Название | Plus fort que Sherlock Holmès |
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Автор произведения | Марк Твен |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Dans ce monde, vois-tu, il faut être comme le commun des mortels, si l'on ne veut provoquer ni moqueries, ni envie, ni jalousie. La particularité que tu as reçue en partage est rare et enviable, j'en suis heureuse et fière, mais pour l'amour de ta mère, tu ne dévoileras jamais ce secret à personne, n'est-ce pas ?
L'enfant promit, mais sans comprendre. Pendant tout le cours de la journée, le cerveau de la jeune femme fut en ébullition; elle formait les projets les plus fantastiques, forgeait des plans, des intrigues, tous plus dangereux les uns que les autres et très effrayants par leurs conséquences. Cette perspective de vengeance donnait à son visage une expression de joie féroce et de je ne sais quoi de diabolique. La fièvre de l'inquiétude la gagnait, elle ne pouvait ni rester en place, ni lire, ni travailler. Le mouvement seul, était un dérivatif pour elle. Elle fondait sur le don particulier de son fils les plus vives espérances et se répétait sans cesse en faisant allusion au passé :
– Mon mari a fait mourir mon père de chagrin, et voilà des années que, nuit et jour, je cherche en vain le moyen de me venger, de le faire souffrir à son tour. Je l'ai trouvé maintenant. Je l'ai trouvé, ce moyen.
Lorsque vint la nuit, son agitation ne fit que croître. Elle continua ses expériences; une bougie à la main elle se mit à parcourir sa maison de la cave au grenier, cachant des aiguilles, des épingles, des bobines de fil, des ciseaux sous les oreillers, sous les tapis, dans les fentes des murs, dans le coffre à charbon, puis elle envoya le petit Archy les chercher dans l'obscurité; il trouva tout, et semblait ravi des encouragements que lui prodiguait sa mère en le couvrant de caresses.
A partir de ce moment, la vie lui apparut sous un angle nouveau; l'avenir lui semblait assuré; elle n'avait plus qu'à attendre le jour de la vengeance et jouir de cette perspective. Tout ce qui avait perdu de l'intérêt à ses yeux se prit à renaître. Elle s'adonna de nouveau à la musique, aux langues, au dessin, à la peinture, et aux plaisirs de sa jeunesse si longtemps délaissés. De nouveau elle se sentait heureuse, et retrouvait un semblant de charme à l'existence. A mesure que son fils grandissait, elle surveillait ses progrès avec une joie indescriptible et un bonheur parfait.
Le cœur de cet enfant était plus ouvert à la douceur qu'à la dureté. C'était même à ses yeux son seul défaut. Mais elle sentait bien que son amour et son adoration pour elle auraient raison de cette prédisposition.
Pourvu qu'il sache haïr! C'était le principal; restait à savoir s'il serait aussi tenace et aussi ancré dans son ressentiment que dans son affection. Ceci était moins sûr.
Les années passaient. Archy était devenu un jeune homme élégant, bien campé, très fort à tous les exercices du corps; poli, bien élevé, de manières agréables il portait un peu plus de seize ans. Un soir, sa mère lui déclara qu'elle voulait aborder avec lui un sujet important, ajoutant qu'il était assez grand et raisonnable pour mener à bien un projet difficile qu'elle avait conçu et mûri pendant de longues années. Puis elle lui raconta sa lamentable histoire dans tous ses détails. Le jeune homme semblait terrorisé; mais, au bout d'un moment, il dit à sa mère :
– Je comprends maintenant; nous sommes des Sudistes; le caractère de son odieux crime ne comporte qu'une seule expiation possible. Je le chercherai, je le tuerai.
– Le tuer? Non. La mort est un repos, une délivrance; c'est un bienfait du ciel! il ne le mérite pas. Il ne faut pas toucher à un cheveu de sa tête !
Le jeune homme réfléchit un instant, puis reprit :
– Vous êtes tout pour moi, mère; votre volonté doit être la mienne; vos désirs sont impératifs pour moi. Dites-moi ce que je dois faire, je le ferai.
Les yeux de Mme Stillmann étincelaient de joie.
– Tu partiras à sa recherche, dit-elle. Depuis onze ans je connais le lieu de sa retraite; il m'a fallu cinq ans et plus pour le découvrir, sans compter l'argent que j'ai dû dépenser. Il est dans une situation aisée et exploite une mine au Colorado. Il habite Denver et s'appelle Jacob Fuller. Voilà. C'est la première fois que j'en parle depuis cette nuit inoubliable. Songe donc! ce nom aurait pu être le tien, si je ne t'avais épargné cette honte en t'en donnant un plus respectable. Tu l'arracheras à sa retraite, tu le traqueras, tu le poursuivras, et cela toujours sans relâche, ni trêve; tu empoisonneras son existence en lui causant des terreurs folles, des cauchemars angoissants, si bien qu'il préférera la mort et aura le courage de se suicider. Tu feras de lui un nouveau Juif errant; il faut qu'il ne connaisse plus un instant de repos et que, même en songe, son esprit soit persécuté par le remords. Sois donc son ombre, suis-le pas à pas, martyrise-le en te souvenant qu'il a été le bourreau de ta mère et de mon père.
– Mère, j'obéirai.
– J'ai confiance, mon fils. Tout est prêt, j'ai tout prévu pour ta mission. Voici une lettre de crédit, dépense largement; l'argent ne doit pas être compté. Tu auras besoin de déguisements sans doute et de beaucoup d'autres choses auxquelles j'ai pensé.
Elle tira du tiroir de sa table plusieurs carrés de papier portant les mots suivants écrits à la machine :
10.000 DOLLARS DE PRIME
« On croit qu'un certain individu qui séjourne ici est vivement recherché dans un État de l'Est.
« En 1880, pendant une nuit, il aurait attaché sa jeune femme à un arbre, près de la grand'route, et l'aurait cravachée avec une lanière de cuir; on assure qu'il a fait déchirer ses vêtements par ses chiens et l'a laissée toute nue au bord de la route. Il s'est ensuite enfui du pays. Un cousin de la malheureuse jeune femme a recherché le criminel pendant dix-sept ans (adresse… Poste restante). La prime de dix mille dollars sera payée comptant à la personne qui, dans un entretien particulier, indiquera au cousin de la victime la retraite du coupable. »
– Quand tu l'auras découvert et que tu seras sûr de bien tenir sa piste, tu iras au milieu de la nuit placarder une de ces affiches sur le bâtiment qu'il occupe; tu en poseras une autre sur un établissement important de la localité. Cette histoire deviendra la fable du pays. Tout d'abord, il faudra par un moyen quelconque, que tu le forces à vendre une partie de ce qui lui appartient: nous y arriverons peu à peu, nous l'appauvrirons graduellement, car si nous le ruinions d'un seul coup, il pourrait, dans un accès de désespoir chercher à se tuer.
Elle prit dans le tiroir quelques spécimens d'affiches différentes, toutes écrites à la machine, et en lut une :
« A Jacob Fuller… Vous avez… jours pour régler vos affaires. Vous ne serez ni tourmenté ni dérangé pendant ce temps qui expirera à… heures du matin le… 18… A ce moment précis il vous faudra déménager. Si vous êtes encore ici à l'heure que je vous fixe comme dernière limite, j'afficherai votre histoire sur tous les murs de cette localité, je ferai connaître votre crime dans tous ses détails, en précisant les dates et tous les noms, à commencer par le vôtre. Ne craignez plus aucune vengeance physique; dans aucun cas, vous n'aurez à redouter une agression. Vous avez été infâme pour un vieillard, vous lui avez torturé le cœur. Ce qu'il a souffert, vous le souffrirez à votre tour. »
– Tu n'ajouteras aucune signature. Il faut qu'il reçoive ce message à son réveil, de bonne heure, avant qu'il connaisse la prime promise, sans cela, il pourrait perdre la tête et fuir sans emporter un sou.
– Je n'oublierai rien.
– Tu n'auras sans doute besoin d'employer ces affiches qu'au début; peut-être même une seule suffira. Ensuite, lorsqu'il sera sur le point de quitter un endroit, arrange-toi pour qu'il reçoive un extrait du message commençant par ces mots: « Il faut déménager, vous avez… jours. » Il obéira, c'est certain.
III
EXTRAITS