Название | Madeleine jeune femme |
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Автор произведения | Boylesve René |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Toute troublée encore de ce petit incident, je me tenais tapie, silencieuse, un peu fatiguée, dans le coin du fiacre qui nous ramenait rue de Courcelles. Mon mari me dit:
– Eh bien! c'était, ma foi, très réussi…
– Certainement.
– Vous êtes-vous amusée, au moins?
– Les Du Toit ne m'ont pas déplu…
– Ah!.. les Du Toit, dit-il.
Puis il réfléchit un moment pour ajouter:
– Ils sont un peu ternes…
– Je ne trouve pas. Ce sont des gens qui savent beaucoup de choses, qui pensent à quelque chose; ils ont des idées, des sentiments…
– Ce sont de belles âmes! dit mon mari.
Je fus bien choquée; mon cœur palpitait; une force vive en moi se révoltait. Je demandai avec un certain effarement:
– Il est donc ridicule d'avoir une belle âme?
Il me dit, avec hésitation, parce qu'il était toujours très embarrassé pour exprimer des sujets d'ordre moral:
– C'est une question de milieu… Chez les Voulasne…
– Eh bien! fis-je un peu vivement, chez les Voulasne, est-ce que vous croyez que moi-même j'aie l'âme de madame de Lestaffet, ou de madame Kulm, ou de monsieur Chauffin?.. est-ce que vous seriez satisfait que l'on fît des couplets sur le maillot de votre femme?.. sur son maillot crevé?..
– J'en mourrais de honte! dit-il, ah! pour cela non, cela n'est pas dans mon caractère!..
Je voyais qu'il était sincère et que cette idée le faisait bondir. C'était une de celles auxquelles il devait toujours être le plus sensible: il n'eût jamais supporté que la tenue de sa femme fût prise en défaut.
– Madame Kulm, repris-je, madame de Lestaffet, voilà donc le genre de femmes qui s'harmonise au milieu Voulasne?..
Il était très ennuyé de l'effort que je lui demandais pour raisonner là-dessus. Il n'était pas accoutumé à cela; il n'y avait jamais songé. Il me dit simplement:
– La plupart des hommes que vous avez vus là, ce sont des hommes qui ont travaillé tout le jour: ils demandent à se distraire…
A mon tour de ne savoir que dire. Mais je pensais à mon père, autrefois, qui avait aussi travaillé tout le jour, préparé ou prononcé de grandes plaidoiries, présidé des conseils d'administration, ou composé tout un journal, et qui, le soir, ne songeait à se distraire que par de si belles causeries avec son beau-père, grand travailleur lui-même, ou avec ces messieurs de la ville, dont la distraction, à eux, était de l'entendre parler ou lire, et lire uniquement les plus beaux livres. Ah! il ne s'agissait pas de gaudrioles avec lui, et pourtant il savait rire et savait faire rire!.. Enfin, je pensais à ce M. Du Toit qui devait avoir de même beaucoup à travailler, et à ce M. Juillet, agrégé, et qui venait de passer sa thèse de doctorat… Je les citai à mon mari comme exemples de gens très occupés, et qui devaient certainement exiger un choix dans leurs distractions.
– Monsieur Du Toit, passe encore!.. Quant au neveu, pédanterie à part, il est pareil à beaucoup, je suppose…
Cela me fit mal, d'entendre parler ainsi d'un homme dont la qualité d'esprit m'avait tenue durant une heure en haleine. Je l'avais vu cultivé et grave, ce M. Juillet, sans le trouver pédant; et je l'avais entendu rire et presque gaminer avec Pipette, par exemple. J'eus le très grand tort de dire:
– Enfin, vos Voulasne, ils sont très gentils, oui, mais voilà presque deux mois que nous les fréquentons, et deux ou trois fois par semaine, n'est-ce pas? Eh bien! je n'ai pas entendu encore, ni d'eux ni de leur entourage, un seul mot qui les place au-dessus… mettons: de votre homme de peine, qui fréquente lui aussi, le dimanche, les cafés-concerts, les mêmes ou peu s'en faut, et chantonne pour ma femme de chambre, en frottant le parquet, les mêmes insanités dont vos cousins et leurs amis se délectent!..
Nous atteignions la maison; mon mari descendit de voiture, m'aida à mettre pied à terre et ne m'adressa pas la parole dans l'escalier. Une fois dans l'appartement, et le verrou tiré, il me dit:
– Madeleine, je serais désolé que vous vous abandonniez à un sentiment d'aigreur contre un genre de vie qui vous déconcerte, je n'en suis pas trop étonné; mais tout doit vous déconcerter un peu, parce que vous arrivez de Chinon, ne l'oublions pas. Patientez, que diable!..
Ma grand'mère m'avait fait jurer solennellement de ne jamais laisser la moindre difficulté entre mon futur mari et moi se traduire par des paroles. Elle m'avait dit: «Des sujets de mécontentement, mon enfant, il en naît, c'est inévitable, et dans les ménages les plus unis; mais évite à tout prix qu'ils soient confirmés par des paroles: tant que rien n'a été dit, tout peut être oublié; mais les mots prononcés, ce sont des marques au fer rouge.»
Peut-être en avais-je trop dit déjà! car les paroles que mon mari répondait à ma plainte faisaient l'effet, sur mon épiderme, d'un fer déjà bien chaud!.. C'était une leçon adressée à mon inexpérience, un avertissement pour l'avenir, et, sur un ton volontairement modéré, une sommation de ne franchir sous aucun prétexte certaine borne. La maison des Voulasne, c'était notre fonds.
Ah! si je n'avais pas été dressée, comme je l'ai été, par ma famille et mon couvent, ma vie conjugale était de ce jour-là flambée! On me dira, et il n'a pas manqué de gens pour me dire: «Mais si vous n'aviez pas subi l'éducation qui fut la vôtre, peut-être vous fussiez-vous beaucoup plu chez les Voulasne?..» Ah! bien, alors je ne regrette pas mon éducation et ses conséquences.
V
Le dimanche, mon mari, pour m'être agréable, m'accompagnait à la messe de la petite église Saint-François-de-Sales, à quatre pas de chez nous: on n'avait pour ainsi dire qu'à traverser le Parc Monceau. J'avais gardé du couvent un goût particulier pour la messe matinale: elle ne ressemble pas aux autres; elle est plus intime et plus simple; beaucoup de femmes y communient; enfin, j'ai toujours eu l'impression qu'on s'y retrouve plus sûrement entre vrais chrétiens. Mais mon mari avait eu, lui, de tout temps, l'habitude de faire la grasse matinée le dimanche. Je m'aperçus promptement qu'il lui en coûtait beaucoup de ne pouvoir demeurer au lit, à sa guise, au moins un jour par semaine, et je n'eus pas le courage de lui imposer ce sacrifice plus longtemps. Ce n'était que prévenir un retour à ses vieilles coutumes, qui se serait effectué sans que j'y misse la main, mais en proposant moi-même à mon mari de nous contenter de la messe de midi, je m'épargnai la disgrâce d'être abandonnée, toute seule, un prochain dimanche, à celle du matin. Nous prîmes donc l'habitude de n'aller qu'à la messe de midi, c'est-à-dire à une réunion de gens distraits, pressés de déjeuner, ou de courir aux matinées, et qui semblent faire au bon Dieu une suprême concession: on sent que de tous leurs devoirs religieux, ce bout de messe-là est le dernier. Je me moquais de ces catholiques négligents, dans les débuts; peu à peu, comme les autres, je m'accommodai très bien de cette formalité réduite pendant laquelle ma pensée n'avait ni le loisir ni même le désir de descendre jusqu'à cet arrière-fonds de nous-mêmes où le sens religieux se retrouve. Ma piété, naturellement, diminua. Quelquefois, pendant cette messe de midi, mes souvenirs d'enfance, de pension, de jeune fille affluaient, et liés tout à coup au présent, me donnaient de la vie une image si incohérente que j'en étais étourdie: une si grande part faite à Dieu au commencement de la vie, une si misérable portion dès que la vie semble avoir adopté son sens définitif!..
Il