Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron

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Название Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8
Автор произведения George Gordon Byron
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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libres, et vivre loin de l'œil des espions, affranchis des édits de vos inquisiteurs d'état.

LE DOGE

      Ainsi vous consentiriez à faire de votre époux un renégat, à le transformer en traître?

MARINA

      Non, il ne l'est pas! c'est la patrie qui se trahit elle-même en rejetant son meilleur, son plus intrépide citoyen. La pire des trahisons, c'est la tyrannie. Penses-tu donc qu'il n'y ait de rebelles que les esclaves? Le prince qui viole ou néglige ses devoirs est un brigand à plus juste titre qu'un chef de bandits.

LE DOGE

      Je ne puis me reprocher quelque déloyauté de ce genre.

MARINA

      Non; car tu observes et respectes des lois près desquelles celles du vieux Dracon seraient un code de miséricorde.

LE DOGE

      Ces lois existaient avant moi: je ne les ai pas faites. Si je n'étais qu'un sujet, je trouverais moyen de réclamer quelque amélioration parmi elles; mais comme prince, jamais je ne songerai, au prix de ma vie et du salut des miens, à changer la charte dont nos pères m'ont transmis le dépôt.

MARINA

      Est-ce donc pour la ruine de leurs enfans qu'ils te l'ont transmis?

LE DOGE

      Venise, sous le joug de pareilles lois s'est élevée au point où nous la voyons, – à celui d'une république digne de rivaliser en hauts faits, en durée, en puissance, et je puis ajouter en gloire (car nous avons eu aussi parmi nous des ames romaines), avec tout ce que l'histoire nous rappelle des plus beaux tems de Carthage et de Rome, alors que le peuple régnait par le sénat.

MARINA

      Dites plutôt, fléchissait sous la verge implacable de l'oligarchie.

LE DOGE

      Peut-être; mais enfin c'est ainsi qu'il parvint à réduire le monde. Or, dans un tel état, qu'un individu soit le plus riche de son rang, ou le plus humble de ses concitoyens, son importance disparaît devant le grand but que l'on se propose, tant qu'on ne l'a pas perdu de vue.

MARINA

      Cela veut dire que vous êtes plutôt Doge que père.

LE DOGE

      Cela veut dire que je suis citoyen avant d'être l'un ou l'autre. Si pendant nombre de siècles nous n'avions pas eu des milliers de pareils citoyens, si nous n'en avions plus, Venise aurait cessé d'être une cité.

MARINA

      Maudite la cité où la voix des lois étouffe celle de la nature!

LE DOGE

      J'aurais autant de fils que j'ai d'années, je les donnerais tous, non sans douleur, mais je les donnerais dans l'intérêt de l'état, et pour obéir à ses exigences; je les sacrifierais sur les flots, sur les champs de bataille, ou s'il le fallait, hélas! comme déjà il l'a fallu, je les abandonnerais à l'ostracisme, à l'exil, aux chaînes, en un mot à tout ce qu'on pourrait leur imposer de pire.

MARINA

      Et c'est là du patriotisme! pour moi, je n'y vois que la plus odieuse barbarie. Laissez-moi rejoindre mon mari; avec tous leurs soupçons, le sage conseil des Dix aura peine à combattre contre la faiblesse d'une femme, et à lui refuser un moment d'accès dans sa prison.

LE DOGE

      Je puis prendre sur moi d'ordonner que l'on vous laisse pénétrer jusqu'à lui.

MARINA

      Et que dirai-je à Foscari de son père?

LE DOGE

      Qu'il sait obéir aux lois.

MARINA

      Rien de plus? Ne voulez-vous pas le voir avant qu'il ne parte? ce serait peut-être pour la dernière fois.

LE DOGE

      La dernière! – mon enfant! – le dernier de mes enfans; la dernière fois que je le verrai! Dites-lui que je me rendrai près de lui.

(Ils sortent.)

      FIN DU DEUXIÈME ACTE.

      ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE(La prison de Jacopo Foscari.)JACOPO FOSCARI, seul

      Pas de jour, si ce n'est cette faible lueur qui me laisse apercevoir des murs où ne retentirent jamais que les accens de la douleur, les soupirs des prisonniers, le bruit des pieds chargés de fers, l'agonie de la mort, les imprécations du désespoir! Voilà donc pourquoi je revins à Venise, soutenu, il est vrai, par une sorte d'espérance que le tems, qui ronge jusqu'au marbre, aurait arraché la haine du cœur des hommes. Hélas! j'éprouvai qu'il n'en était rien; c'est ici que le mien va se consumer, lui qui ne battit jamais sans regretter Venise, et soupirer après elle comme la colombe éloignée de son nid, alors qu'elle s'élance dans l'air pour rejoindre sa jeune famille. Mais quels caractères sont tracés sur ces inexorables murailles? (Il s'approche du mur.) Le rayon de jour me permettra-t-il de les distinguer? Ah! ce sont des noms; ceux de mes tristes prédécesseurs dans ces lieux, l'époque de leur désespoir, la courte expression d'un chagrin insupportable pour la plupart. Comme une épitaphe, cette page de pierre reproduit leur histoire, et le récit du malheureux captif est gravé sur les barreaux de sa prison, comme les souvenirs de l'amant sur l'écorce de quelque grand arbre confident de son nom et de celui de sa maîtresse. Hélas! plusieurs de ces noms me sont connus; ils sont néfastes comme le mien que je vais mettre à leur suite, bien digne de figurer dans une chronique que ne peuvent jamais lire ou écrire d'autres êtres que des infortunés.

(Il trace son nom. – Entre un familier des Dix.)LE FAMILIER

      Je vous apporte de la nourriture.

JACOPO FOSCARI

      Déposez-la, je vous prie; je n'ai pas faim; mais je sens mes lèvres desséchées: – de l'eau!

LE FAMILIER

      En voici.

JACOPO FOSCARI, après avoir bu

      Je vous remercie; je suis mieux.

LE FAMILIER

      J'ai ordre de vous apprendre que l'on a sursis à votre jugement définitif.

JACOPO FOSCARI

      Jusqu'à quand?

LE FAMILIER

      Je l'ignore. – J'ai de plus reçu l'ordre de laisser parvenir jusqu'à vous votre noble épouse.

JACOPO FOSCARI

      Ah! ils se ralentissent donc? – j'avais cessé de l'espérer: il était tems.

(Entre Marina.)MARINA

      Mon bien-aimé!

JACOPO FOSCARI, l'embrassant

      Ma chère femme, ma seule amie! quel bonheur!

MARINA

      Nous ne nous séparerons plus.

JACOPO FOSCARI

      Comment! voudrais-tu partager un cachot?

MARINA

      Oui; la torture, la tombe, tout! – tout avec toi; mais la tombe la dernière de toutes, car là nous ne saurions plus que nous sommes réunis: néanmoins je la partagerais plutôt encore qu'une séparation nouvelle; c'est déjà trop d'avoir survécu à la première. Comment te trouves-tu? tes pauvres membres? Hélas! pourquoi le demander? ta pâleur-

JACOPO FOSCARI

      C'est la joie de te revoir sitôt, et sans m'y attendre encore, qui a fait refluer le sang vers mon cœur, et rendu mes joues comme les tiennes; car toi aussi, tu es pâle, chère Marina.

MARINA

      C'est le reflet de cette éternelle prison, où jamais ne pénétra un rayon de soleil; c'est la triste et mourante lueur de la torche du familier, qui semble favoriser l'obscurité au lieu de la dissiper, en ajoutant aux vapeurs du cachot un nuage sulfureux qui ternit tous les objets, même tes yeux; – mais non, tes yeux brillent-oh! comme ils étincellent!

JACOPO FOSCARI

      Et les tiens! – mais cette torche m'empêche de voir.

MARINA

      Et sans elle j'aurais encore moins vu. Peux-tu donc distinguer ici quelque chose?

JACOPO FOSCARI

      D'abord rien; mais le tems et l'habitude m'ont rendu familier avec l'obscurité: la plus faible lueur qui pénètre à travers les crevasses de ces murs battus des vents, enivre plus mes yeux que tout l'éclat du soleil quand il dore orgueilleusement toutes les tourelles du monde, sauf