Voyage musical en Allemagne et en Italie, I. Hector Berlioz

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Название Voyage musical en Allemagne et en Italie, I
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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en sol bémol par exemple, quand l'orchestre était en fa, ou en ut bémol quand il était en si bémol. L'ophicléïde fut donc considéré comme non avenu; on le remplaça tant bien que mal par un quatrième trombone. Pour la harpe, on n'y pouvait songer; car, six mois auparavant, Mendelssohn, ayant voulu faire entendre à Leipzig des fragments de son Antigone, fut obligé de faire venir des harpes de Berlin. Comme on m'assurait qu'il en avait été médiocrement satisfait, j'écrivis à Dresde, et Lipinski, un grand et digne artiste dont j'aurai bientôt l'occasion de parler, m'envoya le harpiste du théâtre. Il ne s'agissait plus que de trouver l'instrument. Après bien des courses inutiles chez divers facteurs et marchands de musique, Mendelssohn apprit enfin qu'un amateur possédait une harpe, et il obtint de lui qu'elle nous fût prêtée pour quelques jours. Mais, admirez mon malheur, la harpe apportée et bien garnie de cordes neuves, il se trouva que M. Richter (le harpiste de Dresde qui s'était si obligeamment rendu à Leipzig sur l'invitation de Lipinski) était un pianiste très-habile, qu'il jouait en outre fort bien du violon, mais qu'il ne jouait presque pas de la harpe. Il en avait étudié le mécanisme depuis dix-huit mois seulement, et pour parvenir à exécuter les arpéges les plus simples, qui servent communément à l'accompagnement du chant dans les opéras italiens. De sorte qu'à l'aspect des traits diatoniques et des dessins chantants qui se rencontrent souvent dans ma symphonie, le courage lui manqua tout-à-fait, et que Mendelssohn dut se mettre au piano le soir du concert pour représenter les solos de harpe et en assurer les entrées. Quel embarras pour si peu de chose!

      Quoi qu'il en soit, et mon parti une fois pris sur ces inconvénients, les répétitions commencèrent. La disposition de l'orchestre, dans cette belle salle, est si excellente, les rapports de chaque exécutant avec le chef sont si aisés, et les artistes, musiciens parfaits d'ailleurs, ont été accoutumés par Mendelssohn et David à apporter aux études une telle attention, que deux répétitions suffirent à monter un long programme où figuraient, entre autres compositions difficiles, les ouvertures du Roi Lear, des Francs-Juges, et la Symphonie fantastique. David avait en outre consenti à jouer le solo de violon (Rêverie et Caprice) que j'écrivis il y a deux ans pour Artôt, et dont l'orchestration est assez compliquée. Il l'exécuta supérieurement, aux grands applaudissements de l'assemblée.

      Quant à l'orchestre, dire qu'il fut irréprochable, après deux répétitions seulement, dans l'exécution des pièces que je viens de citer, c'est en faire un éloge immense. Tous les musiciens de Paris, et bien d'autres encore, seront, je crois, de cet avis.

      Cette soirée jeta le trouble dans les consciences musicales des habitants de Leipzig, et, autant qu'il m'a été permis d'en juger par la polémique des journaux, des discussions en sont résultées, aussi violentes, tout au moins, que celles dont les mêmes ouvrages furent le sujet à Paris il y a quelques dix ans. Pendant qu'on débattait ainsi la moralité de mes faits et gestes harmoniques, que les uns les traitaient de belles actions, les autres de crimes prémédités, je fis le voyage de Dresde que j'aurai bientôt à raconter. Mais pour ne pas scinder le récit de mes expériences à Leipzig, je vais, mon cher Heller, vous dire ce qu'il advint, à mon retour, du concert au bénéfice des pauvres dont Mendelssohn m'avait parlé dans sa lettre, et auquel j'avais promis de prendre part.

      Cette soirée étant organisée par la Société des Concerts tout entière, j'avais à ma disposition la riche et puissante Académie de chant dont je vous ai fait déjà un éloge si mérité. Je n'eus garde, vous pensez bien, de ne pas profiter de cette belle masse vocale, et j'offris aux directeurs de la Société le final à trois chœurs de Roméo et Juliette, dont la traduction allemande avait été faite à Paris par le savant professeur Duesberg. Il y avait seulement à mettre cette traduction en rapport avec les notes des parties de chant. Ce fut un long et pénible travail; encore, la prosodie allemande n'ayant pas été bien observée par les copistes dans leur distribution de syllabes longues et brèves, il en résulta pour les chanteurs des difficultés telles, que Mendelssohn fut obligé de perdre son temps à la révision du texte et à la correction de ce que ces fautes présentaient de plus choquant. Il eut en outre à exercer le chœur pendant près de huit jours. (Huit répétitions d'un chœur aussi nombreux coûteraient à Paris 4,800 fr. Et l'on me demande quelquefois pourquoi dans mes concerts je ne donne pas Roméo et Juliette!) Cette Académie, où figurent, il est vrai, quelques artistes du théâtre et les élèves de la chapelle de Saint-Thomas, est cependant composée dans sa presque totalité d'amateurs appartenant aux classes élevées de la ville de Leipzig. Voilà pourquoi, dès qu'il s'agit d'apprendre quelque œuvre sérieuse, on peut en obtenir plus aisément un grand nombre de répétitions. Quand je revins de Dresde, les études cependant étaient loin d'être terminées; le chœur d'hommes surtout laissait beaucoup à désirer. Je souffrais de voir un grand maître et un grand virtuose tel que Mendelssohn, chargé de cette tâche subalterne de maître de chant, qu'il remplit, il faut le dire, avec une patience inaltérable. Chacune de ses observations est faite avec douceur et une politesse parfaite, dont on lui saurait plus de gré, si on pouvait savoir combien, en pareil cas, ces qualités sont rares. Quant à moi, j'ai été souvent accusé d'ingalanterie par nos dames de l'Opéra; ma réputation, à cet égard, est parfaite. Je la mérite, je l'avoue; dès qu'il s'agit des études d'un grand chœur, et avant même de les commencer, une sorte de colère anticipée me serre la gorge, ma mauvaise humeur se manifeste, bien que rien encore n'y ait pu donner lieu, et je fais comprendre du regard à tous les choristes l'idée de ce Gascon qui, ayant donné un coup de pied à un petit garçon passant inoffensif auprès de lui, et sur l'observation de celui-ci, qu'il ne lui avait rien fait, répliqua: «Juge un peu, si tu m'avais fait quelque chose!»

      Cependant après deux séances encore, les trois chœurs étaient appris, et le final, avec l'appui de l'orchestre, eût, sans aucun doute, parfaitement marché, si un chanteur du théâtre, qui depuis plusieurs jours se récriait sur les difficultés du rôle du père Laurence dont on l'avait chargé, ne fût venu démolir tout notre édifice harmonique élevé à si grand'peine.

      J'avais déjà remarqué aux répétitions au piano, que ce Monsieur (j'ai oublié son nom), appartenait à la classe nombreuse des musiciens qui ne savent pas la musique; il comptait mal ses pauses, il n'entrait pas à temps, il se trompait d'intonations, etc.; mais je me disais: peut-être n'a-t-il pas eu le temps d'étudier sa partie, il apprend pour le théâtre des rôles fort difficiles, pourquoi ne viendrait-il pas à bout de celui-là? Je pensais pourtant bien souvent à Alizard, qui a toujours si bien dit cette scène, en regrettant fort qu'il fût à Bruxelles et ne sût pas l'allemand. Mais à la répétition générale, la veille du concert, comme ce Monsieur n'était pas plus avancé, et que, de plus, il grommelait entre ses dents je ne sais quelles imprécations tudesques, chaque fois qu'on était obligé d'arrêter l'orchestre à cause de lui, ou quand Mendelssohn ou moi nous lui chantions ses phrases, la patience m'échappa enfin, et je remerciai la chapelle, en la priant de ne plus s'occuper de mon ouvrage, dont ce rôle de basse rendait évidemment l'exécution impossible. En rentrant, je faisais cette triste réflexion: Deux compositeurs qui ont appliqué pendant de longues années ce que la nature leur a départi d'intelligence et d'imagination à l'étude de leur art, deux cents musiciens, chanteurs et instrumentistes attentifs et capables, se seront fatigués pendant huit jours inutilement et auront dû renoncer à la production de l'œuvre qu'ils avaient adoptée, à cause de l'insuffisance d'un seul homme!! O chanteurs qui ne chantez pas, vous donc aussi vous êtes des dieux!.. L'embarras de la société était grand pour remplacer sur le programme ce final dont la durée est d'une demi-heure; au moyen d'une répétition supplémentaire que l'orchestre et les chœurs voulurent bien faire le matin même du jour du concert, nous en vînmes à bout. L'ouverture du Roi Lear, que l'orchestre possédait bien, et l'offertoire de mon Requiem où le chœur n'a que quelques notes à chanter, furent substitués au fragment de Roméo, et exécutés le soir de la façon la plus satisfaisante. Je dois même ajouter que le morceau du Requiem produisit un effet auquel je ne m'attendais pas, et me valut un suffrage inestimable, celui de Robert Schuman, l'un des compositeurs critiques les plus justement renommés de l'Allemagne. Quelques jours après, ce même offertoire m'attira un éloge sur lequel je devais bien moins compter; voici comment. J'étais retombé malade à Leipzig, et quand, au moment de mon départ, j'en vins à