Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Название Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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et une sécurité remarquables.

      Les vastes plaines de cette région forment de grands plateaux coupés de ravins, qui font de leurs pentes brusques et profondes de véritables montagnes à descendre et à remonter. Après une heure de marche environ, nos voyageurs se trouvèrent en face du vallon de la Gargilesse, et un site enchanteur se déploya devant eux. Le village de Gargilesse, bâti en pain de sucre sur une éminence escarpée, et dominé par sa jolie église et son ancien monastère, semblait surgir du fond des précipices, et, au fond du plus accentué de ces abîmes, l'enfant montrant à Émile de vastes bâtiments tout neufs, et d'une belle apparence: «Tenez, Monsieur, dit-il, voilà les bâtisses à M. Cardonnet.»

      C'était la première fois qu'Émile, étudiant en droit à Poitiers, et passant le temps de ses vacances à Paris, pénétrait dans la contrée où son père tentait depuis un an un établissement d'importance. L'aspect de ce lieu lui sembla admirable, et il sut gré à ses parents d'avoir rencontré un site où l'industrie pouvait trouver son compte sans bannir les influences de la poésie.

      Il y avait à marcher encore sur le plateau avant d'en atteindre le versant, et d'embrasser d'un seul coup d'œil tous les détails du paysage. A mesure qu'Émile approchait, il y découvrait de nouvelles beautés, et le couvent-château de Gargilesse, planté fièrement sur le roc au-dessus des usines Cardonnet, semblait être là comme une décoration établie à dessein de couronner l'ensemble. Les flancs du ravin, où s'engouffrait rapidement la petite rivière, étaient tapissés d'une végétation robuste, et le jeune homme qui, malgré lui, laissait un peu absorber son attention par les dehors de son nouvel héritage, remarqua avec satisfaction qu'au milieu de l'abatis nécessaire pour l'établir dans une partie aussi ombragée, on avait pourtant épargné de magnifiques vieux arbres, qui faisaient le plus bel ornement de l'habitation.

      Cette habitation, située un peu en arrière de l'usine, était commode, élégante, simple dans sa richesse, et des rideaux à la plupart des fenêtres annonçaient qu'elle était déjà occupée. Elle était entourée d'un beau jardin relevé en terrasse le long du torrent, et l'on distinguait de loin les vives couleurs des plantes épanouies qui avaient été substituées comme par enchantement aux souches de saules et aux flaques d'eau sablonneuses dont naguère ces rives étaient bordées. Le cœur du jeune homme battit bien haut, lorsqu'il vit une femme descendre le perron du moderne château, et marcher lentement au milieu de ses fleurs favorites, car c'était sa mère. Il étendit les bras et agita sa casquette pour attirer son attention, mas sans succès. Madame Cardonnet était absorbée par l'examen de ses travaux d'horticulture; elle n'attendait son fils que dans la soirée.

      Sur une plage plus découverte, Émile vit les constructions savantes et compliquées de l'usine, et, au milieu d'un pêle-mêle de matériaux de toutes sortes, remuer une cinquantaine d'ouvriers affairés, les uns sciant des pierres de taille, les autres préparant le mortier, d'autres équarrissant les poutres, d'autres encore chargeant des charrettes traînées par d'énormes chevaux. Comme il fallait, de toute nécessité, descendre au pas le chemin rapide, le petit Charasson put prendre la parole.

      «Voilà une mauvaise descente, pas vrai, Monsieur? Tenez bien la guide à votre chevau! Ça serait bien de besoin que M. Cardonnet fît un chemin pour amener les gens de chez nous à son invention (son usine). Voyez, les belles routes qu'il a faites des autres côtés! et les jolis ponts! tout en pierres, oui! Avant lui, on se mouillait les pattes en été pour passer l'eau, et en hiver on n'y passait mie. C'est un homme que le pays devrait lui baiser la terre où ce qu'il marche.

      – Vous n'êtes donc pas comme votre ami Jean qui dit tant de mal de lui?

      – Oh! le Jean, le Jean! il ne faut pas faire grande attention à ce qu'il chante. C'est un homme qui a des ennuis, et qui voit tout en mal depuis quelque temps, quoiqu'il ne soit pas méchant homme, au contraire. Mais il n'y a que lui dans le pays qui dise comme ça; tout le monde est grandement porté pour M. Cardonnet. Il n'est pas chiche, celui-là. Il parle un peu dur, il échine un peu l'ouvrier, mais dame! il paye, faut voir! et quand on se crèverait à la peine, si on est bien récompensé, on doit être content, pas vrai, Monsieur?»

      Le jeune homme étouffa un soupir. Il ne partageait pas absolument le système de compensations économiques de M. Sylvain Charasson, et il ne voyait pas bien clairement, quelque envie qu'il eût d'approuver son père, que le salaire pût remplacer la perte de la santé et de la vie.

      «Je m'étonne de ne pas le voir sur le dos de ses ouvriers, ajouta naïvement et sans malice le page de Châteaubrun; car il n'a pas coutume de les laisser beaucoup souffler. Ah dame! c'est un homme qui s'entend à faire avancer l'ouvrage! Ce n'est pas comme la mère Janille de chez nous, qui braille toujours, et qui ne laisse rien faire aux autres. Lui n'a pas l'air de se remuer, mais on dirait qu'il fait l'ouvrage avec ses yeux. Quand un ouvrier cause; ou quitte sa pioche pour allumer sa pipe, ou fait tant seulement un petit bout de dormille sur le midi par le grand'chaud: «C'est bien, qu'il dit sans se fâcher; tu n'es pas à ton aise ici pour fumer ou pour dormir, va-t'en chez-toi, tu seras mieux.» Et c'est dit. Il ne l'employe pendant huit jours; et, à la seconde fois, c'est pour un mois, et à la troisième, c'est fini à tout jamais.»

      Émile soupira encore: il retrouvait dans ces détails la rigoureuse sévérité de son père; et il lui fallait se reporter vers le but présumé de ses efforts pour en accepter les moyens.

      «Au! pardine, le voilà bien, s'écria l'enfant en désignant du bras M. Cardonnet, dont la haute taille et les vêtements sombres se dessinaient sur l'autre rive. Il regarde l'eau; peut-être qu'il craint la dribe, quoiqu'il ait coutume de dire que c'est des bêtises.

      – La dribe, c'est donc la crue de l'eau? demanda Émile, qui commençait à comprendre le mot déribe, dérive.

      – Oui, Monsieur, c'est comme une trompe (une trombe), qui vient par les grands orages. Mais l'orage est passé, la dribe n'est pas venue; et je crois bien que le Jean aura mal prophétisé. Stapendant, Monsieur, voyez comme les eaux sont basses! c'est presque à sec depuis hier et c'est mauvais signe. Passons-vite, ça peut venir d'une minute à l'autre …»

      Ils redoublèrent le pas et traversèrent facilement à gué un premier bras du torrent. Mais à un effort que le cheval d'Émile avait fait pour gravir la marge un peu escarpée de la petite île, il avait rompu ses sangles, et il lui fallut mettre pied à terre pour essayer de fixer sa selle. Ce n'était pas facile, et dans sa précipitation à rejoindre ses parents, Émile s'y prit mal; le nœud qu'il venait de faire coula comme il mettait le pied dans l'étrier, et Charasson fut obligé de couper un bout de la corde qui lui servait de bride pour consolider cette petite réparation. Tout cela prit un certain temps, pendant lequel leur attention fut tout à fait détournée du fléau que Sylvain appréhendait. L'îlot était couvert d'une épaisse saulée qui ne leur permettait pas de voir à dix pas autour d'eux.

      Tout à coup un mugissement semblable au roulement prolongé du tonnerre se fit entendre, arrivant de leur côté avec une rapidité extrême. Émile, se trompant sur la cause de ce bruit, regarda le ciel qui était serein au-dessus de sa tête: mais l'enfant devint pâle comme la mort: «La dribe! s'écria-t-il, la dribe! sauvons nous, Monsieur!».

      Ils traversèrent l'île au galop; mais avant qu'ils fussent sortis de la saulée, des flots d'une eau jaunâtre et couverte d'écume, vinrent à leur rencontre, et leurs chevaux en avaient déjà jusqu'au poitrail, lorsqu'ils se trouvèrent en face du torrent gonflé qui se répandait avec fureur sur les terrains environnants.

      Émile voulait tenter le passage; mais son guide s'attachant après lui: «Non, Monsieur, non, s'écria-t-il, il est trop tard. Voyez la force du torrent, et les poutres qu'il charrie! Il n'y a ni homme ni bête qui puisse s'en sauver. Laissons les chevals, Monsieur, laissons les chevals, peut-être qu'ils auront l'esprit d'en sortir; mais c'est trop risquer pour des chrétiens. Tenez, au diable! voilà la passerelle emportée! Faites comme moi, Monsieur, faites comme moi, ou vous êtes mort!»

      Et Charasson, qui avait déjà de l'eau jusqu'aux épaules, se mit à grimper lestement sur un arbre. Émile voyant à la fureur du torrent qui grossissait d'un pied à chaque seconde, que le courage allait devenir folie, et songeant