Название | Отец Горио. Книга для чиения на французском языке |
---|---|
Автор произведения | Оноре де Бальзак |
Жанр | Литература 19 века |
Серия | Чтение в оригинале (Каро) |
Издательство | Литература 19 века |
Год выпуска | 2005 |
isbn | 5-89815-656-9 |
– Oh! monsieur, dit Victorine en jetant un regard à la fois humide et brûlant à Vautrin, qui ne s’en émut pas, si vous saviez un moyen d’arriver à mon père, dites-lui bien que son affection et l’honneur de ma mère me sont plus précieux que toutes les richesses du monde. Si vous obteniez quelque adoucissement à sa rigueur, je prierais Dieu pour vous. Soyez sûr d’une reconnaissance.
– «J’ai longtemps parcouru le monde…», chanta Vautrin d’une voix ironique.
En ce moment, Goriot, mademoiselle Michonneau, Poiret descendirent, attirés peut-être par l’odeur du roux que faisait Sylvie pour accommoder les restes du mouton. A l’instant où les sept convives s’attablèrent en se souhaitant le bonjour, dix heures sonnèrent, l’on entendit dans la rue le pas de l’étudiant…
– Ah! bien, monsieur Eugène, dit Sylvie, aujourd’hui vous allez déjeuner avec tout le monde.
L’étudiant salua les pensionnaires, et s’assit auprès du père Goriot.
– Il vient de m’arriver une singulière aventure, dit-il en se servant abondamment du mouton et se coupant un morceau de pain que madame Vauquer mesurait toujours de l’œil.
– Une aventure! dit Poiret.
– Eh bien! pourquoi vous en étonneriez-vous, vieux chapeau? dit Vautrin à Poiret. Monsieur est bien fait pour en avoir.
Mademoiselle Taillefer coula timidement un regard sur le jeune étudiant.
– Dites-nous votre aventure, demanda madame Vauquer.
– Hier j’étais au bal chez madame la vicomtesse de Beauséant, une cousine à moi, qui possède une maison magnifique, des appartements habillés de soie, enfin qui nous a donné une fête superbe, où je me suis amusé comme un roi…
– Telet, dit Vautrin en interrompant net.
– Monsieur, reprit vivement Eugène, que voulez-vous dire?
– Je dis «telet», parce que les roitelets[12] s’amusent beaucoup plus que les rois.
– C’est vrai: j’aimerais mieux être ce petit oiseau sans souci que roi, parce… fit Poiret l’idémiste.
– Enfin, reprit l’étudiant en lui coupant la parole, je danse avec une des plus belles femmes du bal, une comtesse ravissante, la plus délicieuse créature que j’aie jamais vue. Elle était coiffée avec des fleurs de pêcher, elle avait au côté le plus beau bouquet de fleurs, des fleurs naturelles qui embaumaient; mais, bah! il faudrait que vous l’eussiez vue, il est impossible de peindre une femme animée par la danse. Eh bien! ce matin j’ai rencontré cette divine comtesse, sur les neuf heures, à pied, rue des Grès. Oh! le cœur m’a battu, je me figurais…
– Qu’elle venait ici, dit Vautrin en jetant un regard profond à l’étudiant. Elle allait sans doute chez le papa Gobseck, un usurier. Si jamais vous fouillez des cœurs de femmes à Paris, vous y trouverez l’usurier avant l’amant. Votre comtesse se nomme Anastasie de Restaud, et demeure rue du Helder.
A ce nom, l’étudiant regarda fixement Vautrin. Le père Goriot leva brusquement la tête, il jeta sur les deux interlocuteurs un regard lumineux et plein d’inquiétude qui surprit les pensionnaires.
– Christophe arrivera trop tard, elle y sera donc allée, s’écria douloureusement Goriot.
– J’ai deviné, dit Vautrin en se penchant à l’oreille de madame Vauquer.
Goriot mangeait machinalement et sans savoir ce qu’il mangeait. Jamais il n’avait semblé plus stupide et plus absorbé qu’il l’était en ce moment.
– Qui diable, monsieur Vautrin, a pu vous dire son nom? demanda Eugène.
– Ah! ah! voilà, répondit Vautrin. Le père Goriot le savait bien, lui! pourquoi ne le saurais-je pas?
– Monsieur Goriot, s’écria l’étudiant.
– Quoi! dit le pauvre vieillard. Elle était donc bien belle hier?
– Qui?
– Madame de Restaud.
– Voyez-vous le vieux grigou, dit madame Vauquer à Vautrin, comme ses yeux s’allument.
– Il l’entretiendrait donc? dit à voix basse mademoiselle Michonneau à l’étudiant.
– Oh! oui, elle était furieusement belle, reprit Eugène, que le père Goriot regardait avidement. Si madame de Beauséant n’avait pas été là, ma divine comtesse eût été la reine du bal, les jeunes gens n’avaient d’yeux que pour elle, j’étais le douzième inscrit sur la liste, elle dansait toutes les contredanses. Les autres femmes enrageaient. Si une créature a été heureuse hier, c’était bien elle. On a bien raison de dire qu’il n’y a rien de plus beau que frégate à la voile, cheval au galop et femme qui danse.
– Hier en haut de la roue, chez une duchesse, dit Vautrin; ce matin en bas de l’échelle chez un escompteur: voilà les Parisiennes. Si leurs maris ne peuvent entretenir leur luxe effréné, elles se vendent. Si elles ne savent pas se vendre, elles éventreraient leurs mères pour y chercher de quoi briller. Enfin elles font les cent mille coups. Connu, connu![13]
Le visage du père Goriot, qui s’était allumé comme le soleil d’un beau jour en entendant l’étudiant, devint sombre à cette cruelle observation de Vautrin.
– Eh bien! dit madame Vauquer, où donc est votre aventure? Lui avez-vous parlé? lui avez-vous demandé si elle voulait apprendre le Droit?
– Elle ne m’a pas vu, dit Eugène. Mais rencontrer une des plus jolies femmes de Paris rue des Grès, à neuf heures, une femme qui a dû rentrer du bal à deux heures du matin, n’est-ce pas singulier? Il n’y a que Paris pour ces aventures-là.
– Bah! il y en a de bien plus drôles, s’écria Vautrin.
Mademoiselle Taillefer avait à peine écouté, tant elle était préoccupée par la tentative qu’elle allait faire. Madame Couture lui fit signe de se lever pour aller s’habiller. Quand les deux dames sortirent, le père Goriot les imita.
– Eh bien! l’avez-vous vu? dit madame Vauquer à Vautrin et à ses autres pensionnaires. Il est clair qu’il s’est ruiné pour ces femmes-là.
– Jamais on ne me fera croire, s’écria l’étudiant, que la belle comtesse de Restaud appartienne au père Goriot.
– Mais, lui dit Vautrin en l’interrompant, nous ne tenons pas à vous le faire croire. Vous êtes encore trop jeune pour bien connaître Paris, vous saurez plus tard qu’il s’y rencontre ce que nous nommons des hommes à passions… (A ces mots, mademoiselle Michonneau regarda Vautrin d’un air intelligent. Vous eussiez dit un cheval de régiment entendant le son de la trompette.) Ah! ah! fit Vautrin en s’interrompant pour lui jeter un regard profond, que nous n’avons néu nos petites passions, nous? (La vieille fille baissa les yeux comme une religieuse qui voit des statues.)
– Eh bien! reprit-il, ces gens-là chaussent une idée et n’en démordent pas. Ils n’ont soif que d’une certaine eau prise à une certaine fontaine, et souvent croupie; pour en boire, ils vendraient leurs femmes, leurs enfants; ils vendraient leur âme au diable. Pour les uns, cette fontaine est le jeu, la Bourse, une collection de tableaux ou d’insectes, la musique; pour d’autres, c’est une femme qui sait leur cuisiner des friandises. A ceux-là, vous leur offririez toutes les femmes de la terre, ils s’en moquent, ils ne veulent que celle qui satisfait leur passion. Souvent cette femme ne les aime pas du tout, vous les rudoie, leur vend fort cher des bribes de satisfaction; eh bien! mes farceurs ne se lassent pas, et mettraient leur dernière couverture au Mont-de-Piété pour lui apporter leur
12
13