Название | La tentation de Saint Antoine |
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Автор произведения | Gustave Flaubert |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Et l'arôme de tout cela lui apports l'odeur salée de l'Océan, la fraîcheur des fontaines, le grand parfum des bois. Il dilate ses narines tant qu'il peut; il en bave; il se dit qu'il en a pour un an, pour dix ans, pour sa vie entière!
A mesure qu'il promène sur les mets ses yeux écarquillés, d'autres s'accumulent, formant une pyramide, dont les angles s'écroulent. Les vins se mettent à couler, les poissons à palpiter, le sang dans les plats bouillonne, la pulpe des fruits s'avance comme des lèvres amoureuses; et la table monte jusqu'à sa poitrine, jusqu'à son menton, – ne portant qu'une seule assiette et qu'un seul pain, qui se trouvent juste en face de lui.
Il va saisir le pain. D'autres pains se présentent.
Pour moi!.. tous! mais …
Antoine recule.
Au lieu d'un qu'il y avait, en voilà!.. C'est un miracle, alors, le même que fit le Seigneur!..
Dans quel but? Eh! tout le reste n'est pas moins incompréhensibles! Ah! démon, va-t'en! va-t'en!
Il donne un coup de pied dans la table. Elle disparaît.
Plus rien? – non!
Il respire largement.
Ah! la tentation était forte. Mais comme je m'en suis délivré!
Il relève la tête, et trébuche contre un objet sonore.
Qu'est-ce donc?
Antoine se baisse.
Tiens! une coupe! quelqu'un, en voyageant, l'aura perdue. Rien d'extraordinaire …
Il mouille son doigt, et frotte.
Ça reluit! du métal! Cependant, je ne distingue pas …
Il allume sa torche, et examine la coupe.
Elle est en argent, ornée d'ovules sur le bord, avec une médaille au fond.
Il fait sauter la médaille d'un coup d'ongle.
C'est une pièce de monnaie qui vaut … de sept à huit drachmes; pas davantage! N'importe! je pourrais bien, avec cela, me procurer une peau de brebis.
Un reflet de la torche éclaire la coupe.
Pas possible! en or! oui!.. tout en or!
Une autre pièce, plus grande, se trouve au fond. Sous celle-ci, il en découvre plusieurs autres.
Mais cela fait une somme … assez forte pour avoir trois boeufs … un petit champ!
La coupe est maintenant remplie de pièces d'or.
Allons donc! cent esclaves, des soldats, une foule, de quoi acheter …
Les granulations de la bordure, se détachant, forment un collier de perles.
Avec ce joyau-là, on gagnerait même la femme de l'Empereur!
D'une secousse, Antoine fait glisser le collier sur son poignet. Il tient la coupe de sa main gauche, et de son autre bras lève la torche pour mieux l'éclairer. Comme l'eau qui ruisselle d'une vasque, il s'en épanche à flots continus, – de manière à faire un monticule sur le sable, – des diamants, des escarboucles et des saphirs mêlés à de grandes pièces d'or, portant des effigies de rois.
Comment? comment? des staters, des cycles, des dariques, des aryandiques! Alexandre, Démétrius, les Ptolémées, César! mais chacun d'eux n'en avait pas autant! Rien d'impossible! plus de souffrance! et ces rayons qui m'éblouissent! Ah! mon coeur déborde! comme c'est bon! oui!.. oui!.. encore! jamais assez! J'aurais beau en jeter à la mer continuellement, il m'en restera. Pourquoi en perdre? Je garderai tout; sans le dire à personne; je me ferai creuser dans le roc une chambre qui sera couverte à l'intérieur de lames de bronze – et je viendrai là, pour sentir les piles d'or s'enfoncer sous mes talons; j'y plongerai mes bras comme dans des sacs de grain. Je veux m'en frotter le visage, me coucher dessus!
Il lâche la torche pour embrasser le tas; et tombe par terre sur la poitrine.
Il se relève. La place est entièrement vide.
Qu'ai-je fait?
Si j'étais mort pendant ce temps-là, c'était l'enfer! l'enfer irrévocable!
Il tremble de tous ses membres.
Je suis donc maudit? Eh non! c'est ma faute! je me laisse prendre à tous les piéges! On n'est pas plus imbécile et plus infâme. Je voudrais me battre, ou plutôt m'arracher de mon corps! Il y a trop longtemps que je me contiens! J'ai besoin de me venger, de frapper, de tuer! c'est comme si j'avais dans l'âme un troupeau de bêtes féroces. Je voudrais, à coups de hache, au milieu d'une foule … Ah! un poignard!..
Il se jette sur son couteau, qu'il aperçoit. Le couteau glisse de sa main, et Antoine reste accoté contre le mur de sa cabane, la bouche grande ouverte, immobile, – cataleptique.
Tout l'entourage a disparu.
Il se croit à Alexandrie sur le Paneum, montagne artificielle qu'entoure un escalier en limaçon et dressée au centre de la ville.
En face de lui s'étend le lac Mareotis, à droite la mer, à gauche la campagne, – et, immédiatement sous ses yeux, une confusion de toits plats, traversée du sud au nord et de l'est à l'ouest par deux rues qui s'entre-croisent et forment, dans toute leur longueur, une file de portiques à chapiteaux corinthiens. Les maisons surplombant cette double colonnade ont des fenêtres à vitres coloriées. Quelques-unes portent extérieurement d'énormes cages en bois, où l'air du dehors s'engouffre.
Des monuments d'architecture différente se tassent les uns près des autres. Des pylônes égyptiens dominent des temples grecs. Des obélisques apparaissent comme des lances entre des créneaux de briques rouges. Au milieu des places, il y a des Hermès à oreilles pointues et des Anubis à tête de chien. Antoine distingue des mosaïques dans les cours, et aux poutrelles des plafonds des tapis accrochés.
Il embrasse, d'un seul coup d'oeil, les deux ports (le Grand-Port et l'Eunoste), ronds tous les deux comme deux cirques, et que sépare un môle joignant Alexandrie à l'îlot escarpé sur lequel se lève la tour du Phare, quadrangulaire, haute de cinq cents coudées et à neuf étages, – avec un amas de charbons nons fumant à son sommet.
De petits ports intérieurs découpent les ports principaux. Le môle, à chaque bout, est terminé par un pont établi sur des colonnes de marbre plantées dans la mer. Des voiles passent dessous; et de lourdes gabares débordantes de marchandises, des barques thalamèges à incrustations d'ivoire, des gondoles couvertes d'un tendelet, des trirèmes et des birèmes, toutes sortes de bateaux, circulent ou stationnent contre les quais.
Autour du Grand-Port, c'est une suite ininterrompue de constructions royales: le palais des Ptolémées, le Muséum, le Posidium, le Cesareum, le Timonium où se réfugia Marc-Antoine, le Soma qui contient le tombeau d'Alexandre; – tandis qu'a l'autre extrémité de la ville, après l'Eunoste, on aperçoit dans un faubourg des fabriques de verre, de parfums et de papyrus.
Des vendeurs ambulants, des portefaix, des âniers, courent, se heurtent. Çà et là, un prêtre d'Osiris avec une peau de panthère sur l'épaule, un soldat romain à casque de bronze, beaucoup de nègres. Au seuil des boutiques des femmes s'arrêtent, des artisans travaillent; et le grincement des chars fait envoler des oiseaux qui mangent par terre les détritus des boucheries et des restes de poisson.
Sur l'uniformité des maisons blanches, le dessin des rues jette comme un réseau noir. Les marchés pleins d'herbes y font des bouquets verts, les sécheries des teinturiers des plaques de couleurs, les ornements d'or au fronton des temples des points lumineux, – tout cela compris dans l'enceinte ovale des murs grisâtres, sous la voûte du ciel bleu, près de la mer immobile.
Mais la foule s'arrête, et regarde du côté de l'occident, d'où s'avancent d'énormes tourbillons de poussière.
Ce sont les moines