Название | La Becquée |
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Автор произведения | Boylesve René |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Il me salua, la casquette très bas, et dit: «Bonjour, Monsieur Henri», sur le ton d'un respect inusité, que j'attribuai à mes premiers vêtements de deuil. Je m'élançai pour voir le petit salon:
– Prenez garde! s'écria Fridolin, on glisse comme sur la pelure d'orange.
Il était en chaussettes de tricot bleu, et il relevait tous les doigts de pied en marchant sur le parquet froid. Je fus étonné de ne trouver au petit salon rien d'extraordinaire. Fridolin se baissait et tâtait les plinthes du revers de la main. Il aspira de l'air par sa brèche et prononça:
– Ne me parlez pas de l'humidité! la vermine est moins ravageuse.
Dans le grand salon, il dit, aussitôt l'irruption de la lumière:
– C'est princier.
Le meuble était de velours rouge. La pendule de la cheminée représentait une femme couchée; les candélabres de bronze étaient surmontés de cigognes qui faisaient leur possible pour se débarrasser d'un serpent enroulé à leur patte.
La salle à manger n'offrait de toutes parts qu'un miroir d'acajou; et partout où Fridolin, d'un coup de manche, enlevait la poussière, sur le buffet, sur la table, au dossier des chaises, je me dépêchais d'aller souffler de grands halos de buée, pour le plaisir de les voir se rétrécir et disparaître, comme sur les glaces, en laissant, au milieu, une petite goutte d'eau. Fridolin déclara:
– Ce n'est pas pour faire valoir celui-ci plutôt que celui-là; mais il y a davantage de «richesse» chez votre grand'tante Planté, que dans le château de monsieur le marquis de la Frelandière.
Il ajouta, en faisant tourner son bras droit comme une immense girouette:
– Il n'y a point de mal à dire ce que je vais vous dire… Le malheur qui est arrivé vous rendra maître de tout ça quarante ans plus tôt.
Malgré mon extrême jeunesse, j'étais déjà au courant de ces affaires d'héritage, tant les questions de fortune revenaient souvent dans les conversations de la famille. Combien de fois n'avais-je pas entendu Félicie dire à ma mère: «Quand je n'y serai plus, tu feras ici ce que tu voudras!» À propos de quoi la voix douce de celle qui venait de mourir insinuait régulièrement: «Et ce malheureux Philibert? – Oh! ton frère! ton frère!.. c'est un grand dadais.»
Je demandai à Fridolin:
– Alors, mon oncle Philibert, lui, il n'aura rien?
La lèvre de Fridolin se retroussa sur l'endroit des dents où l'air sifflait; il raidit sa main abaissée horizontalement, et faucha dans l'espace quelque chose comme une plante parasite, qu'il semblait voir, et qui, à ses yeux, dut tomber.
– Celui-là, dit-il, c'est un «dévoyé».
Il y avait sur le compte de Philibert une histoire que je ne démêlai que plus tard et fil à fil, parce qu'on m'envoyait toujours promener quand il s'agissait de lui. Sa vie était un mauvais exemple, et il habitait Paris. Je savais qu'il dessinait, peignait des tableaux, et ne «réussissait pas». Lorsqu'à son sujet quelqu'un risquait: «Et dire qu'il a tant d'esprit!» Félicie vous fermait la bouche d'un: «Ça lui fait un beau gras de jambe!»
Philibert arriva, précisément, le soir de ce même jour, en compagnie de son père, c'est-à-dire mon grand-père Fantin, qu'on appelait Casimir. Ils avaient dû se contenter de la carriole de Pidoux, sous prétexte que la calèche et le break attendaient au train suivant Madame Leduc et ses bagages. Philibert était très maigre et avait beaucoup de chagrin. Le grand-père Fantin descendit du véhicule avec une larme à chaque oeil, mais il en versait pour n'importe quoi. On s'embrassa sous le marronnier de la cour. Personne n'osait parler le premier. On disait seulement: «Ma pauvre Félicie!..» «Mon pauvre Casimir!..» «Ma pauvre tante Adélaïde!..» «Votre pauvre femme a tenu à passer la nuit là-bas…» Grand-père demanda:
– Et le «pauvre» enfant, est-ce qu'il sait?
Je me détournai en rougissant. Les deux nouveaux venus m'embrassèrent.
Casimir n'était pas plus en odeur de sainteté que Philibert. Il avait «mangé» la fortune de sa femme, et Félicie se souvenait d'avoir payé ses dettes. Elle le disait capable d'engloutir la mer et ses poissons; elle le redoutait comme un fléau, et elle avait fait des pieds et des mains, après ses désastres, pour obtenir qu'il fût hébergé chez l'oncle Goislard, à Langeais, loin d'elle.
À la tombée de la nuit, on distingua le bruit des deux voitures, et tout le monde s'agita pour recevoir Madame Leduc.
Elle était la soeur de Casimir, mais personne ne lui donnait de titre de parenté, si ce n'était en sa présence et l'on disait «Madame Leduc», à cause de son grand air. L'oncle Planté était seul à se permettre, à son endroit, une facétie qui manquait rarement de succès: en parlant d'elle il disait «la duchesse». Mais, tout en souriant alors, on regardait du côté des portes qui ont plus d'oreilles que les murs, tant on craignait que Madame Leduc n'eût vent de cette petite liberté.
Fridolin ne la faisait point descendre, comme le commun des mortels, sous le marronnier de la cour; il la menait, au trot depuis la grille, par un détour élégant, sur l'esplanade sablée, devant la maison neuve; et il n'arrêtait la calèche que juste au pied du perron. Là, on se trouvait réunis à l'avance, et le coeur battant un peu, ainsi que pour la réception d'un prince.
– Mon Dieu! soupira Félicie, pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé en route!.. Ordinairement nous allons au-devant d'elle, mais aujourd'hui, en vérité, on ne sait où donner de la tête…
Madame Leduc montra le nez hors de la portière, et dit:
– Est-ce que je couche à l'auberge?
Un souffle glacé passa sur les épaules. Madame Leduc devait avoir été froissée.
– À l'auberge! s'écria Félicie, que voulez-vous dire?
– Mais, reprit madame Leduc, votre dépêche est un peu laconique:
«Trouverez voiture gare», un point, c'est tout. Vous concevez…
Heureusement, grand-père, qui était très démonstratif, l'avait déjà embrassée en poussant de petits gloussements de tendresse. Elle passa ainsi de l'un à l'autre: «Mon pauvre Casimir!.. Ma pauvre Félicie, etc.». Et l'acrimonie du premier moment se trouva noyée dans les larmes.
Grâce à la présence de madame Leduc, on dîna dans la salle à manger d'acajou et l'on passa la soirée dans le salon de velours rouge. L'oncle Planté était de mauvaise humeur parce qu'à cause de la «duchesse» on employait Valentine à la cuisine, et parce qu'il n'osait ni jurer ni bourrer sa pipe. Chacun se surveillait de peur de laisser échapper une expression qui pût être mal interprétée, non Casimir, toutefois, qui allait toujours de l'avant. Mesdemoiselles Victoire et Adélaïde bâillaient à qui mieux mieux; Philibert crayonnait; Félicie allait et venait, en invoquant, à chaque entrée ou sortie, le prétexte d'ordres à donner. Madame Leduc parlait des calamités publiques et de son fils qui était «dans la magistrature». Au grossissement qu'elle donnait à ces mots, je compris que les Prussiens avaient mis fin à la guerre pour permettre à ce fils de recouvrer «ses fonctions de substitut». Le «Sacré Coeur de Jésus», les «zouaves pontificaux», les «communards», et le «comte de Chambord», étaient les termes qu'elle employait le plus souvent. Et toutes les fois qu'on risquait une allusion à la cérémonie du lendemain ou au malheur qui nous réunissait là, on me regardait comme si ce malheur eût été sur moi.
Valentine me fit raconter, en me couchant, ce qui s'était passé au grand salon:
– D'abord, ce n'est pas la peine de faire ma prière, parce que madame Leduc l'a récitée, tout haut, pour tout le monde, et en latin, tu sais,