Название | La San-Felice, Tome 02 |
---|---|
Автор произведения | Dumas Alexandre |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Le capitaine général Jean Acton, seul pilote chargé de la responsabilité de ce navire battu par le vent révolutionnaire qui venait de France, et engagé, en outre, dans les récifs de cette mer dangereuse des sirènes, où sombrèrent en six siècles huit dominations différentes; Acton, le front plissé, l'oeil sombre, la main frémissante comme s'il eût en effet touché le gouvernail, semblait seul comprendre la gravité de sa situation et l'approche du danger.
Appuyée sur la flotte anglaise, à peu près sûre du concours du Nelson, forte surtout de sa haine contre la France, la reine était décidée non-seulement à affronter le danger, mais encore à aller au-devant de lui et à le provoquer.
Quant à Ferdinand, c'était tout le contraire; il avait jusqu'alors, avec toutes les ressources de sa feinte bonhomie, louvoyé, de manière sinon à satisfaire la France, au moins à ne lui fournir aucun moyen spécieux de se brouiller avec lui.
Et voilà que, grâce aux imprudences de Caroline, les événements avaient marché plus vite que ne l'avait calculé le roi, lequel, au lieu de leur imprimer un mouvement impulsif, eût voulu les laisser se dérouler avec une sage lenteur; voilà qu'on avait été, comme nous l'avons vu, au-devant de Nelson; voilà qu'au mépris des traités conclus avec la France, on avait reçu la flotte anglaise dans le port de Naples; voilà qu'on avait donné une fête splendide au vainqueur d'Aboukir; voilà que l'ambassadeur de la République, lassé de tant de mauvaise foi, de tant de mensonges et de tant d'affronts, sans calculer si de son côté la France était prête, avait, au nom de la France, déclaré la guerre au gouvernement des Deux-Siciles; voilà enfin que le roi, qui avait, pour le mardi 27 septembre, ordonné une magnifique chasse, dont trois fanfares devaient lui donner le signal, avait, comme nous l'avons vu, par suite de la lettre de la reine, décommandé sa chasse et été obligé de la convertir en conseil d'État!
Au reste, ministres et conseillers avaient été prévenus par Acton de la mauvaise humeur probable de Sa Majesté, et invités à se renfermer dans le silence pythagoricien.
La reine était arrivée la première au conseil, et, outre les ministres et les conseillers, elle y avait trouvé le cardinal Ruffo; elle lui avait alors fait demander à quelle circonstance heureuse elle devait le plaisir de sa présence; Ruffo avait répondu qu'il était là par ordre exprès du roi; la reine et le cardinal avaient échangé, l'une une légère inclination de tête, l'autre une profonde révérence, et l'on avait silencieusement attendu l'arrivée du roi.
A neuf heures un quart, la porte s'était ouverte à deux battants, et les huissiers avaient annoncé:
– Le roi!
Ferdinand était entré doublement mécontent et faisant opposition, par son air maussade et rechigné, à l'air joyeux et vainqueur de la reine; son épagneul Jupiter, avec lequel nous avons déjà fait connaissance, ne le cédant point en intelligence aux coursiers d'Hippolyte, le suivait, la tête basse et la queue entre les jambes. Quoique la chasse eût été renvoyée à un autre jour, le roi, comme pour protester contre la violence qui lui était faite, s'était vêtu en chasseur.
C'était une consolation qu'il s'était donnée et qu'apprécieront ceux-là seuls qui connaissent son fanatisme pour l'amusement dont on l'avait privé.
A sa vue, tout le monde se leva, même la reine.
Ferdinand la regarda de côté, secoua la tête et poussa un soupir, comme ferait un homme qui se trouve en face de la pierre d'achoppement de tous ses plaisirs.
Puis, après un salut général à droite et à gauche, en réponse aux révérences des ministres et des conseillers, et un salut personnel et particulier au cardinal Ruffo:
– Messieurs, dit-il d'une voix dolente, je suis véritablement au désespoir d'avoir été forcé de vous déranger un jour où vous comptiez peut-être, comme moi, au lieu de tenir un conseil d'État, vous occuper de vos plaisirs ou de vos affaires. Ce n'est point ma faute, je vous le jure, si vous éprouvez ce désappointement; mais il paraît que nous avons à débattre des choses pressées et de la plus haute importance, choses que la reine prétend ne pouvoir être débattues que par-devant moi. Sa Majesté va vous raconter l'affaire; vous en jugerez et m'éclairerez de vos avis. Asseyez-vous, messieurs.
Puis, s'asseyant à son tour un peu en arrière des autres et en face de la reine:
– Viens ici, mon pauvre Jupiter, ajouta-t-il en frappant sur sa cuisse avec sa main; nous allons bien nous amuser; va!
Le chien vint, en bâillant, se coucher près de lui, allongeant ses pattes et se tenant accroupi à la manière des sphinx.
– Oh! messieurs, dit la reine avec cette impatience que lui inspiraient toujours les manières de faire et de dire de son mari, si complétement en opposition avec les siennes, la chose est bien simple, et, s'il était en humeur de parler aujourd'hui, le roi nous la dirait en deux mots.
Et, voyant que tout le monde écoutait avec la plus grande attention:
– L'ambassadeur français, le citoyen Garat, ajouta-t-elle, a quitté Naples cette nuit en nous déclarant la guerre.
– Et, fit le roi, il faut ajouter, messieurs, que nous ne l'avons pas volée, cette déclaration de guerre, et notre bonne amie l'Angleterre en est arrivée à ses fins; reste à voir maintenant comment elle nous soutiendra. Ceci, c'est l'affaire de M. Acton.
– Et du brave Nelson, monsieur, dit la reine. Au reste, il vient de montrer à Aboukir ce que peut le génie réuni au courage.
– N'importe, madame, dit le roi, je n'hésite pas à vous le dire franchement, la guerre avec la France est une lourde affaire.
– Moins lourde cependant, vous en conviendrez, reprit aigrement la reine, depuis que le citoyen Buonaparte, tout vainqueur de Dego, de Montenotte, d'Arcole et de Mantoue qu'il s'intitule, est confiné en Égypte, où il restera jusqu'à ce que la France ait construit une nouvelle flotte pour l'aller chercher; ce qui lui laissera le temps, je l'espère, de voir pousser les raves dont le Directoire lui a fourni les graines pour ensemencer les rives du Nil.
– Oui, répliqua non moins aigrement le roi; mais, à défaut du citoyen Buonaparte, – qui est bien bon de ne s'intituler que le vainqueur de Dego, de Montenotte, d'Arcole et de Mantoue, quand il pourrait s'intituler encore celui de Roveredo, de Bassano, de Castiglione et de Millesimo, – il reste à la France Masséna, le vainqueur de Rivoli; Bernadotte, le vainqueur du Tagliamento; Augereau, le vainqueur de Lodi; Jourdan, le vainqueur de Fleurus; Brune, le vainqueur d'Alkmaer; Moreau, le vainqueur de Radstadt; ce qui fait bien des vainqueurs pour nous qui n'avons jamais rien vaincu; sans compter Championnet, le vainqueur des Dunes, que j'oubliais, lequel, je vous le ferai observer en passant, n'est qu'à trente lieues de nous, c'est-à-dire à trois jours de marche.
La reine haussa les épaules avec un sourire de mépris qui s'adressait à Championnet, dont elle connaissait l'impuissance momentanée, et que le roi prit pour lui.
– Si je me trompe de deux ou trois lieues, madame, dit-il, c'est tout. Depuis que les Français occupent Rome, j'ai demandé assez souvent à quelle distance ils étaient de nous pour le savoir.
– Oh! je ne conteste pas vos connaissances en géographie, monsieur, dit la reine en laissant retomber sa lèvre autrichienne jusque sur son menton.
– Non, je comprends, vous vous contentez de contester mes aptitudes politiques; mais, quoique San-Nicandro ait travaillé de son mieux à faire de moi un âne, et qu'à votre avis il y ait malheureusement réussi, je ferai observer à ces messieurs qui ont l'honneur d'être mes ministres que la chose se complique. En effet, il ne s'agit plus d'envoyer, comme en 1793, trois ou quatre vaisseaux et cinq ou six mille hommes à Toulon; et ils en sont revenus dans un bel état, de Toulon, nos vaisseaux et nos hommes! le citoyen Buonaparte, quoiqu'il ne fût encore le vainqueur de rien, les avait bien arrangés! Il ne s'agit plus de fournir à la coalition, comme en 1796, quatre régiments