Le parfum de la Dame en noir. Гастон Леру

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Название Le parfum de la Dame en noir
Автор произведения Гастон Леру
Жанр Классические детективы
Серия
Издательство Классические детективы
Год выпуска 0
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de son visage, dans ses yeux pleins d'une tristesse heureuse, sur son front poli comme l'ivoire, où se lisait l'amour de tout ce qui était beau et de tout ce qui était bon.

      Quant à sa toilette, j'avouerai sottement que je ne me la rappelle plus et qu'il me serait impossible de dire même la couleur de sa robe. Mais ce dont je me souviens, par exemple, c'est de l'expression étrange que prit soudain son regard en ne découvrant point parmi nous celui qu'elle cherchait. Elle ne parut redevenir tout à fait calme et maîtresse d'elle-même que lorsqu'elle eut enfin aperçu Rouletabille derrière son pilier. Elle lui sourit et nous sourit aussi, à notre tour.

      «Elle a encore ses yeux de folle!»

      Je me retournai vivement pour voir qui avait prononcé cette phrase abominable. C'était un pauvre sire, que Robert Darzac, dans sa bonté, avait fait nommer aide de laboratoire, chez lui, à la Sorbonne. Il se nommait Brignolles et était vaguement cousin du marié. Nous ne connaissions point d'autre parent à M. Darzac, dont la famille était originaire du midi. Depuis longtemps, M. Darzac avait perdu son père et sa mère; il n'avait ni frère ni soeur et semblait avoir rompu toute relation avec son pays, d'où il n'avait rapporté qu'un ardent désir de réussir, une faculté de travail exceptionnelle, une intelligence solide et un besoin naturel d'affection et de dévouement qui avait trouvé avidement l'occasion de se satisfaire auprès du professeur Stangerson et de sa fille. Il avait aussi rapporté de la Provence, son pays natal, un doux accent qui avait fait d'abord sourire ses élèves de la Sorbonne, mais que ceux-ci avaient aimé bientôt comme une musique agréable et discrète qui atténuait un peu l'aridité nécessaire des cours de leur jeune maître, déjà célèbre.

      Un beau matin du printemps précédent, il y avait par conséquent un an environ de cela, Robert Darzac leur avait présenté Brignolles. Il venait tout droit d'Aix où il avait été préparateur de physique et où il avait dû commettre quelque faute disciplinaire qui l'avait jeté tout à coup sur le pavé; mais il s'était souvenu à temps qu'il était parent de M. Darzac, avait pris le train pour Paris et avait su si bien attendrir le fiancé de Mathilde Stangerson que celui-ci, le prenant en pitié, avait trouvé le moyen de l'associer à ses travaux. À ce moment, la santé de Robert Darzac était loin d'être florissante. Elle subissait le contrecoup des formidables émotions qui l'avaient assaillie au Glandier et en cour d'assises; mais on eût pu croire que la guérison, désormais assurée, de Mathilde, et que la perspective de leur prochain hymen auraient la plus heureuse influence sur l'état moral et, par contrecoup, sur l'état physique du professeur. Or, nous remarquâmes tous au contraire que, du jour où il s'adjoignit ce Brignolles, dont le concours devait lui être, disait-il, d'un précieux soulagement, la faiblesse de M. Darzac ne fit qu'augmenter. Enfin, nous constatâmes aussi que Brignolles ne portait pas chance, car deux fâcheux accidents se produisirent coup sur coup au cours d'expériences qui semblaient cependant ne devoir présenter aucun danger: le premier résulta de l'éclatement inopiné d'un tube de Gessler dont les débris eussent pu dangereusement blesser M. Darzac et qui ne blessa que Brignolles, lequel en conservait encore aux mains quelques cicatrices. Le second, qui aurait pu être extrêmement grave, arriva à la suite de l'explosion stupide d'une petite lampe à essence, au-dessus de laquelle M. Darzac était justement penché. La flamme faillit lui brûler la figure; heureusement, il n'en fut rien, mais elle lui flamba les cils et lui occasionna, pendant quelque temps, des troubles de la vue, si bien qu'il ne pouvait plus supporter que difficilement la pleine lumière du soleil.

      Depuis les mystères du Glandier, j'étais dans un état d'esprit tel que je me trouvais tout disposé à considérer comme peu naturels les événements les plus simples. Lors de ce dernier accident, j'étais présent, étant venu chercher M. Darzac à la Sorbonne. Je conduisis moi-même notre ami chez un pharmacien et de là chez un docteur, et je priai assez sèchement Brignolles, qui manifestait le désir de nous accompagner, de rester à son poste. En chemin, M. Darzac me demanda pourquoi j'avais ainsi bousculé ce pauvre Brignolles; je lui répondis que j'en voulais à ce garçon d'une façon générale parce que ses manières ne me plaisaient point, et d'une façon particulière, ce jour-là, parce que j'estimais qu'il fallait le rendre responsable de l'accident. M. Darzac voulut en connaître la raison; mais je ne sus que répondre et il se mit à rire. M. Darzac finit de rire cependant lorsque le docteur lui eut dit qu'il aurait pu perdre la vue et que c'était miracle qu'il en fût quitte à si bon compte.

      L'inquiétude que me causait Brignolles était, sans doute, ridicule, et les accidents ne se reproduisirent plus. Tout de même, j'étais si extraordinairement prévenu contre lui que, dans le fond de moi-même, je ne lui pardonnai pas que la santé de M. Darzac ne s'améliorât point. Au commencement de l'hiver, il toussa, si bien que je le suppliai, et que nous le suppliâmes tous, de demander un congé et de s'aller reposer dans le midi. Les docteurs lui conseillèrent San Remo. Il y fut et, huit jours après, il nous écrivait qu'il se sentait beaucoup mieux; il lui semblait qu'on lui avait, depuis qu'il était arrivé dans ce pays, enlevé un poids de dessus la poitrine!… «Je respire!… je respire!… nous disait-il. Quand je suis parti de Paris, j'étouffais!» Cette lettre de M. Darzac me donna beaucoup à réfléchir et je n'hésitai point à faire part de mes réflexions à Rouletabille. Or celui-ci voulut bien s'étonner avec moi de ce que M. Darzac était si mal quand il se trouvait auprès de Brignolles, et si bien quand il en était éloigné… Cette impression était si forte chez moi, tout particulièrement, que je n'eusse point permis à Brignolles de s'absenter. Ma foi non! S'il avait quitté Paris, j'aurais été capable de le suivre! Mais il ne s'en alla point; au contraire. Les Stangerson ne l'eurent jamais plus près d'eux. Sous prétexte de demander des nouvelles de M. Darzac, il était tout le temps fourré chez M. Stangerson. Il parvint une fois à voir Mlle Stangerson, mais j'avais fait à la fiancée de M. Darzac un tel portrait du préparateur de physique, que je réussis à l'en dégoûter pour toujours, ce dont je me félicitai dans mon for intérieur.

      M. Darzac resta quatre mois à San Remo et nous revint presque entièrement rétabli. Ses yeux, cependant, étaient encore faibles et il était dans la nécessité d'en prendre le plus grand soin. Rouletabille et moi avions décidé de surveiller le Brignolles, mais nous fûmes satisfaits d'apprendre que le mariage allait avoir lieu presque aussitôt et que M. Darzac emmènerait sa femme, dans un long voyage, loin de Paris et… loin de Brignolles.

      À son retour de San Remo, M. Darzac m'avait demandé:

      «Eh bien, où en êtes-vous avec ce pauvre Brignolles? Êtes-vous revenu sur son compte?

      – Ma foi non!» avais-je répondu.

      Et il s'était encore moqué de moi, m'envoyant quelques-unes de ces plaisanteries provençales qu'il affectionnait quand les événements lui permettaient d'être gai, et qui avaient retrouvé dans sa bouche une saveur nouvelle depuis que son séjour dans le midi avait rendu à son accent toute sa belle couleur initiale.

      Il était heureux! Mais nous ne pûmes avoir une idée véritable de son bonheur – car, entre son retour et son mariage, nous eûmes peu d'occasions de le voir – que sur le seuil même de cette église où il nous apparut comme transformé. Il redressait avec un orgueil bien compréhensible sa taille légèrement voûtée. Le bonheur le faisait plus grand et plus beau!

      «C'est le cas de dire qu'il est à la noce, le patron!» ricana Brignolles.

      Je m'éloignai de cet homme qui me répugnait et m'avançai jusque dans le dos de ce pauvre M. Stangerson, qui resta, lui, les bras croisés toute la cérémonie, sans rien voir, sans rien entendre. On dut lui frapper sur l'épaule, quand tout fut fini, pour le tirer de son rêve.

      Quand on passa à la sacristie, maître André Hesse poussa un profond soupir.

      «Ça y est! fit-il. Je respire…

      – Pourquoi ne respiriez-vous donc pas, mon ami?» demanda maître Henri-Robert.

      Alors maître André Hesse avoua qu'il avait redouté jusqu'à la dernière minute l'arrivée du mort…

      «Que voulez-vous! répliqua-t-il à son confrère qui se moquait, je ne puis me faire à cette idée que Frédéric Larsan consente à être mort pour de bon!…»

      Nous nous trouvions tous maintenant – une dizaine de personnes