La vie de Rossini, tome I. Stendhal

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Название La vie de Rossini, tome I
Автор произведения Stendhal
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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et en commettant à chaque instant des fautes contre la grammaire de la langue, ces messieurs eurent un faux air de génie; ce qui acheva de compléter l'illusion, c'est qu'ils avaient réellement beaucoup de talent.

      Leur malheur a été que Rossini soit venu dix ans trop tôt. La vie d'une musique d'opéra devant, à ce qu'il paraît, se borner à trente ans, ces maîtres ont à se plaindre au sort de ce qu'il ne les a pas tranquillement laissés achever leur temps. Si Rossini n'avait paru qu'en 1820 MM. Mayer et Paër figureraient dans les annales de la musique au rang des Leo, des Durante, des Scarlatti, etc., grands maîtres du premier ordre, qui ne sont passés de mode qu'après leur mort. Ginevra di Scozia est de 1803; c'est l'épisode d'Ariodant, qui forme l'un des chants les plus admirables du délicieux Orlando, de l'Arioste. L'Arioste excite tant de transports en Italie, précisément parce qu'il a écrit comme il faut écrire pour un peuple musicien; à l'autre extrémité du clavier poétique, je vois le petit abbé Delille.

      Ainsi qu'on pouvait s'y attendre de la part d'un Allemand, tous les airs de passion et de jalousie d'Ariodant et de la belle Ecossaise, qu'il croit infidèle, sont forts presque uniquement en effets d'harmonie et en accompagnements. Ce n'est pas que les Allemands manquent de sentiment, à Dieu ne plaise que je sois injuste à ce point envers la patrie de Mozart; mais en 1823, par exemple, ce sentiment leur fait voir l'histoire de toute la révolution française et de ses suites, dans l'Apocalypse12.

      Le sentiment des Allemands, trop dégagé des liens terrestres, et trop nourri d'imagination, tombe facilement dans ce que nous appelons en France le genre niais13. Les têtes qui éprouvent des passions en Allemagne, manquant de logique, supposent bientôt l'existence de ce dont elles ont besoin.

      Le sujet d'Ariodant est si beau pour la musique, que Mayer a trouvé trois ou quatre inspirations; par exemple, le chœur chanté par les pieux solitaires, au milieu desquels Ariodant, au désespoir, vient chercher un asile. Ce chœur réclamant des effets d'harmonie, des oppositions de voix plutôt que de beaux chants, est magnifique. On se souvient encore à Naples du duetto entre Ariodant, qui a la visière de son casque baissée, et sa maîtresse, qui ne le reconnaît pas. Ariodant va se battre contre son propre frère pour essayer de sauver sa maîtresse; il est sur le point de lui avouer tous ses soupçons, et de lui dire qu'il est Ariodant, quand la trompette sonne et l'appelle au combat. La situation, une des plus touchantes, peut-être, que puisse fournir la plus touchante des passions de l'homme, est tellement belle, qu'il fallait qu'une musique fût bien dure à l'oreille, fût bien peu musique, pour ne pas mettre des larmes dans tous les yeux. Celle-ci est un chef-d'œuvre.

      Il est odieux de critiquer ce duetto en Italie, tant les cœurs tendres l'ont pris sous leur protection. Je ne ferai qu'une réflexion: qu'eût-il été avec l'énergie de Cimarosa, ou la mélancolie de Mozart? Nous aurions eu une seconde scène de Sara, dans l'oratorio d'Abraham. Cette scène de Sara avec les pasteurs, auxquels elle demande des nouvelles de son fils Isaac, qui est parti pour la montagne du sacrifice, est le chef-d'œuvre de Cimarosa dans le genre pathétique. Cela est supérieur aux plus beaux airs de Grétry et de Dalayrac.

      Chaque année Mayer donnait deux ou trois opéras nouveaux, et était applaudi sur les premiers théâtres. Comment ne pas se croire l'égal des grands maîtres? L'opéra de 1807, Adelasia ed Aleramo, parut supérieur à tout ce que le compositeur bavarois avait encore donné. La Rosa bianca e la Rosa rossa, sujet superbe tiré de l'histoire des guerres civiles d'Angleterre, eut un grand succès en 1812. Walter Scott n'avait pas encore révélé quelle quantité de sublime renferme, pour un peuple, l'histoire de ses guerres civiles de la fin du moyen âge. Le ténor Bonoldi fit admirer, dans la Rosa bianca, une voix charmante.

      Le premier allegro de l'ouverture de cet opéra montre dans quel abîme de trivialité tombe d'ordinaire un compositeur allemand qui prétend trouver des chants gais.

      La reconnaissance d'Enrico et de son ami Vanoldo est remplie d'une grâce naïve que n'a jamais rencontrée Rossini, parce qu'elle tient à l'absence de certaines qualités plus sublimes. Ce duo est de Paër.

      Le même genre de mérite brille dans le fameux duetto E de serto il bosco intorno. C'est le chef-d'œuvre de Mayer, et ce serait un des chefs-d'œuvre de la musique s'il y avait quelques traits de force vers la fin. Le poëte a fourni au maestro une manière délicieuse, et vraiment digne de Métastase, d'excuser la trahison de Vanoldo envers son ami Enrico. Enrico en apprenant que son ami a cherché à plaire à celle qu'il aime, s'écrie:

      Ah chi puô mirarla in volto

      E non ardere d'amor!

      Mayer a eu la bonne fortune de trouver une mélodie italienne pour exprimer cette idée charmante. Toutes les âmes tendres et douces plutôt qu'énergiques préféreront ce duetto, je n'en fais aucun doute, aux traits les plus vifs de Rossini et de Cimarosa.

      Dans le genre bouffe, Mayer a eu la grosse gaieté d'un bonhomme sans esprit.

      Gli Originali font plaisir lorsqu'on n'a pas entendu depuis longtemps de vraie musique italienne. C'est la Mélomanie. Lorsque cet opéra parut (1799), il fit cruellement sentir l'absence de Cimarosa, retenu alors dans les prisons de Naples, et que le bruit public disait pendu. On se demandait: Quels airs délicieux dans le genre de

      Sei morelli e quatro baj,

      de

      Mentr'io ero un mascalzone,

      de

      Amicone del mio core,

      Cimarosa n'eût-il pas faits sur un tel sujet?

      Le Mélomane véritable, ridicule assez rare en France, où d'ordinaire il n'est qu'une prétention de la vanité, se trouve à chaque pas en Italie.

      Lorsque j'étais en garnison à Brescia, l'on me fit faire la connaissance de l'homme du pays qui était peut-être le plus sensible à la musique. Il était fort doux et fort poli; mais quand il se trouvait à un concert, et que la musique lui plaisait à un certain point, il ôtait ses souliers sans s'en apercevoir. Arrivait-on à un passage sublime, il ne manquait jamais de lancer ses souliers derrière lui sur les spectateurs.

      J'ai vu à Bologne le plus avare des hommes jeter ses écus à terre, et faire une mine de possédé, quand la musique lui plaisait au plus haut degré.

      Le Mélomane de Mayer ne fait que répéter sur la scène des actions que l'on voit tous les jours dans la salle. Du reste, la forme seule des regrets qu'inspirait l'absence de Cimarosa, indiquait que ce grand homme allait cesser d'être à la mode. S'il eût fait de nouveaux airs, au lieu de s'en laisser charmer avec naïveté, les amateurs eussent appelé la mémoire pour troubler l'empire de l'imagination, on se fût rappelé mal à propos le souvenir des chefs-d'œuvre qui venaient, pendant vingt ans de suite, de charmer tous les cœurs.

      Mayer est le maestro le plus savant de l'interrègne, comme il en est le plus fécond; tout chez lui est correct. Vous pouvez examiner dans tous les sens les partitions de Medea, de Cora, d'Adelazia, d'Eliza, vous n'y trouverez pas une faute; c'est la perfection désespérante de Despréaux: vous ne savez pourquoi vous n'êtes pas plus ému. Passez à un opéra de Rossini, vous sentez tout à coup l'air pur et frais des hautes Alpes; vous vous sentez respirer plus à l'aise; on croit renaître; vous aviez besoin de génie. Le jeune compositeur jette à pleines mains les idées nouvelles; tantôt il réussit, souvent il manque son objet. Tout est entassé, tout est pêle-mêle, tout est négligence; c'est la profusion et l'insouciance de la richesse sans bornes. On redit: Mayer est le compositeur le plus correct, Rossini est le grand artiste.

      Je ne disconviendrai pas que Mayer n'ait huit ou dix morceaux qui, pendant trois ou quatre soirées, ont un faux air de génie; par exemple, le sestetto d'Elena. Je me souviens que dans un temps aussi je trouvais que Dalayrac avait de jolies idées, quoique mal arrangées. Depuis, j'ai étudié un peu sérieusement Cimarosa, où j'ai retrouvé la plupart des jolies idées de Dalayrac:



<p>12</p>

Historique, Bâle, 1823.

<p>13</p>

Voir leur célèbre tragédie de l'Expiation, par Mülner. Je ne voudrais pas du héros Hugo, comte d'Eridur, pour en faire un caporal.