La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

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Название La San-Felice, Tome 02
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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du bien, et vous m'eussiez sauvé si j'avais pu l'être; seulement, dépêchez-vous, je sens que je m'affaiblis; demandez-moi vite ce que vous désirez savoir, la langue s'embarbouille; c'est ce que nous appelons le commencement de la fin.

      – Je serai bref. Ce jeune homme que Pasquale de Simone attendait pour l'assassiner, n'était-ce pas un jeune officier français?

      – Il paraît que oui, quoiqu'il parlât le napolitain comme vous et moi.

      – Est-il mort?

      – Je ne saurais vous l'affirmer; mais ce que je puis vous dire, c'est que, s'il n'est pas mort, il est au moins bien malade.

      – Vous l'avez vu tomber?

      – Oui, mais mal vu: j'étais déjà à terre, et, dans ce moment-là, je m'occupais plus de moi que de lui.

      – Enfin, qu'avez-vous vu? Rappelez tous vos souvenirs: j'ai le plus grand intérêt à savoir ce qu'est devenu ce jeune homme.

      – Eh bien, j'ai vu qu'il est tombé contre la porte du jardin au palmier, et puis alors, comme à travers un nuage, il m'a semblé que la porte du jardin s'ouvrait et qu'une femme vêtue de blanc attirait à elle ce jeune homme. Après cela, il est possible que ce soit une vision, et que ce que j'ai pris pour une femme vêtue de blanc, ce fût l'ange de la mort qui venait chercher son âme.

      – Et ensuite, vous n'avez plus rien vu?

      – Si fait. J'ai vu le beccaïo qui s'enfuyait en tenant sa tête entre ses mains; il était tout aveuglé par le sang.

      – Merci, mon ami; je sais maintenant tout ce que je voulais savoir; d'ailleurs, il me semble que j'entends…

      Cirillo prêta l'oreille.

      – Oui, le prêtre et sa sonnette. Oh! j'ai entendu aussi… Quand cette sonnette-là vient pour vous, on l'entend de loin!

      Il se fit un instant de silence, pendant lequel la sonnette se rapprocha de plus en plus.

      – Ainsi, dit le sbire à Cirillo, c'est bien fini, n'est-ce pas? il ne s'agit plus de songer aux choses de ce monde?

      – Vous m'avez prouvé que vous étiez un homme; je vous parlerai comme à un homme: vous avez le temps de vous réconcilier avec Dieu, et voilà tout.

      – Amen! fit le sbire. Et, maintenant, une dernière cuillerée de votre cordial, afin que j'aie la force d'aller jusqu'au bout; car je me sens bien bas.

      Cirillo fit ce que lui demandait le blessé.

      – Maintenant, serrez-moi la main bien fort.

      Cirillo lui serra la main.

      – Plus fort, dit le sbire, je ne vous sens pas.

      Cirillo serra de toutes ses forces la main du mourant, déjà paralysée.

      – Puis faites sur moi le signe de la croix. Dieu m'est témoin que je voudrais le faire moi-même, mais que je ne puis.

      Cirillo fit le signe de la croix, et le blessé, d'une voix qui s'affaiblissait de plus en plus, prononça les paroles: Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi-soit-il!

      En ce moment, le prêtre parut sur la porte, précédé de l'enfant qui l'était allé chercher; il avait à sa gauche la croix, à sa droite l'eau bénite, et lui-même portait le saint viatique.

      A sa vue, tout le monde tomba à genoux.

      – On m'a appelé ici? demanda-t-il.

      – Oui, mon père, dit le moribond; un pauvre pécheur est sur le point de rendre l'âme, si toutefois il en a une, et, dans cette rude opération, il désire que vous l'aidiez de vos prières, n'osant vous demander votre bénédiction, dont il se reconnaît indigne.

      – Ma bénédiction est à tous, mon fils, répondit le prêtre, et plus grand est le pécheur, plus il en a besoin.

      Il approcha une chaise du chevet du lit et s'assit, le ciboire entre ses deux mains et l'oreille près de la bouche du mourant.

      Cirillo n'avait plus rien à faire près de cet homme, dont il avait, autant qu'il était en son pouvoir, adouci matériellement la dernière heure; le médecin avait achevé son oeuvre, c'était au prêtre de commencer la sienne; il se glissa hors de la maison, ayant hâte de visiter le lieu de la lutte et de s'assurer que le sbire lui avait dit la vérité à l'endroit de Salvato Palmieri.

      On sait quelles étaient les localités. Au palmier balançant sa tête élégante au-dessus des orangers et des citronniers, Cirillo reconnut la maison du chevalier San-Felice.

      Le sbire avait bien désigné le terrain. Cirillo alla droit à la petite porte du jardin, par laquelle celui-ci avait vu ou cru voir disparaître le blessé; il s'inclina contre cette porte et crut y reconnaître effectivement des traces de sang.

      Mais cette tache noire était-elle du sang ou seulement de l'humidité? Cirillo avait laissé son mouchoir aux mains de la femme qui avait lavé la blessure du sbire; il détacha sa cravate, en mouilla un bout à la fontaine du Lion, puis revint en frotter cette portion de bois, qui paraissait de teinte plus foncée que le reste.

      A quelques pas de là, en remontant vers le palais de la reine Jeanne, une lanterne brûlait devant une madone.

      Cirillo monta sur une borne et approcha la batiste de la lanterne.

      Il n'y avait pas à s'y tromper, c'était bien du sang.

      – Salvato Palmieri est là, dit-il en étendant le bras vers la maison du chevalier San-Felice; seulement, est-il mort ou est-il vivant? C'est ce que je saurai aujourd'hui même.

      Il traversa la place et repassa devant la maison où l'on avait porté le sbire.

      Il jeta un coup d'oeil dans l'intérieur.

      Le blessé venait d'expirer, et don Michelangelo Ciccone priait à son chevet.

      Au moment où Dominique Cirillo rentrait chez lui, trois heures sonnaient à l'église de Pie-di-Grotta.

      XXII

      LE CONSEIL D'ÉTAT

      Outre les séances qui se tenaient chez la reine, dans cette chambre obscure où nous avons introduit nos lecteurs, et que l'on eût pu à bon droit prendre pour des séances de l'inquisition, il y avait chaque semaine, au palais, quatre conseils ordinaires: le lundi, le mercredi, le jeudi et le vendredi.

      Les personnes qui composaient ces conseils d'État étaient:

      Le roi, lorsqu'il y était forcé par l'importance des affaires;

      La reine, dont nous avons expliqué le droit de présence;

      Le capitaine général Jean Acton, président du conseil;

      Le prince de Castel-Cicala, ministre des affaires étrangères, marine, commerce, et espion dénonciateur et juge dans ses moment perdus;

      Le brigadier Jean-Baptiste Ariola, ministre de la guerre, homme intelligent et comparativement honnête;

      Le marquis Saverio Simonetti, ministre de grâce et justice.

      Le marquis Ferdinand Corradino, ministre des cultes et des finances, qui eût été le plus médiocre de tous les ministres, s'il n'eût rencontré au conseil Saverio Simonetti, encore plus médiocre que lui.

      Dans les grandes occasions, on adjoignait à ces messieurs, le marquis de la Sambucca, le prince Carini, le duc de San-Nicolo, le marquis Balthazar Cito, le marquis del Gallo et les généraux Pignatelli, Colli et Parisi.

      Tout au contraire du roi, qui assistait à l'un de ces conseils sur dix, la reine y était fort assidue; il est vrai que souvent elle semblait simple spectatrice de la discussion, se tenant éloignée de la table et assise dans quelque coin ou quelque embrasure de fenêtre avec sa favorite Emma Lyonna, qu'elle avait introduite dans la salle des séances comme une chose à elle et étant de sa suite obligée, sans plus d'importance apparente que n'en avait, derrière Ferdinand, Jupiter, son épagneul favori.

      Chacun jouait sa comédie: les ministres avaient l'air