois pas que tu auras un autre téléphone comme celui-là, avec ce qu’il nous a coûté ! Tu sais bien que... », mais Carmen ne le laissa pas terminer, l’interrompant en chantonnant, « ...que ta mère et moi nous faisons toujours tout ce que nous pouvons pour vous mais nous ne pouvons pas, et nous voulons pas, nous permettre de vous acheter des choses inutiles. »

      Les regards du père et de la fille se croisèrent et Carmen perçut l’effort que son père faisait pour rester sérieux.

      « Amen », ajouta-t-elle alors, lui donnant le coup de grâce et réussissant à le faire sourire, avant de l’embrasser pour lui dire au revoir.

      Elle retourna à la cuisine en lui souhaitant une bonne nuit de sommeil, qui n’arriva pas plus de dix minutes plus tard : l’inspecteur, fiévreux, s’endormit lourdement.

      « Tout va bien ? », demanda distraitement Mar, remuant le café fumant que Conchita avait tout juste préparé.

      La réponse de Carmen fut devancée par la sonnerie du téléphone de la maison.

      Les jeunes femmes se regardèrent étonnées : depuis que toute la famille avait un téléphone portable, le téléphone fixe n’était plus utilisé que par des parents lointains et âgés pour les vœux de Pâques et de Noël.

      Conchita souleva le combiné sous le regard attentif des deux sœurs.

      « Oui, un instant, je l’appelle tout de suite. Bonne soirée à vous, monsieur ».