Elle et lui. Жорж Санд

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Название Elle et lui
Автор произведения Жорж Санд
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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semaines s'écoulèrent pour lui dans une alternative de rage, de froideur et de tendresse. Rien au monde ne lui était si nécessaire et si bienfaisant que l'amitié de cette femme, rien ne lui était si amer et si blessant que de ne pouvoir prétendre à son amour. L'aveu qu'il avait exigé, loin de le guérir comme il s'en était flatté, avait irrité sa souffrance. C'était de la jalousie qu'il ne pouvait plus se dissimuler, puisqu'elle avait une cause avouée et certaine. Comment avait-il donc pu s'imaginer qu'aussitôt cette cause connue, il dédaignerait de vouloir lutter pour la détruire?

      Et cependant il ne faisait aucun effort pour supplanter l'invisible et heureux rival. Sa fierté, excessive auprès de Thérèse, ne le lui permettait pas. Seul, il le haïssait, il le dénigrait en lui-même, attribuant tous les ridicules à ce fantôme, l'insultant et le provoquant dix fois par jour.

      Et puis il se dégoûtait de souffrir, retournait à la débauche, s'oubliait lui-même un instant et retombait aussitôt dans de profondes tristesses, allait passer deux heures chez Thérèse, heureux de la voir, de respirer l'air qu'elle respirait et de la contredire pour avoir le plaisir d'entendre sa voix grondeuse et caressante.

      Enfin il la détestait pour ne pas deviner ses tourments; il la méprisait pour rester fidèle à cet amant qui ne pouvait être qu'un homme médiocre, puisqu'elle n'éprouvait pas le besoin d'en parler; il la quittait en se jurant de rester longtemps sans la voir, et il y fût retourné une heure après s'il eût espéré être reçu.

      Thérèse, qui un instant s'était aperçue de son amour, ne s'en doutait plus, tant il jouait bien son rôle. Elle aimait sincèrement ce malheureux enfant. Artiste enthousiaste sous son air calme et réfléchi: elle avait voué une sorte de culte, disait-elle, à ce qu'il eût pu être, et il lui en restait une pitié pleine de gâteries où se mêlait encore un vrai respect pour le génie souffrant et fourvoyé. Si elle eût été bien certaine de ne pouvoir éveiller en lui aucun mauvais désir, elle l'eût caressé comme un fils, et il y avait des moments où elle se reprenait parce qu'il lui venait sur les lèvres de le tutoyer.

      Y avait-il de l'amour dans ce sentiment maternel? Il y en avait certainement, à l'insu de Thérèse; mais une femme vraiment chaste, et qui a vécu plus longtemps de travail que de passion, peut garder longtemps vis-à-vis d'elle-même le secret d'un amour dont elle a résolu de se défendre. Thérèse croyait être certaine de ne jamais songer à sa propre satisfaction dans cet attachement dont elle faisait tous les frais; du moment que Laurent trouvait du calme et du bien-être auprès d'elle, elle en trouvait elle-même à lui en donner. Elle savait bien qu'il était incapable d'aimer comme elle l'entendait; aussi avait-elle été blessée et effrayée du moment de fantaisie qu'il avait avoué. Cette crise passée, elle s'applaudissait d'avoir trouvé dans un mensonge innocent le moyen d'en prévenir le retour; et comme en toute occasion, dès qu'il se sentait ému, Laurent se hâtait de proclamer l'infranchissable barrière de glace de la mer Baltique, elle n'avait plus peur et s'habituait à vivre sans brûlure au milieu du feu.

      Toutes ces souffrances et tous ces dangers des deux amis étaient cachés et comme couvés sous une habitude de gaieté railleuse, qui est comme la manière d'être, comme le cachet indélébile des artistes français. C'est une seconde nature que les étrangers du Nord nous reprochent beaucoup, et pour laquelle les graves Anglais surtout nous dédaignent passablement. C'est elle pourtant qui fait le charme des liaisons délicates, et qui nous préserve souvent de beaucoup de folies ou de sottises. Chercher le côté ridicule des choses, c'est en découvrir le côté faible et illogique. Se moquer des périls où l'âme se trouve engagée, c'est s'exercer à les braver, comme nos soldats qui vont au feu en riant et en chantant. Persifler un ami, c'est souvent le sauver d'une mollesse de l'âme dans laquelle notre pitié l'eût engagé à se complaire. Enfin, se persifler soi-même, c'est se préserver de la sotte ivresse de l'amour-propre exagéré. J'ai remarqué que les gens qui ne plaisantaient jamais étaient doués d'une vanité puérile et insupportable.

      La gaieté de Laurent était éblouissante de couleur et d'esprit, comme son talent, et d'autant plus naturelle qu'elle était originale. Thérèse avait moins d'esprit que lui, en ce sens qu'elle était naturellement rêveuse et paresseuse à causer; mais elle avait précisément besoin de l'enjouement des autres: alors le sien se mettait peu à peu de la partie, et sa gaieté sans éclat n'était pas sans charme.

      Il résultait donc de cette habitude de bonne humeur où l'on se maintenait, que l'amour, chapitre sur lequel Thérèse ne plaisantait jamais et n'aimait pas que l'on plaisantât devant elle, ne trouvait pas un mot à glisser, pas une note à faire entendre.

      Un beau matin, le portrait de M. Palmer se trouva terminé, et Thérèse remit à Laurent, de la part de son ami, une jolie somme que le jeune homme lui promit de mettre en réserve pour le cas de maladie ou de dépense obligatoire imprévue.

      Laurent s'était lié avec Palmer en faisant son portrait. Il l'avait trouvé ce qu'il était: droit, juste, généreux, intelligent et instruit. Palmer était un riche bourgeois dont la fortune patrimoniale provenait du commerce. Il avait fait le trafic lui-même et les voyages au long cours dans sa jeunesse. A trente ans, il avait eu le grand sens de se trouver assez riche et de vouloir vivre pour lui-même. Il ne voyageait donc plus que pour son plaisir, et, après avoir vu, disait-il, beaucoup de choses curieuses et de pays extraordinaires, il se plaisait à la vue des belles choses et à l'étude des pays véritablement intéressants par leur civilisation.

      Sans être très-éclairé dans les arts, il y portait un sentiment assez sûr, et en toutes choses il avait des notions saines comme ses instincts. Son langage en français se ressentait de sa timidité, au point d'être presque inintelligible et risiblement incorrect au début d'un dialogue; mais, lorsqu'il se sentait à l'aise, on reconnaissait qu'il savait la langue, et qu'il ne lui manquait qu'une plus longue pratique ou plus de confiance pour la parler très-bien.

      Laurent avait étudié cet homme avec beaucoup de trouble et de curiosité au commencement. Lorsqu'il lui fut démontré jusqu'à l'évidence qu'il n'était pas l'amant de mademoiselle Jacques, il l'apprécia et se prit pour lui d'une sorte d'amitié qui ressemblait de loin, il est vrai, à celle qu'il éprouvait pour Thérèse. Palmer était un philosophe tolérant, assez rigide pour lui-même et très-charitable pour les autres. Par les idées sinon par le caractère, il ressemblait à Thérèse, et se trouvait presque toujours d'accord avec elle sur tous les points. Par moments encore, Laurent se sentait jaloux de ce qu'il appelait musicalement leur imperturbable unisson, et, comme ce n'était plus qu'une jalousie intellectuelle, il n'osait s'en plaindre à Thérèse.

      – Votre définition ne vaut rien, disait-elle. Palmer est trop calme et trop parfait pour moi. J'ai un peu plus de feu, et je chante un peu plus haut que lui. Je suis, relativement à lui, la note élevée de la tierce majeure.

      – Alors, moi, je ne suis qu'une fausse note, reprenait Laurent.

      – Non, disait Thérèse, avec vous je me modifie et descends à former la tierce mineure.

      – C'est qu'alors avec moi vous baissez d'un demi-ton?

      – Et je me trouve d'un demi-intervalle plus rapprochée de vous que de Palmer.

      III

      Un jour, à la demande de Palmer, Laurent se rendit à l'hôtel Meurice, où demeurait celui-ci, pour s'assurer que le portrait était convenablement encadré et emballé. On posa le couvercle devant eux, et Palmer y écrivit lui-même avec un pinceau le nom et l'adresse de sa mère; puis, au moment où les commissionnaires enlevaient la caisse pour la faire partir, Palmer serra la main de l'artiste en lui disant:

      – Je vous dois un grand plaisir que va avoir ma bonne mère, et je vous remercie encore. A présent, voulez-vous me permettre de causer avec vous? J'ai quelque chose à vous dire.

      Ils passèrent dans un salon où Laurent vit plusieurs malles.

      – Je pars demain pour l'Italie, lui dit l'Américain en lui offrant d'excellents cigares et une bougie, bien qu'il ne fumât pas lui-même, et je ne veux pas vous quitter sans vous entretenir d'une chose délicate, tellement délicate, que, si vous m'interrompez, je ne