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son couteau.

      Don Juan lui saisit le poignet de sa main gantée, et le lui tordit si rudement qu'il laissa échapper son arme avec un cri de douleur.

      –-A genoux! et demande pardon, reprit le gentilhomme; et il jeta Chillito sur le sol.

      –-Non, tuez-moi plutôt.

      –-Va, gueux, retire-toi, tu n'es qu'une bête brute.

      Le gaucho se releva en chancelant; Le sang injectais ses yeux, ses lèvres étaient blêmes, tout son corps tremblait. Il ramassa son couteau et s'approcha de don Juan, qui l'attendait les bras croisés.

      –-Eh bien! oui, dit-il, je suis une bête brute, mais je vous aime, après tout. Pardonnez-moi ou tuez-moi, ne me chassez pas.

      –-Va-t'en.

      –-C'est votre dernier mot?

      –-Oui.

      –-Au diable, alors!

      Et le gaucho, d'un mouvement prompt comme la pensée, leva son arme pour se frapper.

      –-Je te pardonne, reprit don Juan qui avait arrêté le bras de Chillito; mais, si tu veux me servir, sois muet comme un cadavre.

      Le gaucho tomba à ses pieds et couvrit ses mains de baisers, semblable au chien qui lèche son maître dont il a été battu.

      Mato était resté témoin immobile de cette scène.

      –-Quel pouvoir a donc cet homme étrange pour être aimé ainsi! murmura José Diaz toujours caché derrière un arbre.

      III.–DON JUAN PEREZ

      Après un court silence, don Juan reprit la parole.

      –-Je sais que tu m'es dévoué, et j'ai en toi une entière confiance, mais tu es un ivrogne, Chillito, et la boisson conseille mal.

      –-Je ne boirai plus, répondit le gaucho.

      Don Juan sourit.

      –-Bois, mais sans tuer ta raison. Dans l'ivresse, comme tu l'as fait tantôt, on lâche des mots sans remède plus meurtriers que le poignard. Ce n'est pas le maître qui parle ici, c'est l'ami. Puis-je compter sur vous deux?

      –-Oui, dirent les gauchos.

      –-Je pars; vous ne quittez pas la colonie et soyez prêts à tout. Surveillez particulièrement la maison de don Luis Munoz au dehors et au dedans. S'il arrive quelque chose d'extraordinaire à lui ou sa fille dona Linda, vous allumerez immédiatement deux feux, l'un sur la falaise des Urubus, l'autre sur celle de San-Xavier, et au bout de quelques heures vous aurez de mes nouvelles. Chacun de mes ordres si incompréhensible qu'il soit, me promettez-vous de l'exécuter avec promptitude et dévouement.

      –-Nous le jurons!

      –-C'est bien. Un dernier mot! Liez-vous avec le plus de gauchos que vous pourrez: tâchez, sans éveiller le soupçon qui ne dort jamais que d'un oeil, de réunir une troupe d'homme déterminés. A propos, méfiez-vous de Pavito: c'est un traître.

      –-Faut-il le tuer? demanda Mato.

      –-Peut-être serait-ce prudent, mais il faudrait s'en débarrasser adroitement.

      Les deux gauchos se lancèrent un regard à la dérobée; don Juan feignit de ne pas les voir.

      –-Avez-vous besoin d'argent?

      –-Non, maître.

      –-N'importe! prenez cela.

      Il jeta dans la main de Mato une longue bourse en filet; un grand nombre d'onces d'or étincelaient à travers les mailles.

      –-Chillito, mon cheval.

      Le gaucho entra dans le bois et reparut presque aussitôt, tenant en bride un magnifique coureur sur lequel don Juan s'élança.

      –-Adieu, leur dit-il, prudence et fidélité! Une indiscrétion vous coûterait la vie.

      Et, ayant fait un salut amical aux deux gauchos, il donna de l'éperon dans les flancs du cheval et s'éloigna dans la direction du Carmen. Mato et Chillito reprirent le chemin de la Poblacion-del-Sur.

      Dès qu'ils furent à une certaine distance, dans un coin de clairière s'agitèrent les broussailles, d'où s'avança par degrés une tête pâlie par la peur. Cette tête appartenait au Pavito, qui, un pistolet d'une main et son couteau de l'autre, se dressa sur ses pieds en regardant autour de lui d'un air effaré et en murmurant à mi-voix:

      –-Canario! me tuer adroitement! nous verrons, nous verrons. Santa Virgen del Pilar! quels démons! Eh! eh! on a raison d'écouter.

      –-C'est le seul moyen d'entendre, dit quelqu'un d'un ton railleur.

      –-Qui va là? s'écria le Pavito, qui fit un bond de côté.

      –-Un ami, reprit José Diaz qui sortit de derrière l'érable et joignit le gaucho, auquel il serra la main.

      –-Ah! ah! capataz (majordome) soyez le bienvenu. Vous écoutiez donc aussi?

      –-Tudieu! si j'écoutais? J'ai profité de l'occasion pour m'édifier sur don Juan.

      –-Eh bien?

      –-Ce caballero me parait un assez ténébreux scélérat: mais, Dieu aidant, nous ruinerons ses trames pleines d'ombre.

      –-Ainsi soit-il!

      –-Et d'abord, que comptez-vous faire?

      –-Ma foi! je l'ignore. J'ai des bourdonnements dans les oreilles. Me tuer adroitement! Mato et Chillito sont bien les plus hideux sacripants de la pampa.

      –-Caramba! je les connais de longue date; à cette heure ils m'inquiètent médiocrement.

      –-Mais moi?

      –-Bah! vous n'êtes pas encore mort.

      –-Je n'en vaux guère mieux.

      –-Auriez vous peur, vous le plus hardi chasseur de panthère que je sache?

      –-Une panthère n'est, après tout, qu'une panthère, on en a raison avec une balle; mais les deux gaillards que don Juan a lâchés après moi sont des démons.

      –-C'est vrai; donc allons au plus pressé. Don Luis Munoz dont je suis le capataz, est mon frère de lait, c'est vous dire que je lui suis dévoué à la vie à la mort. Don Juan ourdit contre la famille de mon maître quelque infernal complot que je veux faire échouer. Etes-vous décidé à me prêter main-forte? Deux hommes peuvent beaucoup qui, à eux deux, n'ont qu'une seule volonté.

      –-Franchise pour franchise, don José, reprit le Pavito après un instant de réflexion. Ce matin, j'aurais refusé; ce soir, j'accepte, car je ne risque plus de trahir les gauchos mes camarades. La position est changée. Me tuer adroitement! Vrai Dieu, je me vengerai! Je suis à vous, capataz, comme mon couteau est à sa poignée, à vous corps et âme, foi de gaucho!

      –-A merveille! fit don José; nous saurons nous entendre. Montez à cheval et allez m'attendre à l'Estancia: j'y retournerai après le coucher du soleil, et là, nous dresserons le plan de contre-mine.

      –-D'accord. De quel côté vous dirigez-vous?

      –-Je me rends chez don Luis Munoz.

      –-A ce soir, alors!

      –-A ce soir!

      Ils se séparèrent. Le Pavito, dont le cheval était caché à peu de distance, galopa vers l'estancia de San-Julian, dont José était le capataz, tandis que celui-ci descendait à grands pas le chemin de la Poblacion.

      Don Luis Munoz était un des plus riches propriétaires du Carmen, où sa famille s'était établie depuis la fondation de la colonie. C'était un homme d'environ quarante-cinq ans. Originaire de la vieille Castille, il avait gardé le beau type de cette race, type qui sur son visage se reconnaissait aux grandes lignes vigoureusement accusées, avec un certain air de majesté fière auquel ses yeux un peu tristes ajoutaient une expression de bonté et de douceur.

      Resté veuf, après deux courtes années de mariage, don Luis avait enfermé dans son coeur le