Название | Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 2 |
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Автор произведения | Gustave Flaubert |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Alors, s'avançant avec de grandes précautions, ils palpèrent la muraille pour trouver une issue. Mais leurs pieds glissaient; ils tombaient dans les vasques profondes. Ils avaient à remonter, puis ils retombaient encore; et ils sentaient une épouvantable fatigue, comme si leurs membres en nageant se fussent dissous dans l'eau. Leurs yeux se fermèrent; ils agonisaient.
Spendius se frappa la main contre les barreaux d'une grille. Ils la secouèrent, elle céda, et ils se trouvèrent sur les marches d'un escalier. Une porte de bronze le fermait en haut. Avec la pointe d'un poignard, ils écartèrent la barre que l'on ouvrait du dehors; tout à coup le grand air pur les enveloppa.
La nuit était pleine de silence, et le ciel avait une hauteur démesurée. Des bouquets d'arbres débordaient sur les longues lignes des murs. La ville entière dormait. Les feux des avant-postes brillaient comme des étoiles perdues.
Spendius, qui avait passé trois ans dans l'ergastule, connaissait imparfaitement les quartiers. Mâtho conjectura que, pour se rendre au palais d'Hamilcar, ils devaient prendre sur la gauche, en traversant les Mappales.
« – Non, – dit Spendius, conduis-moi au temple de Tanit.»
Mâtho voulut parler.
« – Rappelle-toi!» fit l'ancien esclave; et, levant son bras, il lui montra la planète de Chabar qui resplendissait.
Mâtho se tourna silencieusement vers l'Acropole.
Ils rampaient le long des clôtures de nopals qui bordaient les sentiers. L'eau coulait de leurs membres sur la poussière. Leurs sandales humides ne faisaient aucun bruit; Spendius, avec ses yeux plus flamboyants que des torches, à chaque pas fouillait les buissons; – et il marchait derrière Mâtho, les mains posées sur les deux poignards qu'il portait aux bras, tenus au-dessous de l'aisselle par un cercle de cuir.
V
TANIT
Quand ils furent sortis des jardins, ils se trouvèrent arrêtés par l'enceinte de Mégara. Mais ils découvrirent une brèche dans la haute muraille et passèrent.
Le terrain descendait, formant une sorte de vallon très large. C'était une place découverte.
« – Écoute, – dit Spendius, – et d'abord ne crains rien!.. j'exécuterai ma promesse…»
Il s'interrompit; il avait l'air de réfléchir, comme pour chercher ses paroles. – «Te rappelles-tu cette fois, au soleil levant, où, sur la terrasse de Salammbô, je t'ai montré Carthage? Nous étions forts ce jour-là, mais tu n'as voulu rien entendre!» Puis d'une voix grave: – «Maître, il y a dans le sanctuaire de Tanit un voile mystérieux, tombé du ciel, et qui recouvre la Déesse.
« – Je le sais», dit Mâtho.
Spendius reprit:
« – Il est divin lui-même, car il fait partie d'elle. Les dieux résident où se trouvent leurs simulacres. C'est parce que Carthage le possède, que Carthage est puissante.» Alors se penchant à son oreille: «Je t'ai emmené avec moi pour le ravir!»
Mâtho recula d'horreur.
« – Va-t'en! cherche quelque autre! Je ne veux pas t'aider dans cet exécrable forfait.
« – Mais Tanit est ton ennemie, répliqua Spendius: elle te persécute, et tu meurs de sa colère. Tu t'en vengeras. Elle t'obéira. Tu deviendras presque immortel et invincible.»
Mâtho baissa la tête; il continua:
« – Nous succomberions; l'armée d'elle-même s'anéantirait. Nous n'avons ni fuite à espérer, ni secours, ni pardon! Quel châtiment des Dieux peux-tu craindre, puisque tu vas avoir leur force dans les mains? Aimes-tu mieux périr le soir d'une défaite, misérablement, à l'abri d'un buisson, ou parmi l'outrage de la populace, dans la flamme des bûchers? Maître, un jour, tu entreras à Carthage, entre les collèges des pontifes, qui baiseront tes sandales; et si le voile de Tanit te pèse encore, tu le rétabliras dans son temple. Suis-moi! viens le prendre.»
Une envie terrible dévorait Mâtho. Il aurait voulu, en s'abstenant du sacrilège, posséder le voile. Il se disait que, peut-être, on n'aurait pas besoin de le prendre pour en accaparer la vertu. Il n'allait point jusqu'au fond de sa pensée, s'arrêtant sur la limite où elle l'épouvantait.
« – Marchons!» dit-il; et ils s'éloignèrent d'un pas rapide, côte à côte, sans parler.
Le terrain remonta, et les habitations se rapprochèrent. Ils tournaient dans les rues étroites, au milieu des ténèbres. Des lambeaux de sparterie fermant les portes battaient contre les murs. Sur une place, des chameaux ruminaient devant des tas d'herbes coupées. Puis ils passèrent sous une galerie que recouvraient des feuillages; un troupeau de chiens aboya. L'espace tout à coup s'élargit, et ils reconnurent la façade occidentale de l'Acropole. Au bas de Byrsa s'étalait une longue masse noire: c'était le temple de Tanit, ensemble de monuments et de jardins, de cours et d'avant-cours, bordé par un petit mur de pierres sèches. Spendius et Mâtho le franchirent.
Cette première enceinte renfermait un bois de platanes, par précaution contre la peste et l'infection de l'air. Çà et là étaient disséminées des tentes où l'on vendait pendant le jour des pâtes épilatoires, des parfums, des vêtements, des gâteaux en forme de lune, et des images de la Déesse avec des représentations du temple, creusées dans un bloc d'albâtre.
Ils n'avaient rien à craindre, car les nuits où l'astre ne paraissait pas on suspendait tous les rites; cependant Mâtho se ralentissait; il s'arrêta devant les trois marches d'ébène qui conduisaient à la seconde enceinte.
« – Avance!» dit Spendius.
Des grenadiers, des amandiers, des cyprès et des myrtes, immobiles comme des feuillages de bronze, alternaient régulièrement; le chemin, pavé de cailloux bleus, craquait sous les pas, et des roses épanouies pendaient en berceau sur toute la longueur de l'allée. Ils arrivèrent devant un trou ovale, abrité par une grille. Mâtho, que ce silence effrayait, dit à Spendius:
« – C'est ici qu'on mélange les eaux douces avec les eaux amères.»
« – J'ai vu tout cela – reprit l'ancien esclave – en Syrie, dans la ville de Maphug»; et, par un escalier de six marches d'argent, ils montèrent dans la troisième enceinte.
Un cèdre énorme en occupait le milieu. Ses branches les plus basses disparaissaient sous des bribes d'étoffes et des colliers qu'y avaient appendus les fidèles. Ils firent encore quelques pas, et la façade du temple se déploya.
Deux longs portiques, dont les architraves reposaient sur des piliers trapus, flanquaient une tour quadrangulaire, ornée à sa plate-forme par un croissant de lune. Sur les angles des portiques et aux quatre coins de la tour s'élevaient des vases pleins d'aromates allumés. Des grenades et des coloquintes chargeaient les chapiteaux. Des entrelacs, des losanges, des lignes de perles alternaient sur les murs, et une haie en filigrane d'argent formait un large demi-cercle devant l'escalier d'airain qui descendait du vestibule.
Il y avait à l'entrée, entre une stèle d'or et une stèle d'émeraude, un cône de pierre; Mâtho, en passant à côté, se baisa la main droite.
La première chambre était très haute; d'innombrables ouvertures perçaient sa voûte; en levant la tête on pouvait voir les étoiles. Tout autour de la muraille, dans des corbeilles de roseau, s'amoncelaient des barbes et des chevelures, prémices des adolescences; et, au milieu de l'appartement circulaire, le corps d'une femme sortait d'une gaine couverte de mamelles. Grasse, barbue et les paupières baissées, elle avait l'air de sourire, en croisant ses mains sur le bas de son gros ventre, – poli par les baisers de la foule.
Puis ils se retrouvèrent à l'air libre, dans un corridor transversal, où un autel de proportions