Название | Monsieur de Camors — Complet |
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Автор произведения | Feuillet Octave |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
— Fait-il beau ce matin? reprit la voix.
— Très beau... tu vas bien?
— Je ne sais pas... J'ai trop dormi, je crois.
Elle ouvrit la persienne, en poussa les volets, et, voilant d'une main ses yeux éblouis par le jour, elle parut sur le balcon. C'était une femme dans la fleur de la jeunesse, élancée, souple, gracieuse, et qui paraissait plus grande qu'elle n'était dans l'ampleur flottante de sa robe de chambre bleue. Des bandelettes de la même nuance s'entrelaçaient à la grecque dans ses cheveux châtains, que la nature, l'art et la nuit avaient chiffonnés, crêpés et bouclés à l'envi sur sa tête mignonne. Elle s'accouda sur le balcon, bâilla en montrant toutes ses dents, et, regardant son mari:
— Pourquoi as-tu l'air bête? lui dit-elle.
Tout à coup elle aperçut Camors, que l'intérêt du moment avait à demi tiré de son abri: elle eut un petit cri farouche, rassembla ses jupes à la diable et se sauva dans la chambre.
Louis de Camors, depuis le collège jusqu'à cette heure, ne s'était pas fait une grande idée de la Juliette qui avait le vieux Lescande pour Roméo. Il éprouva donc une surprise agréable en reconnaissant que son ami était plus heureux à cet égard qu'il ne l'avait présumé.
— Je vais être grondé, mon ami, dit Lescande en riant de tout son cœur, et toi aussi... car tu restes à déjeuner avec nous, n'est-ce pas?
Camors parut hésiter, puis brusquement:
— Non... non... impossible, mon ami... J'oubliais... je suis attendu.
Il voulut partir, mais Lescande le retint jusqu'à ce qu'il en eût eu obtenu la promesse de venir dîner le mardi suivant en famille, c'est-à-dire avec lui, sa femme et sa belle-mère, madame Mursois.
Cette invitation laissa un nuage sur l'esprit de Camors jusqu'au jour fixé. Outre qu'il n'aimait pas les dîners de famille, il se souvenait plus qu'il n'eût voulu de la scène du balcon. La bonhomie indiscrète de Lescande l'irritait et le touchait à la fois. Il se sentait appelé à jouer un sot rôle près de cette jolie femme, qu'il pressentait coquette, et que ses souvenirs d'enfance et d'honneur lui rendaient sacrée. Bref, il était d'humeur assez maussade quand il descendit de son dog-cart, le mardi soir, devant la petite villa de l'avenue Maillot.
L'accueil de madame Lescande et de sa mère lui remit un peu le cœur. Elles lui parurent être ce qu'elles étaient en effet, deux honnêtes personnes pleines d'aisance et de distinction. La mère avait été belle, elle avait été veuve de bonne heure; il n'y avait pas une tache dans sa vie. Une sorte de délicatesse exquise lui tenait lieu des principes solides que le siècle ne comporte guère. De même que beaucoup de femmes du monde, elle avait le goût de la vertu, comme l'hermine a le goût de la blancheur. Le vice lui répugnait moins comme un mal que comme une souillure. Sa fille avait reçu d'elle ces instincts de chasteté élégante qui se cachent plus souvent qu'on ne le croit sous les vives apparences des mondaines.
Ces deux aimables femmes avaient cependant un travers fâcheux qui leur était commun avec beaucoup de Parisiennes de leur temps et de leur condition. Malgré beaucoup d'esprit, elles se pâmaient d'une admiration bourgeoise devant cette aristocratie plus ou moins pure qu'on voit étaler tour à tour dans l'avenue des Champs-Élysées, dans les théâtres, sur les champs de course, sur les plages célèbres, sa frivolité affairée et ses vanités rivales; malgré beaucoup d'honnêteté, elles se montraient friandes jusqu'au scandale des aventures les plus équivoques qui pouvaient éclater dans cette région d'élite. C'était leur bonheur et leur gloire de connaître par le menu les moindres détails de la haute vie parisienne, d'en suivre les fêtes, d'en parler l'argot, d'en copier les toilettes, d'en distinguer les livrées. De la sorte, si elles n'étaient pas la rose, elles vivaient près d'elle, elles s'imprégnaient de ses parfums et de ses couleurs, et une telle familiarité les rehaussait singulièrement dans leur propre estime et dans l'estime de leurs amies.
Camors, sans occuper encore dans l'olympe de la mode le rang qu'il devait tenir un jour, y pouvait déjà passer pour un demi-dieu, et, à ce titre, il inspirait à madame Lescande et à sa mère un sentiment de curiosité ardente. Son ancienne liaison avec Lescande avait, d'ailleurs, attaché sur lui leur intérêt particulier. Elles savaient le nom de ses chevaux; peut-être savaient-elles le nom de ses maîtresses. Il fallut tout leur bon goût naturel pour dissimuler à leur hôte la secrète agitation de leurs nerfs en sa sainte présence. Elles y réussirent pourtant si bien, que Camors en fut piqué. Sans être fat, il était jeune. Il était habitué à plaire. Il savait que la princesse de Clam-Goritz lui avait récemment appliqué sa profonde définition de l'homme aimable. «Il est aimable, car on se sent toujours en danger près de lui.» Il lui parut conséquemment un peu anormal que la simple belle-mère et la simple femme du simple Lescande supportassent son rayonnement avec autant de calme. Cela le fit sortir de sa réserve préméditée. Il se mit en frais de coquetterie, non pour madame Lescande, qu'il s'était juré de respecter, mais pour madame Mursois, et il déploya tout le soir autour de la mère des grâces qui charmèrent la fille. Lescande cependant, la bouche ouverte jusqu'au gosier, triomphait du succès de son camarade.
Le lendemain dans l'après-midi, Camors revint de sa promenade au Bois par l'avenue Maillot. Madame Lescande travaillait par hasard sur son balcon, et lui rendit son salut par-dessus sa tapisserie. Il remarqua qu'elle saluait bien, par un léger plongeon suivi d'un petit coup d'épaules distingué.
Quand il vint lui faire visite, deux ou trois jours après, comme c'était son devoir, il avait réfléchi; il fut résolument glacial, et ne parla à madame Lescande que des vertus de son mari. Cela fut d'un effet malheureux, car la jeune femme, qui avait réfléchi de son côté, dont l'honnêteté était éveillée, et qu'une poursuite insolente n'eût pas manqué d'effaroucher, se rassura; elle s'abandonna sans défiance au plaisir et à la fierté de voir et de faire voir dans son salon une des principales étoiles du ciel de ses rêves.
On était alors en mai, et il y avait des courses à la Marche le dimanche suivant. Camors y devait courir de sa personne. Madame Mursois et sa fille y entraînèrent Lescande. Camors combla leurs vœux en les faisant pénétrer dans l'enceinte du pesage. Il les promena en outre devant les tribunes. Madame Mursois, à laquelle il donnait le bras et qui n'avait jamais eu l'avantage d'être menée en public par un cavalier revêtu d'une casaque orange et chaussé de bottes à revers, madame Mursois nageait dans l'azur. Lescande et sa femme la suivaient en partageant son délire.
Ces agréables relations continuèrent pendant quelques semaines sans paraître changer de caractère. Un jour, Camors venait s'asseoir auprès de ces dames devant le palais de l'Exposition, et achevait de les initier aux élégances qui défilaient sous leurs yeux. Un soir, il entrait dans leur loge, daignait y séjourner pendant un acte ou deux, et rectifiait leurs notions encore incomplètes sur les mœurs du corps de ballet. Dans ces diverses rencontres, le jeune homme affectait à l'égard de madame Lescande le langage d'une bonne intimité fraternelle, peut-être parce qu'il persistait sincèrement dans ses résolutions délicates, peut-être parce qu'il n'ignorait pas que tout chemin mène à Rome, et celui-là aussi sûrement qu'un autre. Madame Lescande cependant se rassurait de plus en plus, et, voyant quelle n'avait pas à se défendre comme elle l'avait d'abord appréhendé, elle crut pouvoir se permettre une légère offensive. Aucune femme n'est flattée qu'on l'aime comme une sœur. Camors, un peu inquiet de la tournure que prenaient les choses, fit quelques efforts pour en arrêter le cours; mais les hommes exercés à l'escrime ont beau vouloir ménager leur adversaire, l'habitude est plus forte, ils ripostent malgré eux. De plus, il commençait à s'éprendre sérieusement de madame Lescande et de sa mine de jeune chatte à la fois fine et naïve, curieuse et effrayée, provocante et craintive, bref charmante.
Ce fut dans la soirée même où M. de Camors le père rentra chez lui pour se tuer que son fils, passant dans l'avenue Maillot, fut arrêté par Lescande sur le seuil de la villa.
— Mon ami, lui dit Lescande, puisque te voilà, fais-moi un grand plaisir: une dépêche me mande à Melun;