Название | Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 2 |
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Автор произведения | Dozy Reinhart Pieter Anne |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Ce fut un temps horrible. Certes, cette génération inspire un mortel dégoût par son énervement, sa lâcheté, sa corruption; pourtant on se prend malgré soi à la plaindre. Le despotisme romain, tout insupportable qu’il était, n’était rien pourtant en comparaison de la brutalité des barbares. Dans la savante tyrannie des Césars il y avait eu au moins un certain ordre et jusqu’à une certaine mesure: les Germains, dans leur aveugle fureur, renversaient, écrasaient sans discernement tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Une désolation infinie descendit sur les villes et les campagnes. A la suite de ces bouleversements arrivaient des fléaux peut-être plus tristes encore, la famine et la peste: on voyait des mères affamées égorger leurs enfants et se nourrir de leur chair14. Les Baléares, Carthagène et Séville furent pillées par les Vandales15. Heureusement pour l’Espagne ils passèrent en Afrique (429), avec le petit nombre d’Alains qui avaient échappé au glaive des Visigoths; mais les farouches Suèves, qui ne respiraient que le carnage et la destruction, restèrent en Galice et furent quelque temps maîtres de la Bétique et de la Carthaginoise. Presque toutes les provinces de l’Espagne furent successivement le théâtre de leurs ravages: la Lusitanie, la Carthaginoise et la Bétique, la Tarragonaise et la Vasconie. Un terrible désordre régnait dans ces deux dernières provinces: les Bagaudes, grossis d’une foule de colons et de propriétaires ruinés, répandaient partout la terreur. Ennemis jurés de Rome, ils furent tour à tour ennemis ou alliés des barbares. Dans la Tarragonaise, où ils avaient à leur tête l’intrépide et audacieux Basile, ils surprirent un corps de barbares au service de Rome, au moment où ceux-ci étaient rassemblés dans l’église de Tirazone; ils les égorgèrent jusqu’au dernier; l’évêque lui-même ne fut point épargné. Puis Basile se réunit aux Suèves, pilla avec eux les environs de Saragosse, et surprit Lérida, dont les habitants furent faits prisonniers. Cinq années plus tard, les Suèves s’allièrent aux Romains pour exterminer les Bagaudes.
Plus encore que les autres provinces, la Galice fut ravagée par les Suèves; là était le centre de leur domination, là étaient leurs repaires, là ils pillèrent et massacrèrent pendant plus de soixante ans. Poussés à bout, les malheureux Galiciens firent enfin ce qu’ils auraient dû faire dès le commencement: ils prirent les armes et se retranchèrent dans des châteaux forts. Quelquefois ils étaient assez heureux pour faire à leur tour des prisonniers; alors on se réconciliait, on échangeait les captifs de part et d’autre, on se donnait réciproquement des otages; mais bientôt après les Suèves, rompant la paix, se remettaient à piller. Les Galiciens imploraient sans beaucoup de succès le secours ou la médiation des gouverneurs romains des Gaules, ou de cette partie de l’Espagne qui était restée romaine. Enfin d’autres barbares, les Visigoths, vinrent combattre les Suèves; ils les vainquirent dans une sanglante bataille livrée sur les bords de l’Orvigo (456). Pour les Galiciens, ce fut bien moins une délivrance qu’un nouveau péril. Les Visigoths pillèrent Braga; ils ne répandirent pas de sang, mais ils traînèrent en esclavage une foule des habitants de la ville, des églises profanées ils firent des écuries, ils dépouillèrent les ecclésiastiques de tout, même de leur dernier vêtement. Et de même que les habitants de la Tarragonaise s’étaient faits Bagaudes, ceux de Braga et des environs s’organisèrent en bandes de partisans, de brigands. A Astorga les Visigoths se montrèrent plus impitoyables encore. Au moment où ils se présentèrent devant les portes de la ville, elle était au pouvoir d’une bande de partisans qui prétendaient combattre pour Rome. Ayant demandé et obtenu d’entrer comme amis, ils firent un horrible massacre, emmenèrent en esclavage une foule de femmes, d’enfants et d’ecclésiastiques, parmi lesquels se trouvaient deux évêques, démolirent les autels, mirent le feu aux maisons et ravagèrent les champs d’alentour. Palencia eut le même sort. Puis ils allèrent assiéger un château non loin d’Astorga; mais le désespoir avait rendu du courage et des forces aux Galiciens, et la garnison de ce château se défendit si bien qu’elle soutint victorieusement un long siége.
Les Visigoths étant retournés dans les Gaules, les Suèves recommencèrent leurs brigandages et leurs atrocités. A Lugo une de leurs bandes fit une soudaine irruption dans la salle où délibérait le conseil municipal, qui croyait n’avoir rien à craindre parce qu’on était dans la semaine sainte de Pâques; ces malheureux furent égorgés tous. A Coïmbre une autre bande viola le traité qu’elle venait de conclure, et emmena les habitants en esclavage16. Enfin les Visigoths conquirent peu à peu toute l’Espagne, et bien qu’on dût leur céder les deux tiers du sol, leur domination parut un adoucissement, comparée aux maux qu’on avait eu à souffrir des terribles Suèves.
Au milieu de ces calamités sans nombre, de ce bouleversement universel, il y avait eu un groupe d’hommes qui n’avaient jamais perdu courage, qui avaient vu crouler le vieux monde sans trop de regrets, et qui, dans une certaine mesure, avaient pris parti pour les barbares contre les Romains, leurs compatriotes. C’était l’élite du clergé catholique, l’école de saint Augustin. Dès le commencement des invasions, ces prêtres s’étaient donné une peine infinie pour pallier les violences des conquérants. Ils acceptaient un optimisme barbare sur cet océan de malheurs. Disciple de l’évêque d’Hippone, à qui il dédia son ouvrage historique, et contemporain de l’invasion des Alains, des Suèves et des Vandales, le prêtre espagnol Paul Orose prétend que ces barbares, quand ils se furent établis dans la Péninsule après l’avoir divisée entre eux, traitèrent les Espagnols en alliés, en amis, et qu’au temps où il écrivait (vers l’année 417) il y avait déjà des Espagnols qui aimaient mieux être libres et pauvres sous la domination des barbares, qu’opprimés et accablés d’impôts sous celle de Rome17. Un autre prêtre, qui écrivait vingt ou trente ans plus tard, Salvien de Marseille, va beaucoup plus loin; il est bien plus hardi. Ce qui, chez Orose, n’est encore que le vœu d’une faible minorité, devient, sous la plume du prêtre de Marseille, le vœu unanime de toute la nation
10
Isidore,
11
Servulos tantum suos ex propriis prædiis colligentes ae vernaculis alentes sumtibus. Orose, VII, 40.
12
Orose, VII, 40.
13
Voyez Salvien, L. VI, p. 121 – 123. On peut fort bien appliquer aux Espagnols ce que cet auteur dit des Gaulois, car il assure qu’en Espagne la corruption des mœurs était encore plus grande que dans les Gaules. Voyez L. VII, p. 137.
14
Idatii
15
16
Voyez Idatii
17
Orose, VII, 41.