Название | La San-Felice, Tome 03 |
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Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Ah! oui, oui. N'est-ce pas chez lui que Luisa a toute sa fortune?
– Justement, tu y es.
– C'est bon. Lorsque je serai colonel, lorsque j'aurai des épaulettes et le sabre que M. Salvato m'a promis, il ne me manquera qu'un cheval comme celui sur lequel se promène M. André Backer pour être équipé complétement.
Nina ne répondit point; elle avait, tandis qu'elle parlait, tenu son regard arrêté sur le blessé, et, au frémissement presque imperceptible des muscles de son visage, elle avait compris que le prétendu dormeur n'avait point perdu une parole de ce qu'elle avait dit à Michele.
Pendant ce temps, Luisa était passée au salon, où l'attendait la visite annoncée; au premier moment, elle eut peine à reconnaître André Backer; il était vêtu en costume de cour, avait coupé ses longs favoris blonds à l'anglaise, ornement que, soit dit en passant, détestait le roi Ferdinand; il portait au cou la croix de commandeur de Saint-Georges Constantinien, et la plaque sur l'habit; il avait la culotte courte et l'épée au côté.
Un léger sourire passa sur les lèvres de Luisa. A quelle intention le jeune banquier lui faisait-il, dans un pareil costume, c'est-à-dire dans un costume de cour, une pareille visite à onze heures et demie du matin? Sans doute, elle allait le savoir.
Au reste, hâtons-nous de dire que André Backer, de race anglo-saxonne, était un charmant garçon de vingt-six à vingt-huit ans, blond, frais, rose, avec la tête carrée des faiseurs de chiffres, le menton accentué du spéculateur entêté aux affaires, et la main spatulée des compteurs d'argent.
Très-élégant et habituellement plein de désinvolture, il était un peu emprunté sous ce costume dont il n'avait pas l'habitude et qu'il portait avec tant de complaisance, que, sans affectation et comme par hasard, il s'était placé devant une glace pour voir l'effet que faisait la croix de Saint-Georges à son cou et la plaque du même ordre sur sa poitrine.
– Oh! mon Dieu, cher monsieur André, lui dit Luisa après l'avoir regardé un instant et lui avoir laissé faire un respectueux salut, comme vous voilà splendide! Je ne m'étonne point que vous ayez insisté, non pour me voir sans doute, mais pour que j'aie le plaisir de vous voir dans toute votre gloire. Où allez-vous donc comme cela? car je présume que ce n'est point pour me faire une visite d'affaires que vous avez revêtu ce costume de cour.
– Si j'eusse cru, madame, que vous eussiez pu avoir plus de plaisir à me voir avec ce costume que sous mes habits ordinaires, je n'eusse point attendu jusqu'aujourd'hui pour le revêtir; non, madame, je sais, au contraire, que vous êtes une de ces femmes intelligentes qui, en choisissant toujours le vêtement qui leur convient le mieux, font peu d'attention à la façon dont les autres sont vêtus; ma visite est un effet de ma volonté; mais ce costume, sous lequel je me présente à vous, est le résultat des circonstances. Le roi a daigné, il y a trois jours, me faire commandeur de l'ordre de Saint-Georges Constantinien, et m'inviter à dîner à Caserte pour aujourd'hui.
– Vous êtes invité par le roi à dîner à Caserte aujourd'hui? fit Luisa avec une expression de surprise qui indiquait un degré d'étonnement peu flatteur pour les droits que pouvait se croire le jeune banquier à être admis à la table du roi, le plus lazzarone des hommes dans les rues, le plus aristocrate des rois dans son château. Ah! mais je vous en fais mon compliment bien sincère, monsieur André.
– Vous avez raison de vous étonner, madame, de voir un pareil honneur fait au fils d'un banquier, répliqua le jeune homme, un peu piqué de la façon dont Luisa le félicitait; mais n'avez-vous pas entendu raconter qu'un jour Louis XIV, si aristocrate qu'il fût, invita à dîner avec lui, à Versailles, le banquier Samuel Bernard, auquel il voulait emprunter vingt-cinq millions? Eh bien, il paraît que le roi Ferdinand a un besoin d'argent non moins grand que son ancêtre le roi Louis XIV, et, comme mon père est le Samuel Bernard de Naples, le roi invite son fils André Backer à dîner avec lui à Caserte, qui est le Versailles de Sa Majesté Ferdinand, et, pour être sûr que les vingt-cinq millions ne lui échapperont point, il a mis, au cou du croquant qu'il admet à sa table, ce licol par lequel il espère le conduire jusqu'à sa caisse.
– Vous êtes homme d'esprit, monsieur André; ce n'est point d'aujourd'hui que je m'en aperçois, croyez-le, et vous pourriez être invité à la table de tous les rois de la terre, si l'esprit suffisait à ouvrir les portes des châteaux royaux. Vous avez comparé votre père à Samuel Bernard, monsieur André; moi qui connais son inattaquable probité et sa largeur en affaires, j'accepte pour mon compte la comparaison. Samuel Bernard était un noble coeur, qui non-seulement sous Louis XIV, mais encore sous Louis XV, a rendu de grands services à la France. Eh bien, qu'avez-vous à me regarder ainsi?
– Je ne vous regarde pas, madame, je vous admire.
– Et pourquoi?
– Parce que je pense que vous êtes probablement la seule femme à Naples qui sache ce que c'est que Samuel Bernard et qui ait le talent de faire un compliment à un homme qui reconnaît le premier qu'ayant une simple visite à vous faire, il se présente à vous dans un accoutrement ridicule.
– Faut-il que je vous fasse mes excuses, monsieur André? Je suis prête.
– Oh! non, madame, non! Le sarcasme lui-même, en passant par votre bouche, deviendrait une charmante causerie, que l'homme le plus vaniteux voudrait prolonger, fût-ce aux dépens de son amour-propre.
– En vérité, monsieur André, répliqua Luisa, vous commencez à m'embarrasser, et je me hâte, pour sortir d'embarras, de vous demander s'il existe une nouvelle route qui passe par Mergellina pour aller à Caserte.
– Non; mais, ne devant être à Caserte qu'à deux heures, j'ai cru, madame, que j'aurais le temps de vous parler d'une affaire qui se rattache justement à ce voyage de Caserte.
– Ah! mon Dieu, cher monsieur André, vous ne voudriez pas, je le présume, profiter de votre faveur pour me faire nommer dame d'honneur de la reine? Je vous préviens d'avance que je refuserais.
– Dieu m'en garde! Quoique serviteur dévoué de la famille royale et prêt à donner ma vie, et je vais vous parler en banquier, plus que ma vie, mon argent pour elle, je sais qu'il est des âmes pures qui doivent se tenir éloignées de régions où l'on respire une certaine atmosphère… de même que les santés qui veulent rester intactes doivent s'éloigner des miasmes des marais Pontins et des vapeurs du lac d'Agnano; mais l'or, qui est un métal inaltérable, peut se montrer là où hésiterait à se risquer le cristal, plus facile à ternir. Notre maison engage une grande affaire avec le roi, madame; le roi nous fait l'honneur de nous emprunter vingt-cinq millions, garantis par l'Angleterre; c'est une affaire sûre, dans laquelle l'argent placé peut rapporter sept et huit, au lieu de quatre ou cinq pour cent; vous avez un demi-million placé chez nous, madame; on va s'empresser de nous demander des coupons de cet emprunt dans lequel notre maison entre personnellement pour huit millions; je viens donc vous demander, avant que nous rendions l'affaire publique, si vous désirez que nous vous y fassions participer.
– Cher monsieur Backer, je vous suis on ne peut plus obligée de la démarche, répliqua Luisa; mais vous savez que les affaires, et surtout les affaires d'argent, ne me regardent point, qu'elles regardent seulement le chevalier; or, à cette heure, le chevalier, vous connaissez ses habitudes, cause très-probablement du haut de son échelle avec Son Altesse royale le prince de Calabre; c'était donc à la bibliothèque du palais qu'il fallait aller si vous vouliez le rencontrer et non ici; d'ailleurs, la présence de l'héritier de la couronne eût, infiniment mieux que la mienne, utilisé votre habit de cérémonie.
– Vous êtes cruel, madame, pour un homme qui, ayant si rarement l'occasion de vous présenter ses hommages, saisit avec avidité cette occasion quand elle se présente.
– Je croyais, répliqua Luisa du ton le plus naïf, que le chevalier vous avait dit, monsieur Backer, que nous étions toujours et particulièrement les jeudis à la maison, de six à dix heures du soir. S'il l'avait oublié, je m'empresse de vous le dire en son lieu et place; si vous l'avez oublié seulement, je vous le rappelle.
– Oh!