Название | Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Ces deux campagnards paraissaient pourtant le boire avec délices. Au bout d'un quart d'heure, Janille, qui ne pouvait vivre sans remuer, quitta la table, prit son tricot et se mit à travailler au coin du feu, grattant à chaque instant ses tempes avec son aiguille, sans toutefois déranger les minces bandeaux de cheveux encore noirs qui dépassaient un peu sa coiffe. Cette vieille, proprette et menue, pouvait avoir été jolie; son profil délicat ne manquait pas de distinction, et si elle n'eût été maniérée, et préoccupée de faire la capable et la gentille, notre voyageur l'eût prise aussi en affection.
Les autres personnages qui, en l'absence de la demoiselle, complétaient l'intérieur de M. Antoine étaient, l'un un petit paysan, d'une quinzaine d'années, à la mine éveillée, au pied leste, qui remplissait les fonctions de factotum; l'autre, un vieux chien de chasse, à l'œil terne, au flanc maigre, à l'air mélancolique et rêveur; couché auprès de son maître, il s'endormait philosophiquement entre chaque bouchée que celui-ci lui présentait en l'appelant monsieur d'un air gravement facétieux.
III.
M. CARDONNET
Il y avait plus d'une heure qu'on était à table, et M. Antoine ne paraissait nullement las de la séance. Lui et son ami le paysan faisaient durer leurs petits fromages et leurs grandes pintes de vin avec cette majestueuse lenteur qui est presque un art chez le Berrichon. Portant alternativement leurs couteaux sur ce morceau friand dont l'odeur aigrelette n'avait rien d'agréable, ils le débitaient en petits morceaux qu'ils plaçaient méthodiquement sur leurs assiettes de terre, et qu'ils mangeaient ensuite miette à miette sur leur pain bis. Entre chaque bouchée, ils avalaient une gorgée de vin du cru, après avoir choqué leurs verres, en s'adressant chaque fois cet échange de compliments: «A la tienne, camarade! – A la vôtre, monsieur Antoine!» ou bien: «Bonne santé à toi, mon vieux! – A vous pareillement, mon maître!»
Au train que prenaient les choses, ce festin pouvait durer toute la nuit, et le voyageur, qui s'épuisait en efforts pour paraître boire et manger, bien qu'il s'en dispensât le plus possible, commençait à lutter péniblement contre le sommeil, lorsque la conversation, roulant jusqu'alors sur le temps, sur la récolte des foins, sur le prix des bestiaux et sur les provins de la vigne, prit peu à peu une direction qui l'intéressa fortement.
«Si ce temps-là continue, disait le paysan, en écoutant la pluie qui
ruisselait au dehors, les eaux grossiront ce mois-ci comme au mois de mars.
La Gargilesse n'est pas commode, et il pourra y avoir du dégât chez M.
Cardonnet.
– Tant pis, dit M. Antoine, ce serait dommage; car il a fait de grands et beaux travaux sur cette petite rivière.
– Oui, mais la petite rivière s'en moque, reprit le paysan, et je trouve, moi, que le dommage ne serait pas grand.
– Si fait, si fait! cet homme a déjà fait à Gargilesse pour plus de deux cent mille francs de dépenses; et il ne faut qu'un coup de colère de l'eau, comme on dit chez nous, pour ruiner tout cela.
– Eh bien, ce serait donc un si grand malheur, monsieur Antoine?
– Je ne dis pas que ce fût un malheur irréparable, pour un homme que l'on dit riche d'un million, reprit le châtelain, dont la candeur s'obstinait à ne pas comprendre les sentiments hostiles de son commensal à l'endroit de M. Cardonnet; mais ce serait toujours une perte.
– Et c'est pourquoi je rirais un peu, si un petit coup du sort faisait ce trou à sa bourse.
– C'est là un mauvais sentiment, mon vieux! Pourquoi en voudrais-tu à cet étranger? Il ne t'a jamais fait, non plus qu'à moi, ni bien ni mal.
– Il a fait du mal à vous, monsieur Antoine, à moi, à tout le pays. Oui, je vous dis qu'il en a fait par intention et qu'il en fera tout de bon à tout le monde. Laissez pousser le bec du livot (la buse), et vous verrez comme il tombera sur votre poulailler!
– Toujours tes idées fausses, vieux! car tu as des idées fausses, je te l'ai dit cent fois: tu en veux à cet homme parce qu'il est riche. Est-ce sa faute?
– Oui, Monsieur, c'est sa faute. Un homme parti peut-être d'aussi bas que moi-même, et qui a fait un pareil chemin, n'est pas un honnête homme.
– Allons donc! que dis-tu là? T'imagines-tu qu'on ne puisse pas faire fortune sans voler?
– Je n'en sais rien; mais je le crois. Je sais bien que vous êtes né riche et que vous ne l'êtes plus. Je sais bien que je suis né pauvre et que je le serai toujours; et m'est avis que si vous étiez parti pour d'autres pays, sans payer les dettes de votre père, et que je me fusse mis, de mon côté, à maquignonner, à tondre et à grappiller sur toutes choses, nous roulerions carrosse tous les deux, à l'heure qu'il est. Pardon, excuse, si je vous offense! ajouta d'un ton rude et fier le paysan, en s'adressant au jeune homme, qui donnait des signes marqués d'une émotion pénible.
– Monsieur, dit le châtelain, il se peut que vous connaissiez M. Cardonnet, que vous soyez employé par lui, ou que vous lui ayez quelques obligations. Je vous prie de ne pas faire attention à ce que dit ce brave villageois. Il a des idées exagérées sur beaucoup de choses, qu'il ne comprend pas bien. Au fond, soyez certain qu'il n'est ni haineux, ni jaloux, ni capable de porter le moindre préjudice à M. Cardonnet.
– J'attache peu d'importance à ses paroles, répondit le jeune étranger. Je m'étonne seulement, monsieur le comte, qu'un homme que vous honorez de votre estime ternisse à plaisir la réputation d'un autre homme, sans avoir le moindre fait à alléguer contre lui et sans rien connaître de ses antécédents. J'ai déjà demandé à votre commensal des renseignements sur ce M. Cardonnet qu'il paraît haïr personnellement, et il a refusé de s'expliquer. Je vous en fais juge: peut-on établir une opinion loyale sur des imputations gratuites, et, si vous ou moi en prenions une défavorable à M. Cardonnet, votre hôte n'aurait-il pas commis une mauvaise action?
– Vous parlez selon mon cœur et selon ma pensée, jeune homme, répondit M. Antoine. Toi, ajouta-t-il en se tournant vers son commensal rustique, et frappant sur la table d'une manière courroucée, tandis qu'il lui adressait un regard où l'affection et la bonté triomphaient du mécontentement, tu as tort, et tu vas tout de suite nous dire ce que tu reproches audit Cardonnet, afin qu'on puisse juger si tes griefs ont quelque valeur. Autrement, nous te tiendrons pour un esprit chagrin et une mauvaise langue.
– Je n'ai rien à dire que ce que tout le monde sait, répliqua le paysan d'un air calme, et sans paraître intimidé de la mercuriale. On voit les choses, et chacun les juge comme il l'entend; mais puisque ce jeune homme ne connaît pas M. Cardonnet, ajouta-t-il en jetant un regard pénétrant sur le voyageur, et puisqu'il désire tant savoir quel particulier ce peut être, dites-le-lui vous-même, monsieur Antoine, et quand vous aurez établi les faits, moi j'en ferai le détail; j'en dirai la cause et la fin, et monsieur jugera tout seul, à moins qu'il n'ait quelque meilleure raison que les miennes pour ne pas dire ce qu'il en pense.
– Eh bien, accordé? dit M. Antoine, qui ne faisait pas autant d'attention que son compagnon à l'agitation croissante du jeune homme. Je dirai les choses comme elles sont, et si je me trompe, je permets à la mère Janille, qui a la mémoire et la précision d'un almanach, de me contredire et de m'interrompre. Quant à vous, petit drôle, dit-il en s'adressant à son page en blouse et en sabots, tâchez de ne pas me plonger ainsi dans le blanc des yeux quand je vous parle. Votre regard fixe me donne le vertige, et votre bouche ouverte me fait l'effet d'un puits où je vais tomber. Eh bien, qu'est-ce? vous riez? Apprenez qu'un garnement de votre âge ne doit pas se permettre de rire devant son maître. Mettez-vous dermoi et tenez-vous aussi décemment que monsieur.»
En disant cela, il désignait son chien, et il avait l'air si sérieux et la voix si haute en plaisantant de la sorte; que le voyageur