Le Chevalier de Maison-Rouge. Dumas Alexandre

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Название Le Chevalier de Maison-Rouge
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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en dépendent; pour que je ne fusse point mêlée aux ouvriers, pour m'épargner jusqu'à la vue de choses qui eussent pu blesser mes habitudes, comme vous le disiez, Maurice, un peu aristocratiques, il me donna ce pavillon, où je vis seule, retirée, selon mes goûts, selon mes désirs, et heureuse, quand un ami comme vous, Maurice, vient distraire ou partager mes rêveries.

      Et Geneviève tendit à Maurice une main que celui-ci baisa avec ardeur. Geneviève rougit légèrement.

      – Maintenant, mon ami, dit-elle en retirant sa main, vous savez comment je suis la femme de M. Dixmer.

      – Oui, reprit Maurice en regardant fixement Geneviève; mais vous ne me dites point comment M. Morand est devenu l'associé de M. Dixmer.

      – Oh! c'est bien simple, dit Geneviève. M. Dixmer, comme je vous l'ai dit, avait quelque fortune, mais point assez, cependant, pour prendre à lui seul une fabrique de l'importance de celle-ci. Le fils de M. Morand, son protecteur, comme je vous l'ai dit, cet ami de mon père, comme vous vous le rappelez, a fait la moitié des fonds; et, comme il avait des connaissances en chimie, il s'est adonné à l'exploitation avec cette activité que vous avez remarquée, et grâce à laquelle le commerce de M. Dixmer, chargé par lui de toute la partie matérielle, a pris une immense extension.

      – Et, dit Maurice, M. Morand est aussi un de vos bons amis, n'est-ce pas, madame?

      – M. Morand est une noble nature, un des cœurs les plus élevés qui soient sous le ciel, répondit gravement Geneviève.

      – S'il ne vous en a donné d'autres preuves, dit Maurice un peu piqué de cette importance que la jeune femme accordait à l'associé de son mari, que de partager les frais d'établissement avec M. Dixmer, et d'inventer une nouvelle teinture pour le maroquin, permettez-moi de vous faire observer que l'éloge que vous faites de lui est bien pompeux.

      – Il m'en a donné d'autres preuves, monsieur, dit Geneviève.

      – Mais il est encore jeune, n'est-ce pas? demanda Maurice, quoiqu'il soit difficile, grâce à ses lunettes vertes, de dire quel âge il a.

      – Il a trente-cinq ans.

      – Vous vous connaissez depuis longtemps?

      – Depuis notre enfance.

      Maurice se mordit les lèvres. Il avait toujours soupçonné Morand d'aimer Geneviève.

      – Ah! dit Maurice, cela explique sa familiarité avec vous.

      – Contenue dans les bornes où vous l'avez toujours vue, monsieur, répondit en souriant Geneviève, il me semble que cette familiarité, qui est à peine celle d'un ami, n'avait pas besoin d'explication.

      – Oh! pardon, madame, dit Maurice, vous savez que toutes les affections vives ont leurs jalousies, et mon amitié était jalouse de celle que vous paraissez avoir pour M. Morand.

      Il se tut. Geneviève, de son côté, garda le silence. Il ne fut plus question, ce jour-là, de Morand, et Maurice quitta cette fois Geneviève plus amoureux que jamais, car il était jaloux.

      Puis, si aveugle que fût le jeune homme, quelque bandeau sur les yeux, quelque trouble dans son cœur que lui mît sa passion, il y avait dans le récit de Geneviève bien les larmes, bien des hésitations, bien des réticences auxquelles il n'avait point fait attention dans le moment, mais qui, alors, lui revenaient à l'esprit, et qui le tourmentaient étrangement, et contre lesquelles ne pouvaient le rassurer la grande liberté que lui laissait Dixmer de causer avec Geneviève autant de fois et aussi longtemps qu'il lui plaisait, et l'espèce de solitude où tous deux se trouvaient chaque soir. Il y avait plus: Maurice, devenu le commensal de la maison, non seulement restait en toute sécurité avec Geneviève, qui semblait, d'ailleurs, gardée contre les désirs du jeune homme par sa pureté d'ange, mais encore il l'escortait dans les petites courses qu'elle était obligée, de temps en temps de faire dans le quartier.

      Au milieu de cette familiarité acquise dans la maison, une chose l'étonnait, c'était que plus il cherchait, peut-être, il est vrai, pour être à même de mieux surveiller les sentiments qu'il lui croyait pour Geneviève, c'est que plus il cherchait, disons-nous, à lier connaissance avec Morand, dont l'esprit, malgré ses préventions, le séduisait, dont les manières élevées le captivaient chaque jour davantage, plus cet homme bizarre semblait affecter de chercher à s'éloigner de Maurice. Celui-ci s'en plaignait amèrement à Geneviève, car il ne doutait pas que Morand n'eût deviné en lui un rival et que ce ne fût, de son côté, la jalousie qui l'éloignât de lui.

      – Le citoyen Morand me hait, dit-il un jour à Geneviève.

      – Vous? dit Geneviève en le regardant avec son bel œil étonné; vous, M. Morand vous hait?

      – Oui, j'en suis sûr.

      – Et pourquoi vous haïrait-il?

      – Voulez-vous que je vous le dise? s'écria Maurice.

      – Sans doute, reprit Geneviève.

      – Eh bien, parce que je…

      Maurice s'arrêta. Il allait dire: «Parce que je vous aime.»

      – Je ne puis vous dire pourquoi, reprit Maurice en rougissant. Le farouche républicain, près de Geneviève, était timide et hésitant comme une jeune fille. Geneviève sourit.

      – Dites, reprit-elle, qu'il n'y a pas de sympathie entre vous, et je vous croirai peut-être. Vous êtes une nature ardente, un esprit brillant, un homme recherché; Morand est un marchand greffé sur un chimiste. Il est timide, il est modeste… et c'est cette timidité et cette modestie qui l'empêchent de faire le premier pas au-devant de vous.

      – Eh! qui lui demande de faire le premier pas au-devant de moi? J'en ai fait cinquante, moi, au-devant de lui; il ne m'a jamais répondu. Non, continua Maurice en secouant la tête; non, ce n'est certes point cela.

      – Eh bien, qu'est-ce alors?

      Maurice préféra se taire.

      Le lendemain du jour où il avait eu cette explication avec Geneviève, il arriva chez elle à deux heures de l'après-midi; il la trouva en toilette de sortie.

      – Ah! soyez le bienvenu, dit Geneviève, vous allez me servir de chevalier.

      – Et où allez-vous donc? demanda Maurice.

      – Je vais à Auteuil. Il fait un temps délicieux. Je désirerais marcher un peu à pied; notre voiture nous conduira jusqu'au delà de la barrière, où nous la retrouverons, puis nous gagnerons Auteuil en nous promenant, et, quand j'aurai fini ce que j'ai à faire à Auteuil, nous reviendrons la prendre.

      – Oh! dit Maurice enchanté, l'excellente journée que vous m'offrez là!

      Les deux jeunes gens partirent. Au delà de Passy, la voiture les descendit sur la route. Ils sautèrent légèrement sur le revers du chemin et continuèrent leur promenade à pied.

      En arrivant à Auteuil, Geneviève s'arrêta.

      – Attendez-moi au bord du parc, dit-elle, j'irai vous rejoindre quand j'aurai fini.

      – Chez qui allez-vous donc? demanda Maurice.

      – Chez une amie.

      – Où je ne puis vous accompagner? Geneviève secoua la tête en souriant.

      – Impossible, dit-elle. Maurice se mordit les lèvres.

      – C'est bien, dit-il, j'attendrai.

      – Eh! quoi? demanda Geneviève.

      – Rien, répondit Maurice. Serez-vous longtemps?

      – Si j'avais cru vous déranger, Maurice, si j'avais su que votre journée fût prise, dit Geneviève, je ne vous eusse point prié de me rendre le petit service de venir avec moi, je me fusse fait accompagner par…

      – Par M. Morand? interrogea vivement Maurice.

      – Non point. Vous savez que M. Morand est à la fabrique de Rambouillet et ne doit revenir que ce soir.

      – Alors,