Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2. Жорж Санд

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Название Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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me devines-tu?

      – Pas le moins du monde, mon père.

      – Moi, je crains de deviner, dit Émile, dont les joues se couvrirent d'une vive rougeur.

      – Eh bien, reprit M. Antoine, je suppose qu'un garçon assez riche, relativement à nous, remarque une belle et bonne fille qui est fort pauvre, et que, s'éprenant à la première vue, il vienne mettre à ses pieds les plus honnêtes prétentions du monde, faut-il le chasser brutalement, et lui jeter la porte au nez en lui disant: «Non, Monsieur, vous êtes trop laid?»

      Gilberte rougit autant qu'Émile, et quelque effort d'humilité qu'elle pût faire sur elle-même, elle se sentit si outragée par les prétentions de Galuchet, qu'elle ne put rien répondre, et sentit ses yeux se remplir de larmes.

      «Ce misérable a indignement menti, s'écria Émile, et vous pouvez le chasser honteusement. Il n'a aucune fortune, et mon père l'a tiré de la dernière détresse. Or, il n'y a que trois ans qu'il l'emploie, et à moins que M. Galuchet n'ait fait tout à coup un héritage mystérieux …

      – Non, Émile, non, il ne m'a pas fait de mensonge; je ne suis pas si faible et si crédule que vous croyez. Je l'ai interrogé, et je sais que la source de sa petite fortune est pure et certaine. C'est votre père qui lui assure vingt mille francs pour se l'attacher à tout jamais par l'affection et la reconnaissance, au cas où il se mariera dans le pays.

      – Mais, sans doute, dit Émile d'une voix mal assurée, mon père ignore que c'est sur mademoiselle de Châteaubrun qu'il a osé lever les yeux, car il ne l'eût pas encouragé dans une semblable espérance.

      – Tout au contraire, reprit M. Antoine, qui trouvait la chose fort naturelle; votre père a reçu la confidence de son goût pour Gilberte, et il l'a autorisé à se servir de son nom pour la demander en mariage.»

      Gilberte devint pâle comme la mort et regarda Émile, qui baissa les yeux, stupéfait, humilié et brisé au fond de l'âme.

      XXV.

      L'EXPLOSION

      – Eh bien, qu'y a-t-il donc? dit Janille, qui vint les rejoindre dans une tonnelle à l'endroit du verger, où ils s'étaient assis tous trois; pourquoi Gilberte est-elle toute défaite, et pourquoi vous taisez-vous tous quand j'approche, comme si vous méditiez quelque complot?»

      Gilberte se jeta dans le sein de sa gouvernante et fondit en larmes.

      «Eh bien, eh bien, reprit la petite bonne femme, en voici bien d'une autre!

      Ma fille a de la peine, et je ne sais point de quoi il s'agit!

      Parlerez-vous, monsieur Antoine?

      – Est-ce que ce jeune homme est parti? dit M. Antoine en regardant autour de lui avec inquiétude.

      – Sans doute, car il m'a fait ses adieux, et je l'ai reconduit jusqu'à la porte, dit Janille. J'ai eu quelque peine à m'en débarrasser. Il est un peu lourd à s'expliquer, celui-là! Il aurait souhaité rester, je l'ai bien vu; mais je lui ai fait comprendre que de telles affaires ne se terminaient pas si vite, qu'il me fallait en conférer avec vous, et qu'on lui écrirait, si on voulait le revoir pour un motif ou pour un autre. Mais, avant, qu'a donc ma fille? qui lui a fait du chagrin ici? Ah! mais, voici ma mie Janille pour la défendre et la consoler.

      – Oh oui! toi, tu me comprendras, s'écria Gilberte, et tu m'aideras à repousser l'injure, car je me trouve offensée, et j'ai besoin de toi pour la faire comprendre à mon père! Sache donc qu'il se fait presque l'avocat de M. Galuchet!

      – Ah! tu es déjà au courant de ce qui se passe? En ce cas, ce sont donc des affaires de famille! Et moi aussi, j'en ai à vous conter; mais tout cela va ennuyer monsieur Émile?

      – Je vous entends, ma chère mademoiselle Janille, répondit le jeune homme, et je sais que les convenances ordinaires me commanderaient de me retirer; mais je suis trop intéressé à ce qui se passe ici pour m'astreindre à de vulgaires usages: vous pouvez parler devant moi, puisque maintenant je sais tout.

      – Eh bien, Monsieur, si vous savez de quoi il s'agit, et si M. Antoine a trouvé bon de s'expliquer devant vous, ce qui, entre nous soit dit, était assez inutile, je parlerai donc comme si vous n'étiez pas là. Et d'abord, Gilberte, il ne faut pas pleurer: de quoi t'affliges-tu, ma fille? De ce qu'un malotru s'imagine être digne de toi? Eh! mon Dieu, ce n'est pas la dernière fois que tu seras exposée, mariée ou non, à voir des gens avantageux te donner à rire; car il faut rire de cela, mon enfant, et ne point t'en fâcher. Ce garçon croit te faire honneur et te donner une preuve d'estime; reçois-la de même, et dis-lui, ou fais-lui dire très-sérieusement que tu le remercies, mais que tu ne veux point de lui. Je ne vois point du tout pourquoi tu t'inquiètes: est-ce que tu t'imagines, par hasard, que je suis d'humeur à l'encourager? Ah! bien, oui, il aurait cent mille francs, cent millions d'écus, que je ne le trouverais pas fait pour ma fille! Le vilain, avec ses gros yeux et son air content d'être au monde, qu'il aille plus loin! nous n'avons point ici de fille à lui donner! Ah! mais, ma mie Janille s'y connaît, et sait qu'on ne met point, dans un bouquet, le chardon à côté de la rose.

      – C'est bien parler, bonne Janille! s'écria Émile, et vous êtes digne d'être appelée sa mère!

      – Et qu'est-ce que cela vous fait, à vous, Monsieur! dit Janille, animée et montée par sa propre éloquence; qu'avez-vous à voir dans nos petites affaires? Savez-vous du mal de ce prétendant? c'est fort inutile de nous le dire: nous n'avons pas besoin de vous pour nous en débarrasser.

      – Laisse, Janille, ne le gronde pas, dit Gilberte en caressant sa vieille amie. Cela me fait du bien d'entendre dire que les prétentions de cet homme-là sont un outrage pour moi, car je me sens humiliée d'y songer. J'en ai froid, j'en suis malade. Et mon père ne comprend pas cela, pourtant! Mon père se trouve honoré par sa demande et ne saura rien lui dire pour me préserver de sa vue!

      – Ah! ah! reprit Janille en riant, c'est lui qui a tort comme à l'ordinaire, le méchant homme! c'est lui qui fait pleurer sa fille! Ah mais! Monsieur, voulez-vous par hasard faire le tyran ici? Ne comptez pas là-dessus, car ma mie Janille n'est pas morte et n'a pas envie de mourir.

      – C'est cela, dit M. Antoine; c'est moi qui suis un despote, un père dénaturé! Bien, bien! tombez sur moi, si cela vous soulage. Ensuite, ma fille voudra peut-être bien me dire à qui elle en a, et ce que j'ai fait de si criminel.

      – Mon bon père, dit Gilberte, en se jetant dans ses bras, laissons ces tristes plaisanteries, et dépêche-toi de renvoyer d'ici, pour toujours, M. Galuchet, afin que je respire, et que j'oublie ce mauvais rêve.

      – Ah! voilà le hic, répondit M. Antoine, il s'agit de savoir ce que je vais lui écrire, et c'est pour cela qu'il est bon de tenir conseil.

      – Entends-tu, mère! dit Gilberte à Janille, il ne sait que lui répondre? apparemment il n'a pas su refuser.

      – Eh bien, mon enfant, ton père n'a pas tant de tort, répondit Janille, car, moi aussi, j'ai reçu la demande de ton beau soupirant, je l'ai écouté sans m'émouvoir, et je ne lui ai dit ni oui, ni non. Allons! allons! ne te fâche pas. C'est comme cela qu'il faut agir, et consultons-nous tranquillement. On ne peut pas dire à ce garçon: «Vous me déplaisez», cela ne se dit pas. On ne peut pas lui dire non plus: «Nous sommes de bonne maison, et vous vous appelez Galuchet;» car cela serait dur et mortifiant.

      – Et ce ne serait pas là une raison, dit Gilberte. Que nous importe la noblesse à présent? La vraie noblesse est dans le cœur, et non dans de vains titres. Ce n'est pas le nom de Galuchet qui me répugne, ce sont les manières et les sentiments de l'homme qui le porte.

      – Ma fille a raison: le nom, la profession et la fortune n'y font rien, dit M. Antoine. Ce n'est donc pas de cela que nous pouvons nous servir. On ne peut pas reprocher non plus à un homme les défauts de sa personne. Ce que nous avons de mieux à dire, c'est que Gilberte ne veut pas se marier.

      – Ah mais! Monsieur, un petit moment, dit Janille, je n'entends pas qu'on dise cela, moi; car si ce jeune homme allait le répéter (comme cela ne peut manquer), il ne se présenterait plus personne,