Название | Romans et contes |
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Автор произведения | Gautier Théophile |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Le docteur habitait le rez-de-chaussée d’un vieil hôtel de la rue du Regard, un appartement en enfilade comme on les faisait jadis, et dont les hautes fenêtres ouvraient sur un jardin planté de grands arbres au tronc noir, au grêle feuillage vert. Quoiqu’on fût en été, de puissants calorifères soufflaient par leurs bouches grillées de laiton des trombes d’air brûlant dans les vastes salles, et en maintenaient la température à trente-cinq ou quarante degrés de chaleur, car M. Balthazar Cherbonneau, habitué au climat incendiaire de l’Inde, grelottait à nos pâles soleils, comme ce voyageur qui, revenu des sources du Nil Bleu, dans l’Afrique centrale, tremblait de froid au Caire, et il ne sortait jamais qu’en voiture fermée, frileusement emmaillotté d’une pelisse de renard bleu de Sibérie, et les pieds posés sur un manchon de fer-blanc rempli d’eau bouillante.
Il n’y avait d’autres meubles dans ces salles que des divans bas en étoffes malabares historiées d’éléphants chimériques et d’oiseaux fabuleux, des étagères découpées, coloriées et dorées avec une naïveté barbare par les naturels de Ceylan, des vases du Japon pleins de fleurs exotiques; et sur le plancher s’étalait, d’un bout à l’autre de l’appartement, un de ces tapis funèbres à ramages noirs et blancs que tissent pour pénitence les Thuggs en prison, et dont la trame semble faite avec le chanvre de leurs cordes d’étrangleurs; quelques idoles indoues, de marbre ou de bronze, aux longs yeux en amande, au nez cerclé d’anneaux, aux lèvres épaisses et souriantes, aux colliers de perles descendant jusqu’au nombril, aux attributs singuliers et mystérieux, croisaient leurs jambes sur des piédouches dans les encoignures; – le long des murailles étaient appendues des miniatures gouachées, œuvre de quelque peintre de Calcutta ou de Lucknow, qui représentaient les neuf Avatars déjà accomplis de Wishnou, en poisson, en tortue, en cochon, en lion à tête humaine, en nain brahmine, en Rama, en héros combattant le géant aux mille bras Cartasuciriargunen, en Kitsna, l’enfant miraculeux dans lequel des rêveurs voient un Christ indien; en Bouddha, adorateur du grand dieu Mahadevi; et, enfin, le montraient endormi, au milieu de la mer lactée, sur la couleuvre aux cinq têtes recourbées en dais, attendant l’heure de prendre, pour dernière incarnation, la forme de ce cheval blanc ailé qui, en laissant retomber son sabot sur l’univers, doit amener la fin du monde.
Dans la salle du fond, chauffée plus fortement encore que les autres, se tenait M. Balthazar Cherbonneau, entouré de livres sanscrits tracés au poinçon sur de minces lames de bois percées d’un trou et réunies par un cordon de manière à ressembler plus à des persiennes qu’à des volumes comme les entend la librairie européenne. Une machine électrique, avec ses bouteilles remplies de feuilles d’or et ses disques de verre tournés par des manivelles, élevait sa silhouette inquiétante et compliquée au milieu de la chambre, à côté d’un baquet mesmérique où plongeait une lance de métal et d’où rayonnaient de nombreuses tiges de fer. M. Cherbonneau n’était rien moins que charlatan et ne cherchait pas la mise en scène, mais cependant il était difficile de pénétrer dans cette retraite bizarre sans éprouver un peu de l’impression que devaient causer autrefois les laboratoires d’alchimie.
Le comte Olaf Labinski avait entendu parler des miracles réalisés par le docteur, et sa curiosité demi-crédule s’était allumée. Les races slaves ont un penchant naturel au merveilleux, que ne corrige pas toujours l’éducation la plus soignée, et d’ailleurs des témoins dignes de foi qui avaient assisté à ces séances en disaient de ces choses qu’on ne peut croire sans les avoir vues, quelque confiance qu’on ait dans le narrateur. Il alla donc visiter le thaumaturge.
Lorsque le comte Labinski entra chez le docteur Balthazar Cherbonneau, il se sentit comme entouré d’une vague flamme; tout son sang afflua vers sa tête, les veines des tempes lui sifflèrent; l’extrême chaleur qui régnait dans l’appartement le suffoquait; les lampes où brûlaient des huiles aromatiques, les larges fleurs de Java balançant leurs énormes calices comme des encensoirs l’enivraient de leurs émanations vertigineuses et de leurs parfums asphyxiants. Il fit quelques pas en chancelant vers M. Cherbonneau, qui se tenait accroupi sur son divan, dans une de ces étranges poses de fakir ou de sannyâsi, dont le prince Soltikoff a si pittoresquement illustré son voyage de l’Inde. On eût dit, à le voir dessinant les angles de ses articulations sous les plis de ses vêtements, une araignée humaine pelotonnée au milieu de sa toile et se tenant immobile devant sa proie. A l’apparition du comte, ses prunelles de turquoise s’illuminèrent de lueurs phosphorescentes au centre de leur orbite dorée du bistre de l’hépatite, et s’éteignirent aussitôt comme recouvertes par une taie volontaire. Le docteur étendit la main vers Olaf, dont il comprit le malaise, et en deux ou trois passes l’entoura d’une atmosphère de printemps, lui créant un frais paradis dans cet enfer de chaleur.
«Vous trouvez-vous mieux à présent? Vos poumons, habitués aux brises de la Baltique qui arrivent toutes froides encore de s’être roulées sur les neiges centenaires du pôle, devaient haleter comme des soufflets de forge à cet air brûlant, où cependant je grelotte, moi, cuit, recuit et comme calciné aux fournaises du soleil.»
Le comte Olaf Labinski fit un signe pour témoigner qu’il ne souffrait plus de la haute température de l’appartement.
«Eh bien, dit le docteur avec un accent de bonhomie, vous avez entendu parler sans doute de mes tours de passe-passe, et vous voulez avoir un échantillon de mon savoir-faire; oh! je suis plus fort que Comus, Comte ou Bosco.
– Ma curiosité n’est pas si frivole, répondit le comte, et j’ai plus de respect pour un des princes de la science.
– Je ne suis pas un savant dans l’acception qu’on donne à ce mot; mais au contraire, en étudiant certaines choses que la science dédaigne, je me suis rendu maître de forces occultes inemployées, et je produis des effets qui semblent merveilleux, quoique naturels. A force de la guetter, j’ai quelquefois surpris l’âme, – elle m’a fait des confidences dont j’ai profité et dit des mots que j’ai retenus. L’esprit est tout, la matière n’existe qu’en apparence; l’univers n’est peut-être qu’un rêve de Dieu ou qu’une irradiation du Verbe