Le fils du Soleil. Gustave Aimard

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Название Le fils du Soleil
Автор произведения Gustave Aimard
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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pauvres diables soupaient gaiement en se chauffant devant un bon feu, joie rare pour des hommes entourés de dangers et qui ont une surprise à redouter à toute heure. Mais les bomberos semblaient ne s'inquiéter de rien, quoique sachant de les Indiens ne leur font jamais de quartier.

      Le caractère de ces hommes est singulier: courageux jusqu'à la cruauté, ils ne tiennent ni à la vie des autres ni à la leur; si l'un de leurs compagnons meurt victime d'un Indien ou d'une bête féroce, ils se contentent de dire: il a eu une mala suerte (mauvaise chance.) Véritables sauvages, vivant sans affection et sans foi aucune, ils sont un type particulier dans l'humanité.

      Ces éclaireurs étaient frères et se nommaient Quinto, Julian, Simon et Sanchez. Leur habitation, deux fois ruinée par les Indiens Aucas, avait enfin été brûlée de fond en comble dans une dernière invasion; leur père et leur mère avaient succombé dans des tortures atroces; deux de leurs soeurs avaient été violées par les chefs et tuées; la plus jeunes nommée Maria, enfant de sept ans à peine, avait été emmenée en esclavage, et depuis ils n'en avaient plus eu de nouvelles, ignorant si elle était vivante ou morte.

      Les quatre frères dès lors s'étaient faits bomberos en haine des Indiens, et par vengeance, et ils n'avaient qu'une tête et qu'un coeur. Depuis neuf ans, leurs prodiges de courage, d'intelligence, d'astuce seraient trop longs à raconter. Nous les retrouverons, d'ailleurs, mêlés à ce récit.

      Dès que Sanchez, qui était l'aîné, eut terminé son repas, Quinto éteignit le feu, Simon monta à cheval pour faire sa ronde aux environs; puis les deux frères curieux des nouvelles que Sanchez apportait, s'approchèrent de lui.

      –-Quoi de nouveau, frère? demanda Julian.

      –-Avant toute chose, répondit l'aîné, qu'avez-vous fait, vous autres, depuis huit jours?

      –-Ce ne sera pas long, fit Quinto: rien!

      –-Bah!

      –-Ma foi! oui, rien. Les Aucas et les Pehuenches deviennent d'une timidité ridicule; si cela continue, nous leur enverrons des robes comme à des femmes.

      –-Oh! soyez tranquilles, dit Sanchez, ils n'en sont pas encore là.

      –-Qu'en sais-tu? reprit Quinto.

      –-Après? fit Sanchez sans répondre.

      –-Voilà tour, nous n'avons rien vu, rien entendu de suspect.

      –-Vous en êtes sûrs?

      –-Pardieu! nous prends-tu pour des imbéciles?

      –-Non, mais vous vous trompez.

      –-Hein?

      –-Cherchez bien dans votre mémoire.

      –-Personne n'a passé, te dis-je, reprit Julian avec assurance.

      –-Personne?

      –-A moins que tu ne comptes comme étant quelqu'un la vieille femme Pehuenche qui, ce soir, a traversé la plaine sur un mauvais cheval et nous a demandé le chemin de Carmen.

      –-Cette vieille femme, dit Sanchez en souriant, sait ce chemin-là aussi bien que vous et moi. Canario! votre candeur m'amuse.

      –-Notre candeur! s'écria Quinto en fronçant le sourcil; Nous sommes donc des niais, alors?

      –-Dam! cela m'en a tout l'air.

      –-Explique-toi.

      –-Vous allez comprendre.

      –-Cela nous fera plaisir.

      –-Peut-être. La vieille Indienne Pehuenche, qui, ce soir, a traversé la plaine sur un mauvais cheval et vous a demandé le chemin de Carmen, dit Sanchez en répétant par raillerie les mots de Julian, savez-vous ce que c'est?

      –-Malepeste! une atroce guenon dont la figure effroyable épouvanterait le diable.

      –-Ah! vous croyez? Eh bien! vous n'y êtes pas le moins du monde.

      –-Parle, ne joue pas avec nous comme un cougouar avec une souris.

      –-Mes enfants, cette guenon Pehuenche c'était…

      –-C'était.

      –-Neham-Outah.

      Neham-Outah (l'ouragan) était le principal Ulmen des Aucas. Sanchez aurait pu parler longtemps sans être interrompu par ses frères, tant cette nouvelle les avait atterrés.

      –-Malédiction, s'écria enfin Julian.

      –-Mais comment le sais tu? demanda Quinto.

      –-Vous imaginez-vous que je me sois amusé à dormir pendant huit jours, mes frères? Les Indiens, à qui vous voulez envoyer des robes, se préparent dans le plus grand silence à vous donner un furieux coup de cornes. Il faut se méfier de l'eau qui dore et du calme qui dissimule la tempête. Toutes les nations de la haute et de la basse Patagonie, et même de l'Araucanie, se sont liguées pour tenter une invasion, massacrer tous les blancs et détruire le Carmen. Deux hommes ont tout fait, deux hommes que vous et moi connaissons de longue date. Neham-Outah et Pincheira, le chef des Araucanes. Ce soir, grande réunion des députés des nations Aucas, Pehuenches, Tehuelches, Araucanes, Puelches, où l'on doit définitivement convenir du jour et de l'heure de l'attaque, distribuer les postes aux différentes tribus et arrêter les dernières mesures pour le succès de l'expédition.

      –-Caraï! exclama Julian; pas un instant à perdre! Que l'un de nous se rende à franc-étrier au Carmen pour instruire le gouvernement du danger qui menace la colonie.

      –-Non, pas encore! Ne soyons pas si pressés et tâchons de connaître les intentions des Indiens. Le quipus a été envoyé partout et les chefs qui se trouveront au rendez-vous sont Neham-Outah, Lucaney, Pincheira, Le Mulato, Chaukata, Gaykilof, Vera, Matipan, Killapan et autres, en tout vingt. Vous voyez, je suis bien informé.

      –-Où se réuniront-ils?

      –-A l'arbre de Gualichu.

      –-Diable! ce n'est point chose aisée de les surprendre en pareil lieu.

      –-Morbleu! c'est impossible, dit Quinto.

      –-Où manque la force, mettons la ruse. Voici Simon qui revient. Eh bien! rien de nouveau?

      –-Tout est tranquille, dit-il en mettant pied à terre.

      –-Tant mieux! nous pouvons agir alors, reprit Sanchez. Écoutez-moi, mes frères. Vous avez confiance en moi, n'est-ce pas?

      –-Oh! s'écrièrent les trois hommes.

      –-Dans ce cas, vous me suivrez?

      –-Partout.

      –-Vite! à cheval, car moi aussi je veux assister à l'assemblée indienne.

      –-Et tu nous conduis?…

      –-A l'arbre de Gualichu.

      Les quatre hardis compagnons se mirent en selle et partirent au galop.

      Sanchez avait sur ses frères une supériorité que ceux-ci reconnaissaient; de sa part, rien ne les étonnait, tant ils étaient accoutumés à lui voir accomplir ces merveilles.

      –-Comptes-tu t'introduire seul au milieu des chefs? demanda Julian.

      –-Oui, Julian; au lieu de vingt, ils seront vingt-et-un, voilà tout, ajouta Sanchez avec un sourire railleur.

      Les bomberos piquèrent des deux et disparurent dans les ténèbres.

      II.–LE PRESIDIO

      Longtemps après la découverte du Nouveau-Monde, les Espagnols fondèrent en Patagonie, en 1710, un Presidio situé sur la rive gauche du Rio-Négro, à sept lieues de son embouchure, et nommé Nuestra senora del Carmen ou bien encore Patagones.

      L'Ulmen Negro, principal chef des Puelches campés dans le voisinage du Rio-Négro, accueillit favorablement les Espagnols, et, moyennant une distribution faite aux Indiens d'une grande quantité de vêtements et de toutes sortes d'objets à leur usage, il leur vendit le cours de cette rivière depuis son embouchure