La Becquée. Boylesve René

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Название La Becquée
Автор произведения Boylesve René
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
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Félicie, elle n'a rien dit, parce qu'elle a peur de madame Leduc; mais l'oncle Planté est sorti en bougonnant: «Sacrés faiseurs de simagrées!»

      Valentine était au lit qu'elle répétait encore, en contrefaisant la voix de madame Leduc et de son frère: «Bo, bo, bo, bo, bo… bou, bou, bou, bou, bou…»

      Elle ne m'éveilla, le lendemain, que très tard. Et quand je descendis, il n'y avait plus personne à la maison, que la cuisinière Clarisse et madame François, la gouvernante du curé de la Ville-aux-Dames, qu'on employait dans tout le pays, pour les grands repas.

      Valentine me dit confidentiellement:

      – On ne vous a pas emmené, parce que vous êtes trop impressionnable.

      Madame François racontait des histoires à perte d'haleine en tournant ses sauces, et elle était très comique de sa personne, ayant une petite voix flûtée, un bout de nez pointu et luisant, et des lunettes bleues larges comme des pièces de cinq francs; en outre, on savait qu'elle portait une perruque et une crinoline. Monsieur le curé Fombonne, son maître actuel, était mêlé à toutes ses aventures, ainsi que plusieurs de ses confrères. Du même ton qu'elle m'eût confié: «Il y aura de la crème», elle m'annonça que Monsieur le curé serait du déjeuner.

      La grille était restée ouverte après le départ des voitures, et des chiens étrangers erraient dans le jardin, la queue basse, le museau reniflant le sol. Je fis observer ce désordre à Valentine:

      – Si tante Félicie voyait ça!..

      Elle me répondit:

      – Ce n'est pas aujourd'hui un jour comme un autre.

      On arriva par paquets noirs vers midi. La calèche était pleine. Le break était plein. Je reconnus mon père dans son tilbury avec Casimir. Après, venait le cabriolet de Monsieur Laballue, le bon ami de Félicie, qui avait pris à côté de lui Monsieur le curé de la Ville-aux-Dames. Et on attendit encore Philibert, vingt minutes, avant de se mettre à table, car il n'avait pu trouver de place dans tout cela. Il revint seul et à pied.

      Mon père pleura beaucoup lorsqu'il m'embrassa. Félicie, témoin de sa douleur, lui dit en me montrant du doigt:

      – Maintenant, c'est pour cet enfant-là que nous devons défendre notre bien.

      Il comprit, à travers ses larmes, le sens avantageux de ces paroles, et saisit la main de la tante.

      Le temps était magnifique, et même un peu chaud. On avait fermé les persiennes de la salle à manger pour éviter le soleil qui, par une longue fente, réduisait ses rayons en une sorte de cloison lumineuse, où une poussière dorée dansait la sarabande.

      Les mouches salissaient les desserts, et il venait parfois une abeille se poser lourdement au bord des compotiers.

      Madame Leduc, ainsi qu'il fallait s'y attendre, avait pris le haut de la conversation. Elle abondait en idées nobles et généreuses, et on la savait capable de les mettre en pratique. Elle prêchait la dignité de l'institution familiale, la solidarité nécessaire de ses membres; et elle traversait la France de part en part pour assister au baptême, au mariage, aux obsèques d'un arrière-cousin. Pour un anniversaire, pour une rougeole, pour l'espoir d'une grossesse, elle vous écrivait des lettres à la manière d'une Sévigné. Elle prodiguait les conseils, elle ouvrait sa bourse; à tout le moins, on était assuré qu'elle priait pour vous. On trouvait sa vie édifiante. «Non! prétendait monsieur Laballue, en allumant ses petits yeux gris, car elle fait douter de la justice de Dieu… – Comment cela? – Parce qu'en récompense il aurait dû lui donner pour deux liards de bonne grâce!» C'était cela, en effet, qui lui manquait. Si flatté que l'on fût d'approuver ses théories, le coeur ne s'y prenait point.

      Au fond, elle n'amusait personne, mais chacun sentait que c'était ce qui convenait aujourd'hui.

      Cependant, lorsque, après avoir parlé de notre «perte cruelle», avec une éloquence trop aisée, elle nous invita à remercier la Providence pour «avoir distingué notre famille par une épreuve particulière», on fut gêné.

      Monsieur le curé Fombonne sauva la situation:

      – Remercions la Providence, dit-il, de nous accorder notre pain quotidien… et d'inspirer à la cuisinière de madame Planté des matelotes aussi réussies.

      – Mais ce n'est pas ma cuisinière qui mérite des éloges, dit Félicie, Monsieur le curé, c'est la vôtre!

      – Jamais de la vie! Je n'ai pas mangé, depuis quinze ans, de matelote pareille, au presbytère.

      – Nous en aurons le coeur net; Valentine, appelez donc madame François.

      On vit entrer, tout étourdie par la pénombre, la célèbre cuisinière du curé de la Ville-aux-Dames. Elle relevait son tablier d'un bras serré jusqu'au poignet par une fausse manche de lustrine, et étalait une main avec modestie contre la bavette blanche épinglée méticuleusement sur son sein. Son petit nez fureteur, au-dessous des conserves bleues, allait de droite et de gauche, et elle ressemblait assez à la tête d'une belette ou d'un rat sortis de l'ombre et surpris de voir de la compagnie.

      – Eh bien! madame François, voilà monsieur le curé qui ne veut pas croire que c'est vous qui avez fait la matelote?..

      Sa voix menue sembla venir d'un petit trou de flûte:

      – Eh! mon Dieu! madame Planté, comme disait défunt monsieur le curé de Chaumussay, ne faut-il point toujours confesser la vérité? C'est bien moi qui ai fait la matelote.

      – Saperlipopette! s'écria le curé Fombonne, comment se fait-il que vous ne m'en ayez jamais mis une au point comme celle-là?

      Madame François agita sa figure futée; elle semblait sourire par le bout du nez, car on ne lui voyait pas les yeux sous ses disques d'azur, et sa bouche était close respectueusement. Elle avait l'air de ne point vouloir parler, et cependant elle parla:

      – Monsieur le curé, dit-elle, en comprendra facilement la raison…

      C'est que le vin de madame Planté est bien meilleur que le sien.

      Elle jouit de son succès et se retira, tandis que Félicie disait à l'oreille du curé:

      – Je vous en enverrai quelques bouteilles.

      Le bon curé prêtait volontiers sa servante, en se laissant inviter dans les maisons où elle était rémunérée à souhait, et l'un et l'autre y trouvaient avantage.

      Grand-père Fantin, qui était plus gourmand que le curé Fombonne, profita de la circonstance pour raconter l'histoire d'une certaine dinde à la chipolata, qu'il avait mangée pendant l'Exposition universelle de 1867. Elle avait pour but d'amener ceci: «Lord Bolingbroke, en me gratifiant d'un vigoureux shake hand, me dit: «Fantin, vous croyez connaître la chipolata? La première fois que vous viendrez à Londres, faites-moi donc l'amitié… etc.»

      Quand grand-père Fantin entamait cette histoire, chacun s'évertuait à la couper net et le plus tôt possible, d'abord parce qu'on la savait comme son pater, ensuite parce qu'il était pénible de le voir étaler les fastueuses relations qu'il s'enorgueillissait d'avoir eues dans le temps même où il faisait les affaires les plus déplorables. Après lord Bolingbroke, venait immanquablement Napoléon III. Sa Majesté s'était fort intéressée à un projet de charrue à vapeur, et en serrant la main de l'ingénieux inventeur, aussi violemment que le noble anglais, elle lui avait affirmé d'une voix émue: «Fantin, Nous avons l'oeil sur vous.»

      Il parlait de ces choses avec une inconscience absolue, tandis qu'autour de lui les mémoires retraçaient la terrible aventure: la faillite à la fermeture de l'Exposition, la ruine, la prison pour dettes; ma grand'mère, ici présente, mendiant un emploi à Paris; la jeune fille, la morte d'hier, un mariage manqué, accourant, toute seule, implorer la charité des parents de province!.. Lord Bolingbroke, Sa Majesté, la dinde à la chipolata: la nature heureuse de Casimir n'avait retenu que ces mots sonores et ces mirages.

      Les jours où l'on négligeait les cérémonies, Félicie l'interrompait en disant: «Casimir,