Название | Elle et lui |
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Автор произведения | Жорж Санд |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
«Thérèse changea de pays et de nom, se fit passer pour veuve, résolue à se faire oublier du peu de personnes qui l'avaient connue, et se mit à vivre pour son enfant avec un douloureux enthousiasme. Cet enfant lui était si cher, qu'elle pensait pouvoir se consoler de tout avec lui; mais ce dernier bonheur ne devait pas durer longtemps.
«Comme le comte avait de la fortune et qu'il n'avait pas d'enfant de sa première femme, Thérèse avait dû accepter, à la prière même de celle-ci, une pension raisonnable pour être en mesure d'élever convenablement son fils; mais à peine le comte eut-il reconduit sa femme à La Havane, qu'il l'abandonna de nouveau, s'échappa, revint en Europe et alla se jeter aux pieds de Thérèse, la suppliant de fuir avec lui et avec son enfant à l'autre extrémité du monde.
«Thérèse fut inexorable: elle avait réfléchi et prié. Son âme s'était affermie, elle n'aimait plus le comte. Précisément à cause de son fils, elle ne voulait pas qu'un tel homme devînt le maître de sa vie. Elle avait perdu le droit d'être heureuse, mais non pas celui de se respecter elle-même: elle le repoussa sans reproches, mais sans faiblesse. Le comte la menaça de la laisser sans ressources: elle répondit qu'elle n'avait pas peur de travailler pour vivre.
«Ce misérable fou s'avisa alors d'un moyen exécrable, soit pour mettre Thérèse à sa discrétion, soit pour se venger de sa résistance. Il enleva l'enfant et disparut. Thérèse courut après lui; mais il avait si bien pris ses mesures, qu'elle fit fausse route et ne le rejoignit pas. C'est alors que je la rencontrai en Angleterre; mourant de désespoir et de fatigue dans une auberge, presque folle, et si dévastée par le malheur, que j'hésitai à la reconnaître.
«J'obtins d'elle qu'elle se reposerait et me laisserait agir. Mes recherches eurent un succès déplorable. Le comte était repassé en Amérique. L'enfant y était mort de fatigue en arrivant.
«Quand il me fallut porter à cette malheureuse l'épouvantable nouvelle, je fus épouvanté moi-même du calme qu'elle montra. On eût dit pendant huit jours d'une morte qui marchait. Enfin elle pleura, et je vis qu'elle était sauvée. J'étais forcé de la quitter; elle me dit qu'elle voulait se fixer où elle était. J'étais inquiet de son dénûment; elle me trompa en me disant que sa mère ne la laissait manquer de rien. J'ai su plus tard que sa pauvre mère en eût été bien empêchée: elle ne disposait pas d'un centime dans son ménage sans en rendre compte. D'ailleurs, elle ignorait tous les malheurs de sa fille. Thérèse, qui lui écrivait en secret, les lui avait cachés pour ne pas la désespérer.
«Thérèse vécut en Angleterre en donnant des leçons de français, de dessin et de musique; car elle avait des talents, qu'elle eut le courage d'exercer pour n'avoir à accepter la pitié de personne.
«Au bout d'un an, elle revint en France et se fixa à Paris, où elle n'était jamais venue, et où personne ne la connaissait. Elle n'avait alors que vingt ans, elle avait été mariée à seize. Elle n'était plus du tout jolie, et il a fallu huit années de repos et de résignation pour lui rendre sa santé et sa douce gaieté d'autrefois.
«Je ne l'ai revue pendant tout ce temps qu'à de rares intervalles, puisque je voyage toujours; mais je l'ai toujours retrouvée digne et fière, travaillant avec un courage invincible et cachant sa pauvreté sous un miracle d'ordre et de propreté, ne se plaignant jamais ni de Dieu ni de personne, ne voulant pas parler du passé, caressant quelquefois les enfants en secret et les quittant dès qu'on la regarde, dans la crainte sans doute qu'on ne la voie émue.
«Voilà trois ans que je ne l'avais vue, et, quand je suis venu vous demander de faire mon portrait, je cherchais précisément son adresse, que j'allais vous demander quand vous m'avez parlé d'elle. Arrivé la veille, je ne savais pas encore qu'elle eût enfin du succès, de l'aisance et de la célébrité. C'est en la retrouvant ainsi que j'ai compris que cette âme si longtemps brisée pouvait encore vivre, aimer… souffrir ou être heureuse. Tâchez qu'elle le soit, mon cher Laurent, elle l'a bien gagné! Et, si vous n'êtes point sûr de ne pas la faire souffrir, brûlez-vous la cervelle ce soir plutôt que de retourner chez elle. Voilà tout ce que j'avais à vous dire.
– Attendez, dit Laurent très-ému: ce comte de *** est-il toujours vivant?
– Malheureusement, oui. Ces hommes qui font le désespoir des autres se portent toujours bien et échappent à tous les dangers. Ils ne donnent même jamais leur démission; car celui-ci a eu dernièrement la présomption de m'envoyer pour Thérèse une lettre que je lui ai remise sous vos yeux, et dont elle fait le cas que cela mérite.
Laurent avait songé à épouser Thérèse en écoutant le récit de M. Palmer. Ce récit l'avait bouleversé. Les inflexions monotones, l'accent prononcé, et quelques bizarres inversions de Palmer que nous avons jugé inutile de reproduire, lui avaient donné, dans l'imagination vive de son auditeur, je ne sais quoi d'étrange et de terrible comme la destinée de Thérèse. Cette fille sans parents, cette mère sans enfant, cette femme sans mari, n'était-elle pas vouée à un malheur exceptionnel? Quelles tristes notions n'avait-elle pas dû garder de l'amour et de la vie! Le sphinx reparaissait devant les yeux éblouis de Laurent. Thérèse dévoilée lui paraissait plus mystérieuse que jamais: s'était-elle jamais consolée, ou pouvait-elle l'être un seul instant?
Il embrassa Palmer avec effusion, lui jura qu'il aimait Thérèse, et que, s'il parvenait jamais à être aimé d'elle, il se rappellerait à toutes les heures de sa vie l'heure qui venait de s'écouler et le récit qu'il venait d'entendre. Puis, lui ayant promis de ne pas faire semblant de savoir l'histoire de mademoiselle Jacques, il rentra chez lui et écrivit:
«Thérèse, ne croyez pas un mot de tout ce que je vous dis depuis deux mois. Ne croyez pas non plus ce que je vous ai dit, quand vous avez eu peur de me voir amoureux de vous. Je ne suis pas amoureux, ce n'est pas cela: je vous aime éperdument. C'est absurde, c'est insensé, c'est misérable; mais, moi qui croyais ne devoir et ne pouvoir jamais dire ou écrire à une femme ce mot-là: Je vous aime! je le trouve encore trop froid et trop retenu aujourd'hui de moi à vous. Je ne peux plus vivre avec ce secret qui m'étouffe, et que vous ne voulez pas deviner. J'ai voulu cent fois vous quitter, m'en aller au bout du monde, vous oublier. Au bout d'une heure, je suis à votre porte et bien souvent, la nuit, dévoré de jalousie, et presque furieux contre moi-même, je demande à Dieu de me délivrer de mon mal en faisant arriver cet amant inconnu auquel je ne crois pas, et que vous avez inventé pour me dégoûter de songer à vous. Montrez-moi cet homme dans vos bras, ou aimez-moi, Thérèse! Faute de cette solution, je n'en vois qu'une troisième, c'est que je me tue pour en finir… C'est lâche et stupide, cette menace banale et rebattue par tous les amants désespérés; mais est-ce ma faute s'il y a des désespoirs qui font jeter le même cri à tous ceux qui les subissent, et suis-je fou parce que j'arrive à être un homme comme les autres?
«De quoi m'a servi tout ce que j'ai inventé pour m'en défendre et pour rendre mon pauvre individu aussi inoffensif qu'il voulait être libre?
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