La San-Felice, Tome 03. Dumas Alexandre

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Название La San-Felice, Tome 03
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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prêtes pour le recevoir, l'héritage artistique de son aïeul le pape Paul III, celui-là même qui excommunia Henri VIII, qui signa avec Charles V et Venise une ligue contre les Turcs, et qui fit, en la confiant à Michel-Ange, reprendre la construction de Saint-Pierre.

      Mais, en même temps que les chefs-d'oeuvre du ciseau grec et du pinceau du moyen âge arrivaient de Rome, une autre expédition était venue d'Angleterre qui préoccupait bien autrement la curiosité de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles.

      C'était d'abord un musée ethnologique recueilli aux îles Sandwich par l'expédition qui avait succédé à celle où le capitaine Cook avait péri, et dix-huit kangourous vivants, mâles et femelles, rapportés de la Nouvelle-Zélande, et dans l'attente desquels Ferdinand avait fait préparer, au milieu du parc de Caserte, un magnifique enclos avec cabines pour ces intéressants quadrupèdes, – si toutefois on peut nommer quadrupèdes, ces difformes marsupiaux avec leurs immenses pattes de derrière qui leur permettent de faire des bonds de vingt pieds et les moignons qui leur servent de pattes de devant. – Or, on venait justement de les faire sortir de leurs cages et de les lancer dans leur enceinte, et le roi Ferdinand s'ébahissait aux bonds immenses qu'ils accomplissaient, effrayés qu'ils étaient par les aboiements de Jupiter, lorsqu'on vint lui annoncer l'arrivée de M. André Backer.

      – C'est bien, c'est bien, dit le roi, amenez-le ici, je vais lui montrer une chose qu'il n'a jamais vue, et qu'avec tous ses millions il ne saurait acheter.

      Le roi ne se mettait d'habitude à table qu'à quatre heures; mais, pour avoir tout le temps de causer avec le jeune banquier, il lui avait donné rendez-vous à deux heures.

      Un valet de pied conduisit André Backer vers la partie du parc où était le domicile des kangourous.

      Le roi, apercevant de loin le jeune homme, fit quelques pas au-devant de lui; il ne connaissait le père et le fils que comme étant les premiers banquiers de Naples, et le titre de banquiers du roi qu'ils avaient obtenu les avait mis en contact avec les intendants et le ministre des finances de Sa Majesté, jamais avec Sa Majesté elle-même.

      C'était Corradino qui, jusque-là, avait traité de l'emprunt, fait les ouvertures, et proposé au roi, pour rendre les banquiers plus coulants, de caresser leur orgueil en donnant à l'un ou à l'autre la croix de Saint-Georges Constantinien.

      Cette croix avait naturellement été offerte au chef de la maison, c'est-à-dire à Simon Backer; mais celui-ci, homme simple, avait renvoyé l'offre à son fils, proposant de fonder en son nom une commanderie de cinquante mille livres, fondation qui ne s'obtenait que par faveur spéciale du roi; la proposition avait été acceptée, de sorte que c'était son fils, – à l'avenir duquel cette marque distinctive pouvait être utile, surtout pour rapprocher, à l'occasion d'un mariage, l'aristocratie d'argent de l'aristocratie de naissance, – de sorte que c'était son fils qui avait été nommé commandeur à sa place.

      Nous avons vu que le jeune André Backer avait bonne tournure, qu'il était cité parmi les jeunes gens élégants de Naples, et nous avons pu voir, aux quelques mots échangés entre lui et Luisa San-Felice, qu'il était à la fois homme d'éducation et homme d'esprit; aussi, beaucoup de dames de Naples n'avaient-elles pas pour lui la même indifférence que notre héroïne, et beaucoup de mères de famille eussent-elles désiré que le jeune banquier, beau, riche, élégant, leur fît, à regard de leur fille, la même proposition qu'André Backer avait faite au chevalier à l'endroit de sa pupille.

      Il aborda donc le roi avec beaucoup de mesure et de respect, mais avec beaucoup moins d'embarras qu'une heure auparavant, il n'avait abordé la San-Felice.

      Les salutations faites, il attendit que le roi lui adressât le premier la parole.

      Le roi l'examina des pieds à la tête et commença par faire une légère grimace.

      Il est vrai qu'André Backer n'avait ni favoris ni moustaches; mais il n'avait non plus ni poudre ni queue, ornement et appendice sans lesquels, dans l'esprit du roi, il ne pouvait y avoir d'homme pensant parfaitement bien.

      Mais, comme le roi tenait fort à toucher ses vingt-cinq millions, et que peu lui importait, au bout du compte, que celui qui les lui baillerait, eût de la poudre à la tête et une queue à la nuque, pourvu qu'il les lui baillât, tout en tenant ses mains derrière son dos, il rendit gracieusement son salut au jeune banquier.

      – Eh bien, monsieur Backer, fit-il, où en est notre négociation?

      – Sa Majesté me permettra-t-elle de lui demander de quelle négociation elle veut parler? répliqua le jeune homme.

      – Celle des vingt-cinq millions.

      – Je croyais, sire, que mon père avait eu l'honneur de répondre au ministre des finances de Votre Majesté que c'était chose arrangée.

      – Ou qui s'arrangerait.

      – Non point, sire, arrangée. Les désirs du roi sont des ordres.

      – Alors, vous venez m'annoncer…?

      – Que Sa Majesté peut regarder la chose comme faite; demain commenceront les versements, à notre caisse, des différentes maisons que mon père fait participer à l'emprunt.

      – Et pour combien la maison Backer entre-t-elle personnellement dans cet emprunt?

      – Pour huit millions, sire, qui sont dès à présent à la disposition de Votre Majesté.

      – A ma disposition?

      – Oui sire.

      – Et quand cela?

      – Mais demain, mais ce soir. Sa Majesté peut les faire prendre sur un simple reçu de son ministre des finances.

      – Le mien ne vaudrait pas autant? demanda le roi.

      – Mieux sire; mais je n'espérais pas que le roi fît à notre maison l'honneur de lui donner un reçu de sa main.

      – Si fait, si fait, monsieur, je le donnerai et avec grand plaisir!.. Ainsi vous dites que ce soir…?

      – Ce soir, si Votre Majesté le désire; mais, en ce cas, comme la caisse ferme à six heures, il faudrait que Votre Majesté permît que j'envoyasse un exprès à mon père.

      – Comme je ne serais point fâché, mon cher monsieur Backer, que l'on ne sût pas que j'ai touché cet argent, dit le roi en se grattant l'oreille, attendu que cet argent est destiné à faire une surprise, il me serait agréable qu'il fût transporté cette nuit au palais.

      – Cela sera fait, sire; seulement, comme j'ai eu l'honneur de le dire à Votre Majesté, mon père doit être prévenu.

      – Voulez-vous revenir au palais pour écrire? demanda le roi.

      – Ce que je voudrais surtout, sire, c'est de ne pas déranger le roi dans sa promenade; il suffit donc de deux mots écrits au crayon; ces deux mots remis à mon valet de pied, il prendra un cheval de poste et les portera à mon père.

      – Il y a un moyen bien plus simple, c'est de renvoyer votre voiture.

      – Encore… Le cocher changera de chevaux et reviendra me prendre.

      – Inutile, je retourne à Naples vers les sept heures du soir, je vous reconduirai.

      – Sire! ce sera bien de l'honneur pour un pauvre banquier, dit le jeune homme en s'inclinant.

      – La peste! vous appelez un pauvre banquier l'homme qui m'escompte en une semaine une lettre de change de vingt-cinq millions, et qui, du jour au lendemain, en met huit à ma disposition! Je suis roi, monsieur, roi des Deux-Siciles, à ce que l'on dit du moins, eh bien, je déclare que, si j'avais huit millions à vous payer d'ici à demain, je vous demanderais du temps.

      André Backer tira un petit agenda de sa poche, déchira une feuille de papier, écrivit dessus quelques lignes au crayon, et, se tournant vers le roi:

      – Sa Majesté me permet-elle de donner un ordre à cet homme? demanda-t-il.

      Et il désignait le valet de pied qui l'avait conduit vers le roi, et qui, s'étant retiré à l'écart, attendait