Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz

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Название Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Биографии и Мемуары
Серия
Издательство Биографии и Мемуары
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/30021



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or, l'auteur du Chalet n'avait guère de points de contact avec l'auteur de la Symphonie fantastique et le rapprochement était difficile: «Voyons, voyons, dit M. Alexandre à Berlioz, qui ne voulait se résoudre à aucune démarche; réconciliez-vous avec Adam; que diable! c'est un musicien; vous ne pouvez nier cela?.. – Aussi, je ne le nie point, dit l'autre; mais pourquoi Adam, qui est un grand musicien, s'obstine-t-il à s'encanailler dans le genre de l'opéra-comique; s'il voulait, parbleu! il ferait de la musique comme j'en fais!» M. Alexandre ne se découragea pas, et, se rendant chez Adolphe Adam: «Mon cher ami, vous donnerez votre voix à Berlioz, n'est-ce pas? Vous avez beau ne pas vous entendre avec lui, vous savez aussi bien que moi que c'est un musicien… – Un grand musicien certes (et le petit Adam rajusta ses lunettes sur son nez), un très grand, très grand… Seulement, il fait de la musique ennuyeuse; s'il voulait, il en ferait d'autre… il en ferait tout aussi bien que moi!..»

      Ce fut une scène digne de Molière44.

      «Mais, parlant sérieusement, dit Adam, Berlioz est un homme d'une grande valeur. Je vous donne l'assurance, que, après Clapisson, auquel nous avons tous déjà promis, Berlioz aura le premier fauteuil vacant.»

      L'institut nomma Clapisson.

      Hélas! bizarrerie du sort: Adam mourut. Le pays fit une grande perte. Le premier fauteuil vacant fut le sien et ce fut Berlioz qui l'occupa. Il fut élu par dix-neuf voix contre six données à Niedermeyer, six à Charles Gounod et deux à Panseron. MM. Leborne, Vogel et Félicien David s'étaient présentés aussi. Ce dernier échec de Félicien David contre Berlioz rendit Azevedo, ce critique de mauvais aloi, furieux contre Berlioz45.

      De 1856, année où nous sommes arrivés, à 1863, année des Troyens, nous ne distinguons pas dans la vie du compositeur un grand nombre d'événements importants. Il organise, chaque année, un festival à Bade; il y fait représenter son ravissant opéra de Béatrice et Bénédict; la jeunesse de la ville de Gior (en allemand: Raab) lui envoie une adresse de félicitation; les artistes du Conservatoire de Paris lui font une ovation, peu de temps après le Tannhäuser; le Grand-Théâtre de Bordeaux s'avise de jouer Roméo et Juliette; voilà tout, ou à peu près tout. Ah! j'oubliais!.. Il surveille les répétitions d'Alceste; quoique inspirant peu de confiance à l'administration de l'Opéra, on le juge capable de remplir cette besogne d'obscur manœuvre.

      Pendant ce temps, un nouveau théâtre lyrique s'élevait sur les rives de la Seine, et les faiseurs de partitions, si délaissés d'ordinaire, commençaient à espérer qu'on allait enfin s'occuper d'eux. Le livret des Troyens, lu dans divers salons, y avait rencontré une approbation unanime; même l'empereur Napoléon III, ayant entendu parler de la chose, invita Berlioz à dîner; mais on causa de la pluie et du beau temps: «Je me suis splendidement ennuyé!» écrivit le lendemain le convive de Sa Majesté Impériale. – A un autre dîner mensuel où se réunissaient MM. Fiorentino, Nogent-Saint-Laurens, Édouard Alexandre, Paul de Saint-Victor, Carvalho, on s'inquiéta plus sérieusement de Didon et d'Énée; M. Carvalho, le directeur du Théâtre-Lyrique, n'avait pas besoin d'encouragement; il connaissait l'œuvre, il l'admirait et il comptait bien la révéler aux masses, comme il avait révélé Faust.

      La première représentation des Troyens fut assez calme; les spectateurs qui se souvenaient de Benvenuto Cellini s'attendaient à des péripéties; le divertissement de la Chasse causa seul quelques rires, dus plutôt à l'interprétation de ce ballet qu'aux modulations hardies de l'orchestre. En revanche, l'air de Didon au premier acte, le fameux septuor et le duo: Nuit d'ivresse et d'extase… allèrent aux nues, alle stelle. Certains opéras modernes contiennent des morceaux plus soutenus, plus amples, que le septuor des Troyens, mais aucun de ces morceaux ne peut soutenir la comparaison avec lui au point de vue du sentiment pittoresque et de l'originalité poétique. C'est un diamant qui brille d'un éclat inouï; cela ne ressemble ni à la Bénédiction des poignards, ni à la Sérénade de Don Juan, ni au trio de Guillaume Tell, ni à la pastorale du Prophète; cela tient de la symphonie et du drame, de l'ode pindarique et de la méditation lamartinienne, cela bruit comme un souffle et frissonne comme une caresse; cela palpite, rêve, soupire, émeut… Les battements du cœur s'apaisent avec l'écroulement des vagues de la mer africaine, le parfum des orangers s'exhale de cette musique divine, et l'esprit s'endort bercé dans un palais des Mille et une Nuits.

      Rien n'était fait pour déplaire davantage aux Parisiens de 1863; l'homme de génie qui avait écrit les Troyens eut contre lui à peu près toute la presse, sérieuse ou légère. Cham, dans le Charivari, fit une caricature: le Tannhäuser (en bébé) demandant à voir son petit frère. Au théâtre Déjazet, on joua une parodie où des acteurs, coiffés de casques ridicules, exécutaient un horrible vacarme, avec des casseroles, des gongs chinois, des scies ébréchées, des paires de pincettes; nous nous rappelons cette ignoble parade, plus digne de divertir les sauvages qui mangèrent le capitaine Cook que d'amuser les Athéniens de la décadence.

      Il faut rendre justice à M. Carvalho; le chapitre que Berlioz lui a consacré dans les Mémoires est inexact; l'amertume de la défaite a envenimé la plume de l'auteur. Nous disons défaite, car les Troyens n'obtinrent qu'une trentaine de représentations, suivies, il est vrai, par l'élite du monde musical; Meyerbeer n'en manqua pas une, et je le vois encore au fauteuil de balcon qu'il occupait, très-attentif, donnant fréquemment des marques de vive satisfaction. M. Carvalho avait consacré une partie de ses bénéfices antérieurs à la mise en scène des Troyens; accordons, qu'il se soit trompé sur certains détails, c'est possible; qu'il ait essayé de ramener au goût mesquin du public une œuvre conçue selon les larges traditions de l'antiquité, c'est probable; il n'en a pas moins risqué sa fortune et son avenir.

      M. Alexandre, le plus intime ami de Berlioz, aujourd'hui son exécuteur testamentaire, me disait l'autre jour: «Le monde musical doit beaucoup à Carvalho; il ne m'appartient pas d'énumérer tout ce que l'art lui doit de reconnaissance; je n'ai aucune autorité pour le faire; mais ce que j'ai le devoir de vous prier de consigner dans cette notice, pour laquelle vous me demandez des renseignements, c'est le cœur, le dévouement, le désintéressement de Carvalho pour monter les Troyens, autant que faire se pouvait, d'une façon digne du maître que personne, plus que lui, ne respectait ni n'admirait.

      »Carvalho, oubliant tout pour une aussi grande question artistique, fit des sacrifices tels, qu'ils pesèrent sur sa vie entière. Voilà ce qu'il ne faut pas oublier.»

      Ce n'est pas à nous à le lui reprocher et personne n'oserait le faire.

       Les Troyens avaient été la suprême espérance de Berlioz; leur chute causa sa longue agonie de six ans. A partir de ce moment, ses idées devinrent de plus en plus sombres; les souffrances physiques ne lui laissèrent plus aucun repos. Il avait tant compté sur son opéra! Au sortir de la répétition générale, il était allé chez madame d'Ortigue, la digne femme d'un de ses plus vieux amis. Il lui avait fait l'effet d'un spectre, tant il était pâle, maigre, décharné: «Qu'y a-t-il, s'écria-t-elle effrayée? Est-ce que la répétition aurait mal tourné, par hasard?.. – Au contraire, dit l'autre en se laissant tomber sur une chaise. C'est beau, c'est sublime!..» – Et il se mit à pleurer46.

      Il était déjà affaibli et malade; dans sa jeunesse, il s'était quelquefois amusé à se laisser avoir faim pour connaître les maux par lesquels le génie pouvait passer; son estomac, plus tard, dut payer ces coûteuses fantaisies. Il vécut dans son appartement de la rue de Calais, retiré et dégoûté de tout, entouré de passereaux effrontés auxquels il donnait du pain qu'ils venaient picorer sur sa fenêtre, près de son immense piano à queue, de sa harpe et du portrait de sa première femme, Henriette Smithson. Sa belle-mère, madame Récio, le soigna avec une vigilance et un dévouement exceptionnels; ses amis prirent à tâche de lui faire oublier les injustices du sort et personne n'en a eu de plus attentifs, de plus fidèles que lui: Édouard Alexandre, Ernest Reyer, M. et madame Massart, M. et madame Damcke, la famille Ritter, et combien d'autres que je ne puis citer; la liste en



<p>44</p>

Renseignements communiqués par M. Édouard Alexandre.

<p>45</p>

Gazette musicale, année 1856, p. 202.

<p>46</p>

Renseignements fournis par madame d'Ortigue.